Ta vie en l’air. Le deuil et la carte postale

Par Fatym Layachi

Les jours se suivent et les drames se ressemblent tristement. Des attentats, des morts, du sang, des blessés, des ambulances, des familles déchirées, des villes endeuillées, des alertes maximales et la planète qui semble paniquer. Et le mois sacré n’a rien calmé, l’horreur ne connaît pas de trêve. Les monstres ne s’arrêtent jamais. Il y a une dizaine de jours, une fusillade a éclaté en plein marché à Tel-Aviv et, il y a quelques jours, dans une boîte de nuit à Orlando. D’horribles tragédies, des drames immondes. Toi, encore une fois, tu es attristée, tu as mal, tu es en colère contre ces monstres qui osent salir le nom de Dieu. Tu as peur aussi. Peur de ce monde dans lequel tu vis, peur parce que le simple fait de vivre fait de toi une cible. Leurs attentats sont ciblés. Alors bien sûr qu’il faut nommer les victimes. Il ne faut pas les rendre invisibles.

Il faut identifier les victimes parce que les crimes ne sont pas aveugles et que les monstres ne tuent pas par hasard. Les enfants tués par Merah sont morts parce qu’ils étaient juifs. Les victimes d’Orlando ont été visées parce qu’homosexuelles. Il faut le dire, le rappeler, le dénoncer. Mais c’est la même tristesse, la même colère. Toi, tu chiales de la même manière, quelle que soit la couleur de peau des morts, qu’ils aiment les abricots ou les aubergines, qu’ils soient bouddhistes ou camionneurs, qu’ils préfèrent les voyages à voile ou à vapeur. En revanche, autour de toi, il semblerait que certaines personnes ne s’indignent pas de la même façon selon l’identité des victimes. Tu as découvert ça dans un article publié par le PJD, qui parlait d’une fusillade qui a tué “quatre sionistes”. Tu as halluciné. Comment peut-on penser ça ? Comment peut-on écrire ça ? Comment peut-on manquer d’humanité à ce point ? Qu’est-ce que le rédacteur de ce papier connaît de la vie ou des convictions des quatre morts ? Les morts sont des victimes. Point. Ne pas les considérer comme telles, mais les classer ou les qualifier te rappelle les heures les plus sombres de l’histoire. De là à dire que ce qui s’est passé en Floride est la faute de ces “déviants” qui l’ont un peu cherché, il n’y a qu’un pas, morbide. Alors, de la même manière que tu as une peur viscérale de voir tes potes crever dans un attentat, tu es morte de trouille de voir l’obscurité se répandre. Et qu’on ne vienne pas te dire que ce n’est pas la majorité, que cet article ne représente rien de plus que son auteur… Non, cet article est signé et cautionné par le premier parti du plus beau pays du monde. Il se trouve que quelques jours auparavant, la dithyrambique agence de presse nationale a relayé un article qui évoquait le Maroc non pas comme le plus beau du monde (ce statut semble déjà acquis), mais comme “un grand espoir pour l’humanité”, grâce à sa longue tradition de tolérance et de cohabitation entre les différentes cultures et religions.

C’est vrai qu’elle est belle et qu’elle te plaît, cette carte postale du pays du vivre ensemble. Bien sûr que ça t’émeut. Mais à la lecture de cet article du PJD, tu n’y crois pas trop et tu finis par te dire tristement que, justement, ce n’est qu’une carte postale. Finalement, la tolérance ça serait un peu l’équivalent d’un selfie avec un filtre Instagram. On efface les défauts. On rajoute une jolie lumière et on met en valeur la bouche aguicheuse. Ça suffit pour faire rêver. Ce n’est pas complètement la réalité. Et alors ? Ce n’est pas totalement faux non plus. Il y a un fond de vérité.