Gaming: les développeurs marocains et africains veulent entrer dans la partie

L'Afrique, mais aussi le Maroc, restent les parents pauvres du marché mondial des jeux vidéo, qui brasse près de 100 milliards de dollars. Des passionnés, anciens du studio Ubi Soft Casablanca, veulent prendre d'assaut ce secteur et créer des jeux made in Morocco et Africa. Rencontres.

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Artwork de la première MGF. Crédit: MGF

Cinq ans pour enfin organiser la toute première édition de la Maghreb Game conférence. Cinq longues années pour rassembler patiemment la communauté des développeurs de jeux vidéo marocains et les réunir avec leurs homologues maghrébins et africains pour rendre le gaming « bankable » sous nos latitudes. C’est le temps qu’il a fallu à Yassine Arif, un des petits génies de la communauté des développeurs marocains et initiateur du collectif Moroccan game developers, pour concrétiser cette première rencontre d’une industrie encore « embryonnaire » en Afrique, et surtout au Maroc, a-t-il affirmé.

Ce samedi 15 octobre, il règne au technopark de Casablanca une ambiance de computer club, à l’image des rencontres des pionniers de la micro-informatique dans les années 1970-1980. Une poignée de jeunes gens, armés d’ordis et de mobiles, s’agglutinent autour de petits stands où l’on montre surtout des jeux mobiles. Au fond de la salle trônent trois bornes d’arcade, où l’on peut s’adonner aux joies du retrogaming en affrontant ses amis sur de célèbres jeux de tir ou de combat.

La vraie attraction est toutefois ailleurs. Les organisateurs ont réussi à inviter plusieurs spécialistes de renom, dont un des grands noms du jeu vidéo mondial, le français Michel Ancel, créateur notamment du blockbuster Rayman sur la toute première Playstation pour le compte d’Ubi Soft. « Vous savez, il faut aimer son jeu pour le réussir », explique-t-il à un jeune développeur, qui s’interroge sur la place que doit occuper le processus créatif dans le business du gaming.

Les participants ont pu testerune démo du jeu camerounais Aurion. Crédit: ZC
Les participants ont pu tester une démo du jeu camerounais Aurion. Crédit: ZC

L’amour du gaming, c’est bien ce qu’ont en commun les quelques (rares) développeurs marocains qui veulent aussi leur part d’un immense gâteau. L’industrie vidéoludique pèse près de 100 milliards de dollars dans le monde, soit plus que celle de la musique et du cinéma. Les marchés les plus dynamiques se trouvent essentiellement aux États-Unis, en Europe et au Japon.

(source: Agence française pour le jeu vidéo)
(Source: Agence française pour le jeu vidéo)

Ces dernières années, le marché s’est accru encore plus et des pays émergents s’y sont mis à la faveur de la démocratisation des outils de développement, et de l’émergence de nouvelles plates-formes (essentiellement le smartphone appelé à prendre encore plus de parts) en plus des traditionnelles consoles et PC.

(source: Agence française pour le jeu vidéo/newzoo)
(Source: Agence française pour le jeu vidéo/newzoo)

L’Afrique est encore un géant en sommeil, même si des pays comme le Nigéria, l’Afrique du Sud et le Kenya commencent à se réveiller et à se positionner. Le Maroc a failli être un précurseur, en accueillant le mastodonte Ubi Soft à Casablanca en 1998. A l’époque, les studio du géant mondial étaient les premier du genre en Afrique du Nord, et les second en Afrique après l’Afrique du Sud qui avait accueilli la première un studio, Celestial games. Mais l’expérience a tourné court avec la disparition de la branche marocaine d’Ubi Soft en juin 2016, après 18 ans de bons et loyaux services. De ces années là, il reste une poignée de passionnés déterminés à mettre à profit leur expérience pour la création de célèbres jeux, comme Beyond Good and Evil ou encore un épisode de Prince of Persia.

