Enquête: Où opèrent les proches du mouvement turc Gülen au Maroc ?

Le mouvement Gülen, accusé par le président turc Recep Tayyip Erdoğan d'être derrière le coup d'État avorté en Turquie, est implanté au Maroc. L'occasion de revenir sur les principaux secteurs où opère le réseau.

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Fethullah Gulen en 2013 dans sa résidence de Pennsylvanie. Crédit : AFP PHOTO / ZAMAN DAILY /SELAHATTIN SEVI.

La Turquie essaie-telle d’interdire les institutions affiliées au mouvement du penseur Fethullah Gülen installées au Maroc ? L’ambassade de Turquie à Rabat a fourni au ministère des Affaires étrangères du Maroc des informations autour des d’institutions liées au mouvement de l’opposant turc, rapporte l’agence de presse turque Al Anadolu. « Le mouvement de Gülen, qui a perpétré le coup d’État avorté en Turquie, dispose d’institutions au Maroc. Nous avons pris contact avec le ministère des Affaires étrangères suite à la tentative de renversement du pouvoir et nous leur avons donné des informations à leur sujet » a déclaré le 19 juillet Ibrahim Khalil Sakli, le chargé d’affaire de l’ambassade de Turquie au Maroc, en marge d’une rencontre avec une délégation du PJD. Il poursuit : « Nous espérons que les autorités marocaines prendront les dispositions adéquates à ce sujet ». Selon la même source, Ibrahim Khalil Sakli n’a fourni de plus amples renseignements sur ce sujet.

Gülen au Maroc, officieusement

Pour sa part, la députée PJD Nezha El Ouafi, qui a pris part à la rencontre aux côtés de Mohamed Yatim député et membre du secrétariat général du parti et Al Abadila Maelainine, membre du conseil national tient à préciser : « Nous n’avons pas abordé cette question. Cela relève du ressort du ministère des Affaires étrangères ». La députée nous indique que l’objet de la visite était « d’exprimer [leur] soutien et [leurs] condoléances à la Turquie suite au coup d’État avorté ». Elle ajoute : « C’est une manière de confirmer la volonté de l’État marocain qui vise à soutenir la légitimité des urnes et la démocratie, quelles qu’en soient les directives politiques ».

Lors de la rencontre de la délégation du PJD à l'ambassade de Turquie à Rabat. (c) Rachid Tniouni
Lors de la rencontre de la délégation du PJD à l’ambassade de Turquie à Rabat. (c) Rachid Tniouni

C’est que le mouvement Hizmet (service en turque), autrefois allié du Parti de la justice et du développement turc (AKP), est devenu aujourd’hui l’ennemi juré du parti du président turc. La rupture entre les deux mouvances s’est cristallisée avec l’éclatement d’un scandale financier touchant le cercle rapproché du président turc fin 2013. Les proches d’Erdoğan étaient accusés de corruption, blanchiment d’argent et malversation. Le président turc crie à la « conspiration » et accuse Fethullah Gülen, exilé aux États-Unis depuis 1999. « On ne peut pas dire que le mouvement Gülen est au Maroc en tant qu’institution. Il s’agit plutôt d’initiatives d’individus proches du mouvement qui se sont installés de manière spontanée et ont investi dans le milieu éducatif et culturel en premier lieu » nous explique Driss Bouanou, chercheur et spécialiste des mouvements islamistes turques.

D’abord l’éducation, puis l’économie

Parmi les institutions les plus notables qui entretiennent des affinités au mouvement, il y a le groupe scolaire « Mohammed Al Fatih », implanté dans le royaume depuis 1994. Le groupe dispose aujourd’hui de trois écoles à Casablanca, une à Tanger, Tétouan, Fès et El Jadida. Contacté par Telquel.ma, Ibrahim Aktas, directeur du groupe scolaire, reste toutefois évasif. « Nous œuvrons dans le domaine éducatif et non politique. Je tiens à préciser que notre groupe n’appartient pas au mouvement Gülen mais il peut y avoir une sympathie ». Il précise toutefois que son groupe a « confiance en le sérieux des autorités marocaines » pour bien gérer cette affaire.

Au niveau économique, Hizmet n’est pas en reste au Maroc. La Confédération des hommes d’affaires et industriels turcs (Tukson), l’une des plus grandes organisations patronales en Turquie qui orbite autour du mouvement de Gülen, selon Aljazeera.net, a multiplié les ponts de commerce avec le royaume dans les années 2000. L’organisme, qui compte 15.000 hommes d’affaires et qui a été créée en 2005 a conclu des contrats d’une valeur de 30 millions de dollars avec des entreprises marocaines de textile en 2013 rapporte L’Économiste. Pendant ce temps, en Turquie, le syndicat patronal se dit victime d’intimidation de la part de l’administration d’Erdoğan. Un bras de fer qui cristallise la rupture entre les autorités en place et le mouvement Gülen. « Tukson avait d’ailleurs l’ambition de créer une antenne au Maroc, mais ça n’a pas abouti » assure Bouanou.

Ouléma marocains dans le cercle güleniste

Le magazine Hira, une extension médiatique du puissant réseau gülenniste, est diffusé au Maroc. Édité en turc et en arabe, Hira est un magazine bimensuel scientifique travaillant sous le prisme « de la foi coranique ». « C’est un magazine d’idées spécialisée assez peu lu au Maroc mais qui connaît la collaboration de plusieurs intellectuels et ouléma marocains et d’ailleurs » nous explique Driss Bouanou. On compte parmi les notables collaborateurs Farid Ansari, membre du conseil supérieur des ouléma (décédé en 2009 à Istanbul). Il a d’ailleurs écrit « Le retour des cavaliers », une biographie de Fethullah Gülen. Selon le magazine islamiste Al Bayan, basé à Londres, des membres de la Rabita Muhammadia comme Chahid El Bouchikhi ou Mohamed Rouki ont, à leur tour, collaboré avec le magazine. Hira compte à son actif 3 000 abonnements (2014) au Maroc précise la même source. Toujours dans le volet culturel, le centre privé turc des langues et de culture (Nilüfer) qui propose des cours de turc mais aussi l’orientation des étudiants marocains désireux d’effectuer leur études en Turquie, appartient à des proches de Gülen.

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