Islam: Comment les Habous peuvent sauvegarder l'environnement au Maroc

Samira Idllalene, juriste, explique comment droits coutumier et islamique peuvent nous aider à protéger l'environnement. Le patrimoine marocain comme savoir écologique.

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Crédit : Fadel Senna/AFP.

Le habous, potentiel moyen de renforcer les puits de carbone ? L’idée peut paraître étonnante. Pourtant, elle est d’une logique implacable, à en croire Samira Idllalene, professeur à l’Université Cadi Ayad à Marrakech, juriste et spécialiste, entre autres, du développement durable. Elle explique comment le Maroc possède, dans son patrimoine, entre droit coutumier et droit islamique, un incroyable savoir faire en matière d’écologie et de protection de l’environnement, en avance même sur le droit dit moderne. Inspirant.

Vous semblez dire qu’il existe dans la charia une forte dimension écologique ?

Comme toute religion, l’islam a une dimension écologique indéniable. Mais ce qui est encore plus intéressant, c’est que dans le droit musulman, il existe une institution qui fut jadis exploitée pour la protection de l’environnement et qui a cessé aujourd’hui de l’être, en tout cas au Maroc. Il s’agit du habous. Cette institution aurait pour fondement un hadith selon lequel le calife Omar aurait demandé au Prophète ce qu’il pourrait faire de sa terre pour être agréable à Dieu. Le Prophète lui aurait répondu : « Immobilise la de façon à ce qu’elle ne puisse être ni vendue, ni donnée, ni transmise en héritage et distribues-en les revenus aux pauvres ».

Et concernant les espèces animales ?

Cette institution, le habous, est donc basée sur l’idée de charité. Or un hadith énonce : « Il y a des récompenses pour les actes de charité envers toute bête vivante ». C’est ce qui explique que le habous ait aussi contribué à la protection des espèces animales. Il a pu être dédié aux soins des oiseaux malades ou blessés, comme au Maristane Sidi Frej à Fès, ou à Dar Bellardj à Marrakech. Rappelons aussi qu’en 1702, le Sultan Moulay Ismaïl, constitua en biens habous les aloses (des poissons, ndlr) du Bouregreg et ce par un dahir qui fut confirmé en 1916. La dimension écologique du habous c’est aussi le fait qu’il peut avoir comme bénéficiaire un animal ou la nature au sens général. Il s’agit là d’une révolution par rapport au droit classique qui peine encore à trouver des justifications au droit de l’animal.

Selon vous le habous pourrait servir à protéger l’environnement du marché ?

Dans le sens où il peut soustraire le territoire à la propriété privée, oui. Ainsi les portions des espaces les plus riches du point de vue de la biodiversité pourraient être mises en défends pour assurer leur contribution à la protection de l’écosystème. La nature inaliénable du habous le prédispose à échapper à la logique du marché qui est en train de franchir de plus en plus le droit de l’environnement. En même temps, instaurer une aire protégée par le mécanisme du habous est aussi une manière de renforcer les puits de carbone.

Il faudrait tout de même « réactiver » son potentiel écologique ?

L’institution du habous est très bien ancrée au Maroc. On ne sait pas pour quelle raison au juste a-t-elle cessé d’être mobilisée pour la protection de l’environnement. Cela passe d’abord par la sensibilisation. Le ministère des Awqaf a également un rôle essentiel à jouer en la matière. En fait, il s’agit de faire comprendre aux gens que créer une aire protégée, construire des seguias (canal d’irrigation à ciel ouvert, ndlr) ou entreprendre toutes mesures environnementales est aussi charitable que construire une mosquée. En 2001, l’ISESCO (Organisation islamique pour l’éducation, les sciences et la culture, liée à la Organisation de la Conférence Islamique, ndlr) a d’ores et déjà appelé à cette remobilisation du habous dans le domaine de l’environnement. L’IUCN (Union internationale pour la conservation de la nature, ONG suisse, ndlr) lui a emboité le pas en 2009.

L’agdal (mode de gestion traditionnel d’une terre, particulièrement répandu dans le Moyen-Atlas) est-il une pratique écologique ? Si oui, cela veut il dire qu’il y a dans le patrimoine marocain une conscience de la protection de l’environnement ?

La conscience de la protection de l’environnement est ancrée dans le droit coutumier marocain. L’agdal en est un bon exemple. C’est une institution de droit coutumier qui permet la régénération de la nature par la pratique de la mise en défends des sites riche en biodiversité. Le droit dit moderne a, dans ce sens, plutôt desservi la protection de l’environnement car il a peu tenu compte des pratiques écologiques préexistantes. Le fait d’avoir imposé un droit écrit n’a pas été bien reçu par la population qui avant cela, vivait en harmonie avec la nature grâce à des pratiques comme l’agdal.

Cela veut il dire qu’au Maroc, pour fonder un droit de la biodiversité, on pourrait se suffire de ce patrimoine ?

Il ne s’agit pas ici de faire un retour nostalgique au droit ancien mais plutôt de mieux tirer profit des institutions dont le potentiel écologique a fait ses preuves. Le habous ou l’agdal ont le mérite de provenir du terreau marocain. Dans ce sens, les ressusciter pour la protection de l’environnement ne devrait pas trop poser de problème. En même temps, il importe trouver des connections entre ces anciennes institutions et le droit moderne car elles peuvent contribuer à le rendre plus effectif.

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