Le long chemin avant la légalisation du crowdfunding au Maroc

Un projet de loi est en cours pour offrir enfin un cadre légal au crowdfunding (financement participatif) au Maroc. En réalité, le royaume ne fera que rendre légale une situation de fait. 

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Parmi les mécanismes de financement innovants, le crowdfunding, qui permet de collecter des fonds auprès d’un large public. Le cadre législatif du crowdfunding est en cours d’adoption à la Chambre des représentants.  Crédit: Simon Cunningham/Flickr

Le « crowdfunding », ou financement participatif, permet la récolte de fonds par les internautes. Populaire partout dans le monde (et de plus en plus au Maroc), le crowdfunding peine toujours à trouver un cadre légal dans le royaume. Réclamé depuis des années par des militants, ce type de financement aura bientôt droit de cité dans la législation marocaine.

Les mentalités semblent évoluer et le gouvernement s’implique. Lors une conférence intitulée «Crowdfunding, catalyseur de l’innovation et de l’entrepreneuriat», organisée le 22 mars par l’ambassade des Etats-Unis au Maroc en partenariat avec le magazine « Économie & Entreprises », Driss El Azami El Idrissi, ministre délégué auprès du ministre de l’Économie et des finances chargé du Budget, a annoncé que le développement d’un cadre juridique est en cours pour introduire le crowdfunding dans l’écosystème marocain. Selon lui, légaliser le financement par la masse pourrait « libérer le potentiel entrepreneurial des jeunes, stimuler l’emploi et réduire les inégalités sociales ». Jason Best, l’un des initiateurs de la loi sur le crowdfunding aux Etats-Unis, estime en effet qu’en élargissant l’accès aux capitaux au plus grand nombre, les pays à revenus moyens pourraient faire un énorme bond en avant. Aux États-Unis, « 76% des sociétés ayant eu recours au crowdfunding ont pu augmenter leurs ventes, 60% d’entre elles ont pu participer à la création de nouveaux emplois et un tiers s’est vu attribuer un investissement extérieur », a-t-il déclaré à la conférence.

Crowd… quoi ?

Le crowdfunding, ou financement participatif, consiste à avoir recours à la générosité de personnes morales et physiques pour financer un projet. Qu’il s’agisse d’une cause humanitaire, d’une start-up ou d’un projet artistique, la récolte de fonds se fait auprès d’internautes impliqués par la cause via des plates-formes de financement participatif (kisskissbankbank, kickstarter, ulele, indiegogo, entre autres.) Un mécanisme qui permet à tout un chacun d’accéder à des capitaux nécessaires pour le lancement d’un projet.

Au Maroc, il n’y a actuellement aucune loi encadrant le recours au financement participatif. Au contraire, différentes législations, comme par exemple celles régissant les appels aux dons ou les appels publics à l’épargne, empêchent l’exercice légal du crowdfunding puisque toute demande d’appel à la générosité publique doit, au préalable, obtenir l’autorisation du Secrétariat général du gouvernement.

Les précurseurs qui bravent l’interdit

Malgré ce vide juridique, différentes plates-formes ont vu le jour en s’adaptant, d’une manière ou d’une autre, au cadre législatif actuel. La plate-forme « Smala & Co », par exemple, a décidé de s’installer en France où une législation régit le crowdfunding depuis 2014, nous explique Arnaud Pinier, co-fondateur de la plate-forme.

La plate-forme Cotizi, quant à elle, a décidé de ne pas quitter le territoire marocain pour exercer ses activités.  Elle s’est tout simplement adaptée au contexte juridique, en développant un système où les associations n’ayant pas eu l’autorisation du Secrétariat général du gouvernement peuvent demander à Cotizi de récolter les fonds en leur nom. La société leur fournit ensuite, non pas le montant en cash, mais directement les biens ou services pour lesquels l’argent a été récolté.

