Ta vie en l'air. Carnages en décembre

Par Fatym Layachi

Le dernier mois de l’année commence. C’est l’hiver et même si le réchauffement climatique rend le thermomètre un peu dingue, il fait froid dans ton cœur. Et dire que c’est censé être la joyeuse période des fêtes. Cette année a commencé par des assassinats sauvages en plein Paris et se termine dans l’horreur mondialisée. Sur ton écran de télé, au coin de la rue, au bout du monde, quasiment tous les jours il y a des attentats, des tueries, des carnages, des morts, des blessés, du sang, des larmes et des cris. Et puis cet état d’alerte maximum dont tout le monde parle. A chaque cellule terroriste démantelée tu te dis “on a évité le pire”. En t’attendant au pire. A encore pire.

Décembre, normalement mois de trêve, de paix et de rassemblement. Mais cette année quelques-uns en ont décidé autrement. Et pour ne pas se sentir en reste, le reste de l’humanité, ou plutôt l’humanité qui reste, voudrait bien agir et ne sait pas quoi faire. Du coup, elle réfléchit. Trop vite.

Et puis, bien évidemment, chacun a un avis qu’il croit pertinent et qu’il fait tenir en un tweet. Tout le monde a un article qu’il croit exclusif à partager sur Facebook. Et assez vite, beaucoup se jettent dans l’analyse. Parfois fine, souvent banale, et quelquefois totalement tarabiscotée ou complotiste. Et encore cette même course, forcément indécente, au likes ou au retweet.

Toute personne équipée d’un smartphone et d’une 3G à peu près convenable se prend pour un commentateur averti. Tant mieux. Ou tant pis. Ce matin, tu t’en fous. Ce matin, tu es là, face à une femme. Une femme sublime. Une femme à la joue gauche un peu écorchée. Ses yeux sont clos. Son visage entouré de blanc. Elle a l’air paisible. Elle est morte. Elle a été sauvagement tuée par des monstres, par des barbares. Une femme morte. La fille de ses parents. La sœur de ses frères. L’amie d’une bande de copains. La cliente d’un café. Une voisine. Pas encore eu le temps d’être une mère. Sur son cercueil est inscrit “1980-2015”. Elle s’appelait Hodda. Mais il y en a tellement d’autres. Pierre, Amine, Sarah, John, Awa, Jessica, Lola, Nadia, Sophie, Krystle, Martin, Becky, Halima… l’année dernière, le terrorisme a tué 32 658 personnes un peu partout sur la planète. 32 658 personnes mortes à cause de monstres sanguinaires. 32 658 hommes, femmes, enfants. 32 658 familles brisées. 32 658 foyers endeuillés. 32 658 amoureux inconsolables. 32 658 bandes de potes traumatisés. 32 658 vies arrachées. Ça n’a pas de sens. C’est cruel.

Et aucune de ces explications ne pourrait donner du sens à cette horreur. Parce qu’aucune logique ne peut « expliquer » l’inhumanité. Alors les théories, qu’elles soient du complot ou même très brillantes, tu t’en fous. Face à toi, il y a un corps sans vie. Et autour, des gens qui pleurent, des âmes brisées pour toujours. Et aucune des théories ne ramènera Hodda, ni ces 32 658 personnes. Le terrorisme: ce mot qui hante le quotidien. Cette notion abjecte. Et des centaines de lignes écrites pour comprendre, expliquer, des débats, des heures de palabres qui décryptent, analysent. Une panique qui se propage dans toute la société parce qu’aujourd’hui il faudrait apprendre à “vivre avec”. Ce serait donc ça le mal du siècle? Mais comment apprend-on à vivre avec? A vivre en se souvenant qu’on va peut-être mourir de façon absurde.