Au Maroc, les vins nouveaux de l’ancien monde

Autrefois terre de vin, le Maroc garde un potentiel, peu exploité, pour produire des vins de qualité. Survol du vignoble et conseils de dégustations.

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Dans l’antiquité, les vins marocains étaient parmi les plus prisés sur les tables romaines. Au milieu des années 50, le Maroc produisait jusqu’à 5 millions d’hectolitres de vin par an. La cave d’Aït Souala était même l’une des plus grandes au monde, en termes de volume, il y a encore une trentaine d’années. Aujourd’hui, la production de vins marocains plafonne à 350 000 hectolitres et les cuvées du Maroc restent discrètes à l’international. Pourtant, le royaume offre des terroirs d’exceptions, reconnus par les spécialistes internationaux. La Wine Society, la plus ancienne société de vin anglaise — elle date du XVIIe siècle — achète du vin marocain pour le revendre sur le marché anglais. On sert même quelques rares vins marocains au Ritz. Le potentiel qualitatif du vin marocain est indéniable, mais reste modestement exploité et valorisé.

Le cadeau d’Hassan II

Après l’indépendance, avec le départ des colons viticulteurs et la nationalisation des terres, le vin marocain était sur le déclin et les vignes abandonnées quand elles n’étaient pas arrachées. Néanmoins, depuis le début des années 1990, la viticulture marocaine emprunte, lentement, le chemin d’un renouveau. C’est à cette époque qu’Hassan II fait marcher ses anciennes relations estudiantines bordelaises pour attirer dans le royaume les professionnels du vin qui souhaitent investir pour renouer avec un vignoble marocain de qualité. Les groupes français Castel, William Pitters et Taillan répondent présents. Mais le renouveau du vin du pays passe également par un Marocain incontournable, Brahim Zniber. « Après avoir accordé des facilités aux Bordelais, le roi l’a appelé, » rapporte M, le Magazine du Monde en septembre 2010. « Je t’ai oublié, Brahim. Je vais te donner 1 100 hectares de vignes et tu n’auras pas à t’associer avec les entreprises publiques », lui aurait dit Hassan II, d’après la rumeur que confirme l’intéressé. Les Celliers de Meknès de Brahim Zniber produisent aujourd’hui quelque 30 millions de bouteilles par an sur une production nationale de 55 millions. En plus d’être l’acteur principal du vin marocain, Brahim Zniber est à l’origine de la première AOC du pays, Les Coteaux de l’Atlas, et du premier château, Château Roslane.

Fini le « vin couscous » 

« Le Maroc n’a jamais autant exploré qu’aujourd’hui le champ des possibles en termes de cépages, d’assemblages, et d’utilisation de la technologie », analyse Boris Bille, qui était le premier sommelier à exercer son métier au Maroc il y a 20 ans, aujourd’hui conseiller auprès de Grand Sud Import. Pourtant, la part de l’exportation reste très faible. C’est qu’une grande partie de la production s’écoule sur le marché intérieur. Il n’y a pas non plus de réelle volonté de s’exporter. Dans les salons internationaux, le Maroc n’a pas de stand. Lorsque les producteurs marocains s’associent pour y être représentés, ils s’arrangent avec l’Italie. Le vin marocain souffre aussi de son image de « vin ethnique », notamment dans les pays francophones. Grosso modo, en France, on pense que le vin marocain c’est un Boulaouane que l’on boit avec un couscous. Le préjugé est solidement ancré, et c’est notamment pour le défaire que Boris Bille et Michèle Chantôme, secrétaire générale de l’Association de la sommellerie internationale, ont créé l’Association des sommeliers du Maroc (ASMA) en 2012. C’était alors la première association de sommellerie d’Afrique. Elle rassemble aujourd’hui une vingtaine de sommeliers, majoritairement marocains, qui participent à faire connaître les vins marocains à l’étranger. C’est en partie grâce à eux que lors de l’édition 2015 de Vinexpo, un des principaux salons du vin au monde, la revue Sommellerie internationale tirait à 50 000 exemplaires un numéro spécial Maroc.

