Exclusif : Ikea Maroc au bord de l’implosion

Le fiasco de l’ouverture du magasin Ikea de Casablanca, sur fond de crise diplomatique avec la Suède, révèle désormais de graves manquements de la part du top management sur place. Révélations.

Par et

Crédit: AA.

Rien ne va plus chez Ikea. L’enseigne d’ameublement suédoise devait ouvrir son premier magasin marocain fin septembre 2015 à Zenata, entre Casablanca et Rabat. À la veille de l’inauguration, alors qu’Ikea présentait son magasin à la presse, l’ouverture a été bloquée par les autorités marocaines. S’agissait-il d’une réponse diplomatique au projet d’un parti suédois de reconnaître l’autoproclamée RASD ?

La préfecture de Mohammedia argue que le magasin n’est en fait pas en mesure d’obtenir le « certificat de conformité » indispensable à l’accueil du public. Depuis, aucune nouvelle date n’a été communiquée pour une prochaine ouverture. Et pour cause. Les choses vont de mal en pis chez Ikea. Voilà bientôt cinq mois que près de 400 employés d’Ikea se rendent tous les jours au magasin qui reste désespérément clos. Plusieurs d’entre eux ont accepté de nous parler, sous couvert d’anonymat, de la situation en interne. La direction d’Ikea Maroc n’ayant pas souhaité répondre à nos questions après deux semaines de relance, nous livrons les éléments des salariés qui se recoupent. Ces derniers s’apprêtent à passer à l’action pour dénoncer les agissements d’une partie du top management espagnol qui, dépassée par les évènements, fait vivre un enfer aux employés.

La coupe est pleine

C’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Le 6 février, entre 150 et 200 salariés sont convoqués dans une salle du magasin. Un samedi matin, alors qu’aucun ne travaille habituellement le week-end. Faute de sièges, une bonne partie d’entre eux doit s’asseoir à même le sol. Auparavant, d’autres réunions du personnel s’étaient tenues dans des salles plus adaptées, et une collation avait été proposée aux employés contrairement à cette fois.

Sur un ton autoritaire et paternaliste, on les informe que la réunion prendra du temps et qu’il faudra demander la permission avant de prendre une « pause pipi ». Le détail a son importance. S’en suit un long discours de Marcos Agudo, directeur du magasin. Ouvrira, ouvrira pas ? La réponse n’est pas claire. Certains salariés prennent des pauses, les uns pour se rendre aux toilettes, d’autres pour fumer une cigarette ou boire un verre d’eau. Le détail a son importance. La journée se termine sans que les salariés n’en sachent vraiment plus sur le sort du magasin et de son hypothétique ouverture.

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Stupeurs et tremblements lundi matin lors de la reprise. Au moins une quarantaine d’employés, dont des managers, sont convoqués par leur hiérarchie. On leur adresse un avertissement écrit, première étape vers un licenciement pour faute grave. Motif ? Lors de leur « pause pipi » du samedi, ils ont fumé une cigarette ou ont bu un verre d’eau. Léger, mais inutile de le nier, on les a vus grâce aux caméras de vidéosurveillance, celles qui sont censées assurer la sécurité du magasin.

La situation devient compliquée pour Marino Magnato, le PDG d’Ikea. Chaque semaine qui passe sans accueillir de clients, Ikea a un manque à gagner d’un million de dirhams de chiffre d’affaires, estime une source interne. Pour faire des économies, le prestataire qui effectuait le nettoyage du magasin a déjà été remercié, et c’est aux employés d’Ikea, recrutés comme vendeurs ou caissier, que l’on demande de nettoyer les toilettes à tour de rôle. D’autres sous-traitants (maintenance, gardiennage) ne seraient plus payés non plus.

Contre-attaque

Les problèmes n’ont fait empirer avec la non-ouverture du magasin. La faute au Maroc donc, qui fait pression sur la question du Sahara ? Pas uniquement. « Il était attendu et normal que l’on n’ouvre pas à la date prévue, car nous n’étions pas prêts », affirme un ex-employé qui a quitté l’entreprise entre-temps. Selon lui, plusieurs aspects n’étaient pas encore réglés, notamment en matière de sécurité. « Les sorties de secours n’étaient pas encore finalisées, le système anti-feu n’a jamais été testé, même l’entrée n’était pas aux normes prévues. Elle a été construite quelques jours avant la présentation à la presse et on a dû construire un mur à côté pour cacher les travaux non achevés », se rappelle notre source.

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Mais il pourrait également s’agir d’une affaire d’ego. Il se murmure que lors d’une soirée en société, Magnato aurait tenu des propos qui ne seraient pas passés auprès de notables marocains présents. Le PDG aurait expliqué, en substance, « qu’il suffisait d’avoir de l’argent et un minimum de jugeote pour réussir au Maroc ». La scène, s’il n’est pas aisé d’en vérifier l’authenticité et encore moins d’en affirmer les conséquences, colle avec le portrait que les salariés dressent du personnage et qui suscite leur ras-le-bol. Ils reprochent au PDG et à ses plus proches collaborateurs une attitude autoritaire « qui ne cadre pas avec l’esprit Ikea aux valeurs bien ancrées ». Et cela bien en amont de la non-ouverture du magasin : exclusion des hauts cadres marocains, monopole de la prise de décision et même « asservissement des salariés marocains ». C’est ce qui pousse les salariés à commencer à s’organiser pour faire valoir leurs droits, et permettre l’ouverture du magasin.

Sous haute surveillance et en l’absence de représentants du personnel – les nouvelles entreprises en sont dispensées les deux premières années -, les salariés préparent leur réponse. Ikea Inter System, l’entité basée aux Pays-Bas qui gère les franchises de la marque à travers le monde, a été saisie de l’affaire. La sanction pourrait aller jusqu’au retrait de la franchise.

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