À l’épreuve du temps. Les métamorphoses du jihadisme

Par Abdellah Tourabi

Tout a commencé le 24 décembre 1979. Ce jour-là, les troupes de l’Armée rouge soviétique ont envahi l’Afghanistan sous prétexte de soutenir le régime communiste de Kaboul. La boîte de Pandore est ouverte. Et, depuis, elle ne s’est plus refermée. Le jihad mondialisé est né d’un événement qui se déroulait aux confins du monde musulman, dans des montagnes que peu de Marocains, Égyptiens ou Saoudiens pouvaient à l’époque situer sur une carte. Mais peu importe, des milliers de jeunes musulmans, en quête de sens et d’affirmation, ont afflué vers l’Afghanistan pour en découdre avec l’ “ennemi” communiste, impie et imbu de sa puissance. Les prouesses des moudjahidine afghans et des combattants arabes qui ont participé à la guerre seront glorifiées et portées aux nues dans le monde musulman. L’auteur de ces lignes se rappelle des regards admiratifs de ses camarades de collège à Casablanca, lors des visionnages collectifs des cassettes VHS faisant l’éloge du jihad en Afghanistan. Un conflit qui se déroulait à des milliers de kilomètres, mais qui faisait vibrer des cœurs et mobiliser des gens. Personne ne se doutait que d’une terre si lointaine émergeraient un monstre et une idéologie en perpétuelle métamorphose. En une trentaine d’années, le jihadisme global a mué. D’un appel d’aide à des populations musulmanes en détresse, il est devenu un réseau de terreur et de désolation. Un essaim de cellules et d’individus prêts à mourir et à emporter dans le sillage macabre de leurs actes des personnes innocentes qui ont eu le malheur d’être au mauvais endroit au mauvais moment.

Il est opportun de constater que les premières générations de jihadistes, en Afghanistan ou en Bosnie, bénéficiaient d’une sympathie auprès de larges pans des populations au sein du monde musulman. Malgré leurs idées rigoristes et rétrogrades, ils représentaient, aux yeux de nombreuses personnes, un idéal de courage et de justice. Au fil du temps et des années, ce courant violent et radical s’est coupé petit à petit de ses coreligionnaires. La violence aveugle d’Al Qaïda et les monstruosités absurdes de Daech ont fini par rebuter les musulmans. Le jihadisme n’est plus un moyen de défense ou une réponse à une agression, il est devenu une folie meurtrière et une destruction injustifiée et incompréhensible de vies humaines. Pour les fidèles de l’islam, rien ne pouvait expliquer ou faire accepter une telle violence. Le désarroi, chez les musulmans, explique probablement le succès des thèses conspirationnistes qui ne voient dans les attentats terroristes que machination et complot des services occidentaux. Pour le commun des musulmans, un fidèle normalement constitué ne peut pas tuer des innocents au nom de la religion. Et pourtant, c’est bien le cas. Les opérations terroristes, dont celles de Bruxelles et Paris, ont épuisé toute sympathie envers l’idéologie jihadiste. Celle-ci continuera à recruter au sein d’une infime minorité de jeunes en recherche de sensations fortes et de repères. Mais la majorité des musulmans regarde désormais avec mépris et dégoût ces apôtres de la mort et du sang.