Éducation et modération

Un autre objectif de l’ASMA est de susciter des vocations chez les jeunes professionnels du service marocains, notamment par la formation. Car dans les écoles d’hôtelières, on enseigne que de manière superficielle des éléments d’introduction au monde du vin, malgré la curiosité de certains qui n’hésitent pas à se former sur internet. Cette méconnaissance participe au fait que le vin ne soit que rarement considéré comme un produit de dégustation et de plaisir modéré. En outre, très peu de restaurateurs marocains embauchent des sommeliers et investissent dans la constitution d’une cave. Pourtant, la vente de vin est extrêmement rentable pour un restaurateur. Lorsqu’on sert une bouteille de vin, il n’y a pas de transformation et la valeur ajoutée réside dans le service et le conseil.

Localement, le vin marocain connaît un autre frein. Son prix. S’il coûte cher au moment de passer en caisse, c’est que le vin marocain est également cher à produire. « Il est fait le plus naturellement possible, tout est manuel. Au moment des vendanges, c’est une centaine de personnes qui travaillent dans les vignes », explique Boris Bille. Le climat fait aussi que la production de vin est gourmande en énergie. « Il faut beaucoup d’eau dans les vignes, et beaucoup d’électricité pour travailler les vins à froid pendant la vinification », précise-t-il encore. Par ailleurs, tous les produits œnologiques (intrants, levures…) sont importés. Même les bouteilles et les bouchons viennent de l’étranger. Car si la forêt de la Maâmora pourrait offrir une belle réserve de liège, la majorité des producteurs se sont tournés vers le confort des bouchons synthétiques.

À l’international, le vin marocain gagnerait à renouveler son image en misant sur son marketing. Localement, c’est l’éducation à la dégustation et à la modération qui pourrait rendre ses lettres de noblesse au vin national. Sur ces deux terrains, le vignoble marocain peut compter sur la gastronomie de terroir. Comme le rappelle Boris Bille, « le premier accord met-vin est régional ». Et ça tombe bien, car la notion de terroir fait elle aussi son bout de chemin. Les lentilles de Zaers, les huîtres de Dakhla, le safran d’Askaoum… Autant de produits du terroir que l’on se plaira à associer au produit du vignoble marocain.

Les principaux cépages marocains

Mythique — Le muscat d’Alexandrie
Cépage emblématique du pourtour méditerranéen, les Romains l’appelaient le raisin des dieux. Couleur or, gorgé de sucre, dans l’Antiquité il était cultivé, et l’est toujours, dans la région de Berkane.

Historiques — L’alicante-Bouschet, le carignan, le cinsault et la grenache
Il est arrivé que ces cépages marocains viennent compléter la production européenne pour l’assemblage de « vins médecins » au nord de la méditerranée.

À la mode — Le cabernet sauvignon, le chardonnay, le sauvignon, le merlot.
Les classiques des années 90-2000.

La nouvelle vague — Le marselan, la roussane, le malbec, le tannat, le vermentino, le tempranillo

La terre de prédilection — La syrah

Les principales régions viticoles

Berkane
Entre la Méditerranée et la chaîne des Monts de Beni Snassen, Berkane est le terroir méditerranéen par excellence. La brise marine, les nuits fraîches et la terre minérale confèrent aux vins de la région beaucoup de fraîcheur. Les vins de la région reste néanmoins confidentiels.

La plaine de Meknès
C’est la capitale des vins marocains. Aux pieds de l’Atlas, c’est là que 60 % de la production viticole marocaine profite de l’altitude, de l’ensoleillement et des températures clémentes propices à la vigne. La région regroupe les appellations d’origine garantie (AOG) Guerrouane et Beni M’Tir ainsi que la première AOC marocaine, Les Coteaux de l’Atlas, sous l’impulsion de Brahim Zniber.

La région de Rabat
À 400 mètres d’altitude, par des températures clémentes grâce à la proximité de l’océan et des contreforts de l’Atlas, le plateau des Zaers surplombe la vallée de Rommani à l’abri du chergui.

