Tribune. Une meilleure gouvernance environnementale au Maroc s’impose

Étudiant en 3e année à Science Po Paris et membre du Think and Do Thank CliMates, Ismail Hamoumi plaide pour une meilleure gouvernance environnementale dans les pays du Sud.

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A l’international, le mois de mai a été le plus chaud depuis 1880, surpassant le précédent record de l’année 2015. Les résultats du Global Footprint Network, think-tank spécialisé dans la mesure de l’empreinte écologique et dans le conseil politique indiquent, quant à eux, que la terre vit à crédit depuis le 8 août, démontrant qu’« en moins de huit mois, l’humanité a consommé la totalité du budget écologique annuel de la Terre. »

Ainsi, les constats relatifs au changement climatique, observés à toute échelle, ne peuvent laisser le débat et l’intérêt public inertes. Les coûts estimés d’une non-action climatique par le rapport Stern (2006) sont estimés à une perte de 5% du PIB mondial/an à l’horizon 2050. Le rapport Stern, dont le principal apport est l’introduction d’une approche économique au débat climatique, rapporte également qu’en fonction de notre capacité à maîtriser l’atténuation de l’effet de serre, cette perte pourrait se réduire à 1%, au mieux, avec des mesures adéquates dans le même horizon 2050.

Au Maroc, les épisodes de chaleur répétés en juin et juillet 2016, induisant la perte de près de 15 000 emplois agricoles au cours du second trimestre (HCP), soulèvent de nouveau la question de la vulnérabilité du Maroc face aux aléas climatiques. Cette observation doit croiser les perspectives démographiques présentées dans l’étude Prospective Maroc 2030 : Quelle démographie ? du HCP, établissant que la population marocaine passerait « de 30 millions d’habitants en 2005 à 38 millions en 2030, ce qui équivaut à une croissance additionnelle moyenne de 300 000 habitants par an, soit l’équivalent d’une grande ville ». L’agriculture comporte une vaste part d’exploitations en milieu arides et semi-arides et que 50% de la population marocaine vit directement de cette dernière. Ainsi, l’état des lieux, non-exhaustif, en intégrant dans le débat climatique des considérations démographiques, agricoles ou encore socio-économiques, nous invite ainsi à nous interroger sur les conséquences multisectorielles du changement climatique au Maroc.

L’inaction accroît la vulnérabilité. Une étude menée par l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) et portant sur l’impact du changement climatique sur le Maroc nous apprend que l’absence d’adaptation créerait une perte nette de 3.1% de notre PIB dans les prochaines années. Cependant, si les mesures en matière d’adaptation et résilience climatique suivent la feuille de route établie par le Plan Maroc Vert, à savoir résilience des structures économiques, irrigation responsable et effective, appui aux petites unités agricoles, modernisation de l’équipement et infrastructure agricole et intégration des dernières avancées technologiques, l’on pourrait observer une évolution du PIB comprise entre -0.3% et 3%.

« Le Maroc est passé d’une sécheresse tous les dix ans, à deux à trois sécheresses par décennie »

Les prévisions de l’OMS, en cas d’inaction, rejoignent l’étude menée par la FAO qui a, quant à elle, étudié les scénarios potentiels en matière de changement climatique : son scénario pessimiste préconise une hausse de trois degrés de la température d’ici 2080, pouvant entraîner une réduction des précipitations de 40%.

La sécheresse qui a frappé notre royaume cette année a, sans aucun doute, alerté ou inquiété plus d’un. Selon l’Observatoire national de la sécheresse, ces dernières sont des phénomènes récurrents. Toutefois, selon l’Institut royal des études stratégiques (IRES), « le Maroc est passé d’une sécheresse tous les dix ans pendant les années 1950-1960 à deux à trois sécheresses par décennie depuis les années 1980 ». Bien que leur impact parvienne à être progressivement résorbé par le Plan Maroc Vert, la vague de chaleur de l’été 2016 a de nouveau souligné la vulnérabilité de notre agriculture. Si le Maroc est parvenu à mobiliser 75 % de ses ressources en eau en faveur de l’agriculture par l’installation de barrages de taille moyenne et d’un système d’irrigation au sein des exploitations à terre semi-arides ou arides du centre et du sud, notre pays n’est pas à l’abri de phénomènes climatiques extrêmes.

L’agriculture, représentant 15 à 20 % du PIB annuel, se structurant essentiellement autour de petites exploitations pour 75 % des agriculteurs marocains, marquée par la fragmentation du foncier agricole et la contraction de l’espace exploitable, s’est révélée être encore vulnérable. Cette année, le cheptel a été grandement touché, les rendements agricoles amoindris et, si l’on roule sur l’axe Casablanca-Tanger, il est très aisé d’observer en juillet et août l’aridité croissante des terres. Indéniablement, du fait des précédentes observations et des prédictions en matière de changement climatique, nous verrons s’accroître en l’absence de politiques ambitieuses la raréfaction des ressources en eau, la fragilisation de la biodiversité, la réduction des ressources forestières, et la dégradation des sols et vulnérabilité accrue de la population.

