L’ultime défi de Badr Hari dans l'objectif de Marouane Bahrar

Crédit: Marouane Bahrar

Depuis peu ont commencé à circuler des photographies d’un Badr Hari au regard, à la mâchoire et à la musculature proprement impressionnantes.

D’autant plus impressionnantes qu’on disait du sextuple champion du monde de kick-boxing qu’il était un homme brisé, un athlète fini. A 31 ans passés et après tant de déboires personnels étalés, quoi de plus naturel, tout compte fait ? C’était sans compter avec l’orgueil, l’esprit de combat et la légendaire obstination du boxeur. Lequel, après avoir accepté le défi que lui a publiquement lancé l’actuel champion du monde, Rico Verhoeven, s’est récemment soumis à un travail de remise en forme herculéen. Hari, l’ex-mythe — vivant aujourd’hui rangé dans la catégorie des bad-boys et autres métèques prédestinés à mal tourner — , versus Verhoeven, un Néerlandais comme lui, mais en plus jeune, en plus blanc, en mieux “sous tous rapports” et tout aussi fort, dit-on. Celui-là même qui l’a définitivement remplacé dans le cœur des Hollandais et lui a incontestablement ravi les faveurs de la presse spécialisée. Le match est prévu pour le 10 décembre et se jouera à Oberhausen, en Allemagne. Notre champion binational y voit une belle porte de sortie. Tirer sa révérence avec panache et élégance est devenue son obsession.

Crédit: Marouane Bahrar
Crédit: Marouane Bahrar

Grandeur et décadence d’une star

On le sait, depuis Mohammed Ali, le match entre champions de boxe se joue bien longtemps avant le coup de sifflet. Avant le combat à proprement parler, la guerre se fait par médias interposés, à travers des phrases et des images chocs, destinées à intimider l’adversaire. D’où lesdites photos que nous évoquions plus haut. Bien que formatées dans le cadre, on ne peut plus strict, de la campagne promotionnelle précédant l’événement, leurs qualités artistiques nous ont interpellés. Surprise : elles sont signées Marouane Bahrar, un photographe et vidéaste marocain reconnu sur la place. Nous le contactons pour en savoir plus. Il nous parle, avec passion, du travail photographique à caractère artistique et documentaire qu’il effectue auprès du sportif, en parallèle avec sa mission commandée. Ah, bon ? Et pourrait-on voir ? Waouw !

Crédit: Marouane Bahrar
Crédit: Marouane Bahrar

Certains instantanés nous font penser à Scorsese, celui de Raging Bull, évidemment. Pourrait-on publier ? C’est très délicat. Depuis certaine affaire, Badr Hari fuit la presse marocaine comme la peste. Et puis, le moment est mal choisi. Le kick-boxeur a-t-il envie de montrer, aujourd’hui, à la veille de son énorme challenge, cette “humanité” qui nous a fait craquer ? Verhoven, comme ses fans, ne doivent retenir de lui qu’une seule image : The Killer. Oui, mais on ne perd rien à essayer ! Nous ne saurons évidemment pas la teneur des tractations. Seulement que Badr Hari a gardé une excellente impression d’une interview, accordée en juin dernier à TelQuel, et qu’il met son véto le plus formel sur les photos à caractère familial. Qu’à cela ne tienne. Avec Marouane Bahrar, nous en sélections, pour vous, quelques-unes parmi celles qui nous semblent présenter un double intérêt, esthétique et narratif, écartant pour l’instant, la mort dans l’âme, celles où le “monstre” perclu de certitudes, cède la place à l’enfant qui doute. Ce sera pour plus tard, après l’ultime combat. Que nous racontent donc ces images dont aucune, jure le photographe, n’a été posée ?

Crédit: Marouane Bahrar
Crédit: Marouane Bahrar

Entre le photographe attitré et l’athlète, un lien de confiance s’est tissé au fil du temps et des discussions. Ce n’est pas la bête du ring, encore moins le roi de la castagne, qui fascinent tant Marouane Bahrar. Mais L’Homme blessé qui se reconstruit un corps pour reconquérir l’estime et l’admiration des autres, des siens. Une dernière fois. Partir en beauté. Se retirer avec sa dignité retrouvée. La volonté forcenée de celui qui fut littéralement porté aux nues, avant de connaître la descente aux enfers, avant de vivre, dans son cœur et dans sa chair, le désamour du public. Une désaffection fatalement accompagnée par la défection/trahison de ceux qu’il croyait les plus proches. Ainsi va la vie des stars. Grandeur et décadence. Puis, peut-être, la rédemption. La vie de Badr Hari semble avoir été rédigée par un scénariste hollywoodien pour film à gros budget. Nous n’allons pas, ici, vous raconter, une énième fois, la story de cet ex-gamin des bas quartiers d’Amsterdam, fils de Marocains très pauvres, qui, à dix-huit ans seulement, s’est retrouvé au sommet. Et ce, uniquement à la force du poignet. Ou, plus exactement, des poings. Et des bras. Et des cuisses — les spécialistes ont été unanimes à célébrer son “jeu de jambes exceptionnellement maîtrisé”. On ne vous détaillera pas, non plus, ses démêlés avec la vie quotidienne en général, la justice en particulier. D’autres s’en sont chargés. Ils l’ont bien chargé. On aime brûler ce qu’on a adoré. Humain, trop humain.

Un regard amoureux

C’est, justement, la terrible humanité de Badr Hari que Marouane Bahrar arrive à nous faire toucher du doigt à travers ces clichés. Il s’agit d’un véritable travail d’accompagnement. Le photographe est amoureux de son sujet, indubitablement. Bien au-delà de l’empathie nécessaire au bon exercice de son métier. “Il a fallu du temps pour gagner sa confiance et lui faire oublier la présence de l’objectif, nous confesse-t-il. Maintenant, le deal entre nous est clair : je lui fais les photos qu’il lui faut, à l’usage des médias notamment néerlandais et des réseaux sociaux, travail dont il est très satisfait ; en échange, il me laisse entière liberté pour mon ouvrage de photographe auteur et documentariste, à condition de ne rien publier sans son autorisation avant le match”.

Crédit: Marouane Bahrar
Crédit: Marouane Bahrar

Marouane Bahrar a une petite trentaine. Déjà deux fois marié, père d’une fillette. Plutôt fluet, les cheveux longs ramassés en catogan, la chemise à carreaux et le jeans usé, très néo-bab’. Le monde de la boxe, le sport de compétition en général, ne l’intéressent pas. Longtemps, ce fils de pêcheur, né à Mehdia, s’est consacré à photographier et à filmer le monde, très peu connu, de la pêche au thon. Un travail de longue haleine qu’il a effectué de l’intérieur, puisqu’il a lui-même occupé le poste de chasseur-plongeur sous-marin dans une madrague située dans le nord, dédiée à cette activité relevant quasiment du secret défense, vu son caractère économique stratégique pour le royaume. Il nous avoue avoir retrouvé chez Badr Hari ce même mélange étrange de courage extrême, de ténacité face à l’adversité, et de fragilité, frisant parfois le désarroi, qu’il a connu chez ces grands enfants côtoyant quotidiennement la mort, coupés du monde, que sont les marins-pêcheurs de thon. Une histoire de virilité et d’inconscience face au danger. “Je crois que je suis fasciné par tous ceux qui engagent vraiment leur corps pour vivre”, conclut l’homme de l’image. Le photographe suivra le kick-boxeur jusqu’après le match. “Quel que soit le résultat, ce sera la fin d’une épopée dont j’aurai capturé quelques images, quelques fragments…

Par Jamal Boushaba

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