Essaouira
C’est la région viticole la plus proche de l’Équateur. Les prochains domaines quand on poursuit vers le sud se trouvent en Afrique du Sud. Elle est née de la volonté d’un vigneron, Charles Mélia, d’implanter les cépages de la Vallée du Rhône utilisés pour l’assemblage du Châteauneuf-du-Pape, dans son domaine du Val d’Argan.

Le terroir des Doukkala
C’est le terroir historique depuis la plantation de vignes à l’époque portugaise. En 1994, ses vieilles vignes ont été arrachées pour laisser place à des cabernets sauvignon, merlot, cinsault, syrah et grenache gris qui donne l’emblématique vin gris de Boulaouane, la marque de vin étranger la plus vendue en France.

Les coups de cœur de Boris Bille

Boris Bille a été chef sommelier de l’Hôtel Meurice à Paris. Lorsqu’il est arrivé au Maroc il y a une vingtaine d’années, il n’était que deux sommeliers dans le royaume : lui et celui de la Mamounia. Depuis 20 ans, il sillonne le vignoble marocain à la rencontre des vignerons et promouvoir leur travail à l’international. De la vigne au service à table, en passant par la confection d’étiquette et l’élaboration de cartes des vins pour des restaurateurs, il est intervenu à toutes les étapes de la vie d’un vin. En 2012, il a cofondé l’Association des sommeliers du Maroc, la première d’Afrique. Aujourd’hui, il conseille Grand Sud Import qui importe des vins et des spiritueux pour les hôtels et restaurants et s’apprête à ouvrir une boutique à Casablanca.

Le rouge
Tandem
Domaine des Ouled Thaleb – Alain Graillot

« C’est la cuvée emblématique, la plus connue à l’étranger par les sommeliers et les amateurs. Le premier millésime date de 2005. C’est une sélection des meilleures parcelles de syrah du Domaine des Ouled Thaleb à Benslimane et élevée en futs de chêne. Pour l’anecdote, aux États-Unis et au Canada, il s’appelle Syrocco parce que Tandem était déjà pris. La majorité des bouteilles sont destinées à l’exportation et se retrouvent sur de très belles tables. »
L’accord mets-vin : « Dans sa jeunesse, c’est un vin où l’on sent beaucoup de fruits rouges, donc un magret de canard avec une sauce aux cerises de Sefrou, ou une belle tarte aux fraises en saison, pourquoi pas la volaille rôtie. En vieillissant, il gagne en rondeur et s’épice, on peut alors aller sur de l’agneau, une bonne tanjia marrkachie, une côte de bœuf. Avec un lièvre à la royale, on prendra beaucoup plaisir avec un Tandem 2007 servi à 16 °C »

Le blanc
Terres Blanches
Domaine de la Ferme Rouge — Jacques Poulain

« C’est une cuvée d’assemblage (sauvignon, chardonnay et viognier) qui développe des arômes assez complexes avec des notes de pêche et d’abricot et une belle tenue. L’un des meilleurs vins blancs marocains, riche et puissant ».
L’accord mets-vin : « Avec des produits de la mer à chair : du homard, de la langouste de Dakhla, des langoustines de Larache, du bar, du turbo. Il peut également vous surprendre avec un tagine de volaille aux citrons confits ou, dans un registre plus européen, une belle volaille avec quelques morilles d’Ifrane à la crème fraiche. »

Le gris
Volubilia gris
Domaine de la Zouina — Philippe Lespy et Christophe Gribelin

« C’est un joli domaine de deux vignerons bordelais arrivés au Maroc au milieu des années 90. Ils font de très belles cuvées en gris et en rosé. Ce sont des vins frais, fruités. De plaisir et de gourmandise. Des vins d’été en somme. »
L’accord met-vin : « Avec quelques sardines grillées au bord d’un port, avec des glaçons dans une piscine »