Le constat de la fragilité du système agricole nous invite donc à nous questionner de la sorte : Disposons-nous des mécanismes nécessaires pour résorber le dérèglement climatique en cours ? Il est essentiel de cerner la sensibilité de cette question car il en va de la sécurité alimentaire, environnementale et sociale de tous. Notre actuelle croissance économique, garante d’une réduction de la pauvreté et de la fragilité sociale, aura pour principale menace la croissance des phénomènes climatiques. Notre base productive, la population rurale, grandement affectée par la sécheresse, voit ses conditions de vie se durcir. Les 15 000 emplois agricoles touchés ce second trimestre sont à, cet effet, représentatifs. De plus, près de 2/3 de la population vit dans un territoire qui connait une situation de stress hydrique. L’IRES prévoit que du fait des épisodes caniculaires plus récurrents, cet état se développera de façon croissante.

Il est également possible de souligner les conséquences sanitaires du changement climatique, peu connues du grand public. Le paludisme croît à mesure que la vulnérabilité climatique s’affirme. Des épidémies de fièvre ont d’ores et déjà été observées dans la vallée du Rif, selon l’IRES.

Notre pays est donc sensible aux chocs exogènes. Ces derniers se traduisent en perte agricole et en fragilisation du tissu social. Une meilleure gouvernance environnementale pour réduire la vulnérabilité du Maroc s’impose donc. Il faut à cet effet accroître la gestion des villes en matière de plan environnementale, gérer les ressources hydriques de façon plus consciencieuse, lutter contre la dégradation des terres, surveiller l’environnement et rendre attractif l’investissement en matière de résilience et d’innovation environnementale, ainsi que le développement d’une ingéniosité d’adaptation à bas coût, reposant par exemple sur les techniques d’adaptation fondée sur les écosystèmes.

La loi sur le plastique, un exemple à suivre

La récente loi sur les sacs plastiques est un bon exemple en la matière. Le plastique, détournant une part de la consommation annuelle de pétrole, dégageant des gaz à effet de serre au cours de sa production, polluant toxique lorsqu’il est emporté par les vents ou eau, se caractérise par une durée de persistance de plusieurs siècles et peut se fragmenter en microplastiques en milieu aquatique, empoisonnant la faune maritime. Cette mesure, bonne pour la santé publique, entre dans le cadre des initiatives allant en faveur d’une meilleure gouvernance environnementale.

Notre volonté nationale doit se coupler à des incitations positives d’origine étrangères. En effet, l’actuel objectif établi par la COP21 correspond à la limite des 1.5 degrés d’ici 2100. Toutefois, des études récentes semblent indiquer que ce seuil limite essentiel est d’ores et déjà voué à être dépassé. En l’état des ambitions actuelles de chaque Etat en matière d’atténuation, selon la Convention Cadre des Nations Unies sur le Changement Climatique (CCNUC), la température devrait connaître une hausse globale moyenne d’environ trois degrés d’ici à 2100.

Le Maroc, aux vues de son « Intended Nationaly Determined Contribution » (INDC), document pilote produit dans le cadre de la CCNUC, s’est démarqué en annonçant une réduction des émissions de gaz à effet de serre de 32% à l’horizon 2030, soit un investissement nécessaire de près 45 milliards de dollars. Comme souligné dans l’INDC Marocain, cet effort ne sera possible que dans le cadre d’un appui financier préalablement défini par le CCNUC et les accords de Paris, appui à la hauteur de 35 milliard de dollars de la part des nouveaux mécanismes financiers climatiques tel le Fond Vert pour le Climat. Le Maroc a, de plus, d’ores-et-déjà investi, selon son INDC, près de 64% des fonds alloués à la résilience climatique dans des dépenses relatives à nos capacités d’adaptation, sommes représentant près de 9% des investissements totaux du pays entre 2005 et 2010. L’objectif défini par l’INDC Marocain suit ainsi le but de notre argumentation : « Instaurer un territoire et une civilisation plus résiliente au changement climatique tout en garantissant la transition économique bas-carbone. »

L’adaptation, qui veut réduire les risques et dommages causés par le climat doit donc être au cœur de notre gouvernance par conscience de notre vulnérabilité. Notre vision du développement économique doit s’imprégner de cet impératif d’adaptation, enrichi par la nécessité de créer un développement bas-carbone ne reposant pas sur les énergies fossiles, responsable du changement climatique et disponible pour le pétrole et le gaz en quantité limitée sur terre. Ces éléments, issus d’une analyse et compréhension objective des causalités entre changement climatique et impacts socio-économiques, devraient alarmer nos politiques et susciter un accaparement plus ferme de la question.

Des questions précises se dressent ainsi : quelles politiques publiques énergétiques, agricoles, urbaines ? Quels financements ? Quels mécanismes institutionnels ? Il ne fait de doute que notre rôle tient dans la sensibilisation du grand public. Le Maroc vit de son environnement : le Maroc, et l’ensemble de ses citoyens, se doit d’agir pour la résilience de son espace naturel face aux changements qui s’annoncent.

 

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