Tribune: Pour un débat public et décent

Par La Rédaction

Avec la démocratisation de l’usage d’Internet, le pouvoir politique est de plus en plus contraint de répondre de ses actes et de les justifier devant l’opinion. Les controverses que suscite l’action de l’État ne sont pas un bruit de fond.

 

Elles expriment plutôt une volonté réelle de peser dans le débat et dans la gestion des affaires publiques. L’opération d’importation des déchets italiens en est un exemple édifiant. De nombreux Marocains se sentent trahis par la classe politique, non seulement à cause de la dangerosité supposée de ces déchets, mais à cause de la portée symbolique de cette opération, illustrée par le slogan “le Maroc n’est pas une décharge”.

Pourtant, la classe politique ne semble pas prête à se soumettre aux contraintes de la responsabilité, et à considérer comme légitimes les revendications populaires. A chaque fois qu’une partie de la population s’indigne, l’État semble gêné, non pas d’avoir éventuellement failli à servir le bien public, mais plutôt de devoir s’expliquer devant des individus auxquels rien n’est dû. L’idée que l’autorité appartient au peuple paraît encore absurde, et c’est pour cela que les réactions ne se situent jamais sur le terrain de la morale ou de la politique.

Au lieu de cela, les réponses donnent l’impression d’esquiver le problème : d’abord on assure que la décision respecte tout à fait telles et telles procédures légales, ensuite qu’elle enveloppe une technicité inaccessible au commun des citoyens. Ce déphasage est également ressenti dans le traitement médiatique de ces affaires : en plus de reprendre le plan de com’ des ministères, on sent parfois que les journalistes cèdent eux-mêmes sans difficulté au jargon technique. Non, il ne s’agit pas de déchets, mais de RDF (Refuse-Derived Fuel). Ah oui, c’est en anglais !

Par ailleurs, la sincérité de la démarche des pouvoirs publics est parfois étonnante. Ainsi, de l’élaboration de la convention entre Saham Assurance et le ministère de l’Agriculture qui ne s’est pas faite dans la discrétion, laissant supposer que ni M. Elalamy ni M. Akhannouch n’y voyaient d’inconvénient. La conséquence en est que la classe politique n’est pas seulement soupçonnée de transactions douteuses, mais de ne pas en éprouver de culpabilité. En réalité, elle manque d’un référentiel éthique dans lequel un conflit d’intérêts (par exemple) serait répréhensible. Finalement, l’ingrédient principal des mouvements sociaux de 2011 est toujours là : une élite incapable de réformer, car incapable d’écouter et incapable de comprendre les revendications populaires.

De l’autre côté, les maladresses et les incohérences de Mme El Haite ne doivent pas masquer une réalité de plus en plus gênante, à savoir la misogynie du débat politique chaque fois qu’une femme est impliquée. Les attaques répétées contre son physique, par la caricature vulgaire ou par des allusions plus ou moins subtiles, ne peuvent pas être ignorées sous couvert d’humour, ou sous prétexte que la forme du débat est moins importante que son objet. Cela est d’autant plus gênant que ces attaques sont d’abord le fait d’armées d’“influenceurs”, de militants et de chroniqueurs.

Plutôt que de reprendre et d’amplifier un discours vulgaire, ils sont supposés élever le niveau du débat. Ce qui devrait surtout nous préoccuper, c’est la quasi-absence de solidarité ou de soutien à ces femmes, bien qu’elles appartiennent à des groupes d’intérêts très différents. Il semble que nous soyons loin de nous accorder sur des règles basiques de bienséance publique qui s’appliqueraient à tous, nonobstant les appartenances politiques. Ainsi, on n’imagine pas un politicien de gauche défendre une ministre islamiste, et vice-versa, même au sein de la même majorité gouvernementale. De ce point de vue, Hakima Elhaité est aussi une victime, et elle mérite tout notre soutien. Sans “mais”.

Par Karim El Hajjaji, membre du think-tank Tafra