Zakaria Boualem n’arrive pas à détester les Suédois

Par Réda Allali

Il faut que Zakaria Boualem vous avoue un truc. Il aimerait bien l’écrire en petit parce que ça risque de lui créer des problèmes, mais les règles de typographie sont ici très strictes. Il n’arrive pas à détester les Suédois. Voilà. On a beau lui expliquer que ces félons se préparaient à commettre une terrible forfaiture, ça ne passe pas. Il faut dire qu’on parle ici d’un des rares peuples du monde sans ennemis connus. Ils n’ont colonisé personne, tenté d’exterminer aucun peuple, volé aucune Coupe du Monde, asservi peu de monde et balancé aucune espèce de bombe atomique. La sagesse populaire nationale, dans sa grande lucidité, les avait même hissés au rang de modèles. Il faut, à cet endroit précis de la page, rédiger une petite note à l’attention de nos lecteurs exclusivement francophones: « Tu te crois en Suède? » ou son pendant « on n’est pas en Suède » est une expression populaire marocaine courante, utilisée lorsqu’un dysfonctionnement local ne trouve pas d’explication rationnelle. Elle clôt en général tout type de débat avec autorité. Il faut préciser qu’elle induit une sorte de fatalité à notre marasme, sans toutefois en préciser l’origine. Fin de la note sémantique. Et donc nous sommes en croisade contre ces gens, c’est assez surréaliste. Il s’est même trouvé des milliers de patriotes pour défiler avec indignation devant leur ambassade, à Rabat. Ils sont sympas, les Suédois, parce que, s’ils avaient voulu rigoler un peu, il aurait suffi qu’ils ouvrent les portes de ladite ambassade en promettant des passeports rouges pour tout le monde. On aurait eu droit à une scène mythique. A la vue de ces patriotes en rangs serrés (l’un d’eux portant le maillot de Zlatan Ibrahimovic), Zakaria Boualem est saisi d’un affreux doute quant à l’efficacité de ce genre d’initiative. Il arrive souvent que, à défaut de faire ce qui peut donner des résultats, on se contente de faire ce qu’on sait faire. Oui, le Guercifi doute. Il se demande par exemple si l’annonce par notre glorieux ministre de la Communication qu’Ikea n’ouvrira pas parce que le magasin n’est pas conforme, suivie dès le lendemain par un autre tweet qui explique qu’en fait on boycotte les produits suédois, est vraiment un coup de maître. Il y a des pays où ce genre de situation un peu grotesque crée des dégâts. Al Hamdoullah, nous ne faisons pas partie de ces pays, rien ne peut ébranler notre stabilité légendaire. Soyons bien précis: le héros de ces lignes ne prétend pas donner des leçons de politique étrangère à nos responsables, bien entendu. Mais il ne peut s’empêcher de se demander si nous nous y prenons vraiment bien pour convaincre les Suédois du bien-fondé de notre position. Prenez cette dépêche de la MAP, par exemple, qu’on ne résiste pas au plaisir de citer en intégralité : « La position de la Suède concernant la question du Sahara marocain reflète « une hostilité et une méconnaissance” à l’égard de l’intégrité territoriale du royaume et du processus démocratique et moderniste mené par le Maroc dans divers domaines, a souligné le directeur général du Centre Atlas des études et recherches stratégiques pour le développement à Béni Mellal, Abdessamad Malaoui ». Est il raisonnable de penser que ce genre d’information burlesque infléchisse la politique étrangère suédoise? Ce texte, qui fait rire Zakaria Boualem, peut-il faire réfléchir un brave député de Öxelosund? Oui cette ville existe, la dépêche de la MAP aussi. Avons-nous des exemples concrets de succès liés directement à ce type de méthodes? La seconde option, c’est que ce déploiement de techniques un peu old school n’est pas là pour eux mais bien pour nous. Dans ce cas, à quoi bon, puisque nous sommes déjà convaincus? Bon, c’est un mystère sur lequel il convient de méditer un peu plus, en gardant en tête la phrase de ce brave Abraham Maslow qui disait : « Si le seul outil que vous avez est un marteau, vous tendez à voir tout problème comme un clou ».