Une étude menée par Smala & Co démontre que ce n’est pas en tout cas l’enthousiasme pour le financement participatif qui manque au Maroc. Depuis 2010, 4,5 millions de dirhams ont été récoltés sur une douzaine de plates-formes (marocaines et internationales confondues) pour soutenir la réalisation de projets marocains. La plupart d’entre eux relèvent du domaine associatif et social. A titre d’exemple, 302 688 dirhams avaient été récoltés sur Cotizi pour le projet #100dhpouraider. La campagne souhaitait mobiliser la population marocaine pour venir en aide aux victimes des inondations qui avaient dévasté les régions du sud en 2014. Grâce à la plate-forme de financement participatif, plus de 1000 contributeurs et quelques grandes entreprises (Saham Group, Méditel…) ont participé à la naissance d’une véritable vague de solidarité.

Lire aussi :  Inondations. Exceptionnel élan de solidarité autour de #100dhpouraider

A quoi ressemblerait ce cadre législatif ?

Au bout de trois ans de militantisme, un groupe de travail (regroupant tant des acteurs du secteur que des membres de la banque centrale ou de l’ambassade américaine) parvient enfin à envoyer la balle dans le camp du ministère de l’Economie et des finances. Reconnaissant qu’une telle activité nécessite un cadre juridique (principalement pour empêcher que le concept soit utilisé à des fins illégales),  le ministère travaille actuellement sur l’esquisse de projet de loi qui lui a été remise. « Je ne sais pas quand ils auront une monture finale qu’ils mettront dans le circuit parlementaire, mais a priori ça devrait se faire dans les prochaines semaines ou les prochains mois. », nous confie Omar Sayarh, membre du cabinet d’avocats Sayarh & Menjra qui a également participé à l’élaboration du projet de loi.

Hicham Talby, chef de la division du financement sectoriel et de l’inclusion financière au ministère de l’Économie et des finances, a donné pour sa part un aperçu de ce à quoi pourrait ressembler ce projet de loi. Ses principaux enjeux seraient tant de délimiter les champs du crowdfunding (au niveau du domaine des projets, mais aussi au niveau des plafonds de financement) que d’établir un cadre juridique conjuguant sécurité des intervenants et des transferts. Selon Omar Sayarh, la priorité revient à la levée des restrictions juridiques  qui existent actuellement dans la loi marocaine. Le groupe de réflexion a estimé que les lois concernées ne devront pas être supprimées, mais qu’elles devront déroger vers d’autres articles de loi quand il s’agit du financement participatif.

« On déroge, mais on réglemente. » Pour assurer la sécurité de tous, l’avocat explique qu’une régulation devra se faire tant en amont qu’en aval. Les recommandations qui ont été remises au ministère énumèrent un certain nombre de critères auxquels les porteurs de projets devront obligatoirement répondre : être titulaire d’un diplôme, conclure des contrats avec les investisseurs, lancer la campagne sur une plate-forme agréée par une autorité de tutelle, respecter les seuils et plafonds…

Un concurrent pour les banques?

L’économiste marocain Zouhair Ait Benhamou nous confirme qu’un cadre légal du crowdfunding pourrait véritablement booster l’investissement et finalement créer de l’emploi et réduire le chômage. Un véritable levier économique donc ? Zouhair Ait Benhamou est mitigé. Tout dépendra de la manière dont la législation finale prendra en considération les grandes banques qui, selon lui, verront obligatoirement dans le crowdfunding un concurrent de taille. « Si le gouvernement décide de se baser sur les  grandes banques, celles-ci vont phagocyter le concept même du financement participatif. Un montant minimal à avancer pour lancer un projet, par exemple, exclura une foule d’individus d’avoir accès à ce type de financement, aussi faible soit-il. »

Pour Omar Sayarh, au contraire, les banques ne devront pas s’inquiéter au sujet d’un nouveau concurrent.  Il estime que les deux principes de financement ne visent pas le même marché puisque les personnes qui se tournent vers un financement alternatif sont celles qui n’ont pas trouvé de soutien auprès des systèmes financiers traditionnels. « De plus, rien n’empêche que les banques de créer leurs propres plates-formes. D’après mes informations, elles sont effectivement très intéressées. Peut-être que ce n’est pas conforme à l’idée initiale du crowdfunding, mais voilà. C’est un marché ouvert, c’est le jeu de la libre concurrence. » La législation sur l’introduction du crowdfunding sera-elle teintée d’un penchant un peu trop libéral pour être fidèle aux principes du crowdfunding ? Seul l’avenir nous le dira.

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