Othmane El Bahraoui, directeur artistique de Rym Games, est l’un d’entre eux. Son studio, qui regroupe des anciens d’Ubi Soft, travaille d’arrache-pied sur « The Conjuring house », le premier jeu « triple A » marocain, (comprenez, le premier blockbuster qui devrait sortir en 2017 sur PC et PS4). Ce jeu de survie horrifique (survival horror) à l’esthétique victorienne et le projet marocain le plus abouti à ce jour. Il met le joueur dans la peau d’un personnage condamné à errer dans une maison maléfique et propose des graphismes qui n’ont rien à envier à ceux des dernières productions du genre, si on en croit le trailer in-game dévoilé par ses créateurs à la MGC :

« Nous ciblons le très grand public amateur des jeux d’horreur. L’objectif est de vendre ce jeu à l’international car c’est là où il y a le marché », nous explique le directeur artistique de Rym Games, dont la boîte qu’il a cofondée avec Imad Kharijah à réussi à lever 2,8 millions de dirhams auprès de Maroc Numeric Fund (MNF), une grande première au Maroc où les investisseurs prennent les game dev pour des petits joueurs. « C’est la première fois que l’on finance un jeu vidéo car nous avons vu le potentiel, la qualité de l’équipe et la taille du marché », nous explique Omar El Hyani, directeur des investissements à MNF, encore impressionné par le travail effectué par une poignée de passionnés.

Pour El Hyani, « la fermeture d’Ubi Soft peut être une grande opportunité. L’écosystème est en train de se construire (…) Le financement n’est pas pléthorique mais il est là et des fonds devraient arriver l’année prochaine », rassure-t-il.

Press start to play

Pas pléthorique. La phrase est un doux euphémisme dans la mesure où pour l’heure aucun jeu marocain ne nourrit véritablement son homme, si on exclut les projets de serious games ou les commandes d’entreprises. Amine Belahbib, co-fondateur de Division, start-up tangéroise spécialisée dans la création de jeu mobile, en sait quelque chose. Malgré les 30 000 téléchargements de Run of the titans, jeu inspiré d’un célèbre animé japonais, et ses autres projets, le business est toujours au point mort pour le moment. « On gagne 800 euros par mois, et on est quatre », raconte-t-il. Il ne compte pas pour autant lâcher l’affaire, toujours convaincu qu’il finira par développer la killer app qui lancera son entreprise. Il espère toutefois un petit coup de pouce du gouvernement : « Nos seuls revenus sont la publicité et cela peut casser l’expérience du joueur, surtout dans le genre des puzzle games que nous développons. Il nous faut pouvoir vendre nos jeux sur Google Play et AppStore et pour cela, il faut faciliter les modes de paiements », espère-t-il. Pour y pallier, des games developpers marocains explorent de nouveaux modèles économiques, à l’image du jeu Z7am, développé par TheWallGames dont Yassine Arif est co-fondateur et sponsorisé par l’opérateur Inwi. Dans cet endless runner (comprenez, un jeu de course infini), vous conduisez un petit taxi casablancais au milieu de la circulation chaotique de la ville blanche. Truffé de références culturelles locales, le jeu se veut à la fois divertissant, mais aussi à son échelle un ambassadeur de la pop culture marocaine.

Lire aussi: Z7am, un nouveau jeu marocain sur Android

L’on touche là un autre aspect du gaming: au-delà de l’aspect ludique, le jeu est un produit culturel. C’est ce qu’ont très bien compris les camerounais de Kiro’o games, auteurs du jeu PC Aurion : Legacy of the Kori-Odan (disponible sur steam). Ce jeu de rôle/action relate l’histoire de la reine de Zama, exilé après un coup d’Etat et qui doit parcourir le monde pour retrouver son trône. Tout en reprenant les codes du genre, le jeu introduit des thématiques inédites, à l’image de la polygamie, une dose de spiritualité et des clins d’œil à l’histoire récente de l’Afrique et des coups d’Etat à répétition vécus par ses populations.

« Notre génération a réalisé que l’indépendance n’était pas tout, qu’il y a d’autres enjeux à relever, et tout cela sans s’acculturer et perdre sa racine. Quelle est la voie ? C’est ces questionnements que l’on a mis dans le jeu », énonce Guillaume Olivier, fondateur de Kiro Games. Le créateur camerounais espère aussi changer l’image négative forgée dans l’esprit des joueurs du continent noir. « En Afrique, nous sommes entraînés à avoir une image négative de nous-mêmes ce qui influence tout ce que l’on fait », estime-t-il. Et c’est pour cela qu’il pense que la partie en vaut la chandelle.

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