Le moelleux
Grain d’or
Domaine des Trois cavaliers — Denis Tissot

« C’est une rareté au Maroc. Un vin fait à partir du muscat d’Alexandrie, un raisin or, gorgé de sucre et que les abeilles adorent et que les Romains adoraient, élaboré dans la tradition des grands vins des îles éoliennes ou italiennes. C’est sucré, gorgé de soleil, avec des notes de miel, d’abricot, de fruits confits, maiil garde de la fraîcheur. Il est vendu en demi-bouteille donc très accessible. »

L’accord met-vin : « En apéritif avec des toasts de foie gras, ou en dessert avec des mendiants aux raisins ou des pruneaux. »

L’incontournable
Château Roslane – Rouge et blanc
Les celliers de Meknes – Brahim Zniber
AOC Les Coteaux de l’Atlas

« Un vin élaboré avec philosophie, par un fervent défenseur du vin marocain »

L’original

Domaine du Val D’Argan — Charles Mélia

« Le Châteauneuf-du-Pape a la particularité de permettre d’assembler jusqu’à 13 cépages différents. Charles Mélia a ramené ces cépages rhodaniens pour recréer un peu de Châteauneuf-du-Pape à Ounagha, à côté d’Essaouira. Malgré les contraintes climatiques, c’est un vin très intéressant qui permet en plus de valoriser le terroir. »

Les bonnes adresses…

… à Marrakech

Le 68
68, rue de la Liberté

Sans doute le premier vrai bar à vin au Maroc. Essentiellement des vins étrangers, mais quelques vins marocains à prix doux. Une cuisine à base de charcuterie porcine, d’huîtres de Dakhla et des fromages d’Éric Meignat à compagne une carte d’une soixantaine de références renouvelées tous les 15 jours. Une bonne manière de faire des découvertes, des vins de cépages aux grands crus classés. Ouvert il y a quelques mois, Le 68 tourne déjà à plein régime. Penser à réserver.

La Mamounia
Avenue Prince Moulay Rachid

Incontestablement la plus belle cave du Maroc, car l’établissement est historique. Ouvert en 1923, l’hôtel conserve de vieilles bouteilles. Le chef sommelier, Michael Rodriguez, accompagné de huit jeunes sommeliers, conseille aux clients de grands vins marocains, mais aussi des vins de vignerons français, et des grands crus (Pétrus, Margaux, Mouton Rothschild, Romanée-Conti…). La Mamounia a même une cuvée exclusive de La Ferme Rouge, produite à moins d’un millier de bouteilles : Icône.

… à Rabat

Les Vignes de l’Agdal
61 rue Sebou

Laurent, un véritable chineur de crus, conseille les chalands depuis huit ans parmi la gamme allant de la bouteille de vin français à 60 dirhams au Mouton Rothschild.

… à Casablanca

Le Peter’s
Villa Gapi, Bd F. Roosevelt

Le restaurant a ouvert le 26 décembre avec l’une des plus belles cartes de vins de Casablanca : une sélection de grands vignerons pour tous les budgets, des grands crus (Angélus, Cheval Blanc…) ainsi qu’une sélection de vins marocains. Le chef Erico Delgado proposera une cuisine bourgeoise dans un lieu intime et convivial. Une belle adresse pour le vin et le terroir marocain.

La Boutique
Par Grand Sud Import
19 rue Anoual
Depuis 1991, Grand Sud Import conseille ses clients en vins du monde, champagnes et eaux de vie au Maroc. Des amis à dîner, un cadeau à offrir, un accord mets et vins, un événement à fêter… Le plus grand choix de vins du monde à Casablanca.

… à Agadir
Uniprix
Avenue Hassan II, en face de la place de l’Espérance

Uniprix propose jusqu’à 1000 vins différents, de 50 à 5000 dirhams. De père en fils, Youssef vous accueille dans un bazar où l’on vend aussi de l’artisanat marocain. Tous les vins du Maroc. Les amateurs y accourent pour son Château d’Yquem à prix doux, et ses champagnes que l’on ne trouve nulle part ailleurs.

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