Éditorial. Le royaume en colère

Par Aicha Akalay

En cette période où le Maroc va chercher loin de nouveaux partenariats, le soudain coup de sang contre l’administration américaine peut surprendre. Il est même tentant de le surinterpréter. Notre diplomatie est-elle réellement en train d’opérer de grands mouvements d’échiquier ? Adieu Washington ? Bonjour Moscou et Pékin ? Personne ne peut y croire sérieusement. Et la diplomatie marocaine ne soutient pas le contraire. Alors que se passe-t-il avec notre allié outre-Atlantique – avec lequel les relations datent du règne du sultan Mohammed Ben Abdellah (1757-1790) ? À l’origine de la fâcherie, le rapport du département d’État américain sur les droits de l’homme énumérant violations et cas de torture dans le monde entier, y compris au Maroc.

Pour les services dirigés par John Kerry, le royaume accuse de lourds retards sur ce volet. Sauf que le royaume conteste fermement des faits allégués dans ce rapport, et non pas ses conclusions. Après la publication du rapport en avril, le Maroc a travaillé de longues semaines sur les détails. Chaque fait a été étudié. Les réserves et remarques du gouvernement marocain ont même été présentées à l’ambassadeur américain à Rabat. La réponse de ce dernier aurait été en substance : “Oui, je concède qu’il y a eu un manque de rigueur, mais voyons ça l’année prochaine. OK ?”. Espérant une réaction publique de Dwight Bush, le Maroc a été déçu. Fallait-il laisser passer et se taire ? Non, répondent les autorités publiques. Et elles ont peut-être raison. Le Maroc n’a ni pétrole, ni aucune autre rente, miser sur son soft-power et sa réputation est son actuelle stratégie diplomatique. Pourtant, la réaction du Maroc, par la voix de son ministre de l’Intérieur, puis la convocation de l’ambassadeur américain au ministère des Affaires étrangères, est franchement exagérée. Avions-nous besoin d’autant d’agressivité ? Les mots du communiqué de Mohamed Hassad empruntent un vocabulaire outragé qui paraîtra disproportionné même au plus marocophile des fonctionnaires du département d’État. Y sont évoqués un “mensonge caractérisé”, une “démarche d’inquisition”, un rapport “scandaleux”…

Une telle attitude comporte le risque de brouiller le message principal : la légitimité du Maroc de se défendre et de remettre en cause une étiquette que des bureaucrates américains souhaiteraient injustement lui coller. Or, que retenons-nous ? C’est plutôt l’agressivité du royaume, qui cherche finalement plus à s’affirmer qu’à remettre en cause ses alliances traditionnelles. Ce qui est excessif peut paraître insignifiant. Défendons-nous en pays serein et confiant en lui-même. Oublions les adjectifs superfétatoires (comme celui-ci) et attachons-nous aux faits. Ceux-là mêmes que le Maroc veut faire valoir.