Fatema Mernissi, adieu à la pionnière de la cause féminine

Fatema Mernissi n’est plus. Pourfendeuse du patriarcat, elle était une pionnière de la sociologie et une grande dame qui contribuait à donner espoir.   

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Vive émotion ce lundi matin à l’annonce de la disparition de Fatema Mernissi. C’est une immense voix de la sociologie et de la cause féminine qui s’est éteinte ce 30 novembre à Rabat. Une voix rauque et chaude, une voix libre.

Fatema Mernissi était une pionnière. Après avoir soutenu sa thèse de sociologie aux États-Unis en 1974, elle a fait partie des professeurs phares de l’Université Mohammed V de Rabat, aux côtés de Abdallah Laroui et Abdelkebir Khatibi. Elle a été une des premières à mettre des mots sur les maux des femmes et à prendre la plume pour pourfendre le patriarcat.

 Disparition d’une conteuse

Forte de son immense culture autant en arabe qu’en français et en anglais, elle a puisé dans le patrimoine classique et l’histoire contemporaine pour fourbir ses arguments. Pour plaider la justice en invitant à relire ces textes arabes anciens, ces références de la culture musulmane, et y a retrouver une source d’humanisme et de modernité. Son savoir et ses convictions, elle les a mises au service de la société civile, dans laquelle elle s’est engagée en fondant les « Caravanes civiques » et le collectif « Femmes, familles, enfants ».

Elle a touché les cœurs par son style frais et incisif, plein d’humour et de vivacité. C’est que Fatema Mernissi était une conteuse. Nourrie des Mille et Une Nuits, elle nous faisait revivre, dans Rêves de femmes, une enfance au harem (Le Fennec, 1997, traduit dans 25 langues) ses souvenirs d’enfance à Fès, à l’ombre de la Qaraouiyyine, lieu tant de culte que de savoir. Elle y brossait le tableau idéal d’une ville ouverte au monde et aux idées. Elle savait vous emporter dans le souffle du récit, comme sur les ailes du simorgh, l’oiseau fabuleux de Farid Al-Din Attar, vous faire rêver en déployant un luxe de précisions et de détails, comme dans son livre sur Les cinquante noms de l’amour (Marsam, 2011), inspiré d’Ibn QayyimAl-Jawziyya. Elle savait le pouvoir de l’imagination et en usait pour atteindre ses lecteurs. Leur ouvrir les yeux, les émouvoir et les faire réfléchir à la fois.

 Généreuse envers les jeunes

Fatema Mernissi, c’était une intelligence toujours à vif. À l’affût de toute nouvelle sensibilité, curieuse de tout ce qui pouvait tomber sous son œil, livre, revue, article, parution, phénomène de société… tout l’interpellait, tout méritait son attention. Elle était ravie de l’arrivée massive des femmes dans les médias, enchantée de voir bouger les lignes entre les sphères publique et privée grâce aux avancées technologiques, fascinée de la débrouillardise et de la créativité des plus démunis.

Tous se souviendront de son immense générosité envers les jeunes. Toujours au premier rang des rencontres-débats, jamais avare d’un encouragement, d’une réflexion constructive, elle savait tirer le meilleur de chacun. Elle animait depuis plus de trente ans des ateliers d’écriture qui ont débouché sur de nombreux ouvrages collectifs, sur les anciens prisonniers politiques, sur les femmes journalistes, sur la violence des jeunes, etc. Car pour elle, écrire était une urgence, une nécessité vitale. Pour faire reculer les préjugés, apaiser les peurs face à un monde en mouvement. Pour que jamais on ne baisse les bras. Pour ouvrir la voie à l’espoir.

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