À l’épreuve du temps. Leçons tunisiennes au PJD

Par Abdellah Tourabi

La Tunisie ne finira jamais de nous surprendre. Après avoir donné le premier coup de pioche pour ébrécher le mur de la peur dans le monde arabe, mis en place une constitution populaire, affronté les démons du terrorisme et la tentation du retour à l’autoritarisme, voici un nouveau pas franchi pour renforcer la démocratie dans ce pays. Lors de son dernier congrès, organisé en ce mois de mai, le parti islamiste Ennahda a déclaré urbi et orbi son adoption d’une séparation entre le religieux et le politique. Sans devenir pour autant un parti “laïc” et renier son référentiel islamique, Ennahda a décidé de mettre une distance, en ce qui concerne son organisation et son discours, avec la sphère religieuse.

Cette décision s’explique vraisemblablement par la nature actuelle de la vie politique tunisienne, marquée par l’existence d’une forte société civile, qui sait défendre les acquis de la révolution tunisienne, mais aussi par le parcours historique et intellectuel des dirigeants d’Ennahda. Ces derniers, et notamment Rached Ghannouchi, fondateur et mentor du parti, ont toujours été en avance sur les autres mouvements islamistes dans le monde arabe, quand il s’agit des questions de démocratie, de pluralisme et des libertés. Abdelilah Benkirane et d’autres fondateurs du PJD reconnaissent souvent l’influence exercée par l’expérience et les idées d’Ennahda, qui les ont poussés, à la fin des années 1980, à réfléchir sur la sortie de la clandestinité et l’intégration des institutions officielles.

L’initiative prise par Ennahda pourrait également inspirer nos islamistes marocains. Le PJD, depuis des années, entame une mue lente et intéressante, qui s’est accélérée depuis son arrivée à la gestion des affaires publiques en 2011. De nombreux chercheurs, qui s’intéressent de près au parti, observent une sécularisation de son discours politique. À part quelques formules d’usage et des tics de langage, Abdelilah Benkirane et ses frères ont rarement recours à une sémantique religieuse. Le PJD, quand il s’agit de pouvoir politique, parle un langage séculier qu’il partage avec les autres partis. Dans la bouche des ministres et députés islamistes, on entend beaucoup plus les mots et concepts de “bonne gouvernance”, “intérêt public”, “équilibres macroéconomiques” plutôt que des versets et des hadiths.

Quand ils disent vouloir combattre “Al fassad”, ils utilisent ce terme dans le sens de la corruption administrative et financière et non pas dans sa signification liée à la débauche et la dépravation. Néanmoins, il ne faut  être ni naïf ni dupe : le PJD sécularise son discours non pas par conviction profonde, mais en fonction des rapports de force, notamment vis-à-vis de la monarchie ainsi que de l’évolution de la société marocaine. Mais contrairement aux islamistes tunisiens d’Ennahda, le PJD n’a pas encore inscrit cette sécularisation dans le marbre des statuts et règlements du parti. Les liens obscurs entre le PJD et son bras religieux le MUR (Mouvement unicité et réforme) laisseront toujours planer le doute sur le mélange des genres au sein du parti au pouvoir. La voie ouverte par Ennahda peut de nouveau servir de modèle au PJD.