Reporters sans frontières, mais sous influences?

L’association Reporters sans frontières, reconnue pour son classement mondial de la liberté de la presse, a parfois été accusée d’être influencée par ses financeurs. Le point sur la méthode RSF.

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Détail de la campagne de pub de RSF en 2013

L’association Reporters sans frontières (RSF) a-t-elle pris le Maroc en grippe? En 2015, le royaume se place 130e sur les 180 pays du rapport annuel sur la liberté de la presse. Depuis le début de l’année, RSF a publié sept articles pour dénoncer la situation de la presse marocaine. Le plus récent remonte à la veille de la visite de François Hollande et s’intitule Au royaume des lignes rouges, la presse marocaine indépendante étouffe. Les travaux de RSF sont quasi-systématiquement critiqués par le ministre de la Communication Mustapha Khalfi et souvent rejetés par le Syndicat national de la presse marocaine (SNPM). Qu’est-ce donc qui dicte les indignations de RSF?

Dans son édition de juillet 2007Le Monde diplomatique citait un poste de 2005 de Robert Ménard, alors secrétaire de Reporters sans frontières (RSF), sur le forum Internet du Nouvel Observateur : « Absolument, nous recevons de l’argent de la NED. Et cela ne nous pose aucun problème ». La NED, c’est la Fondation nationale pour la démocratie, financée par le département d’État des États-Unis. De l’aveu même d’un de ses fondateurs, « la plupart des actions de la NED ressemblent à ce que faisait secrètement la CIA il y a 25 ans ». De quoi interpeller sur l’indépendance de cette association dont le classement mondial de la liberté de la presse fait référence.

Le sacro-saint classement

Depuis 2002, RSF publie, en janvier de chaque année, son classement annuel de la liberté de la presse dont l’« objet est d’évaluer la liberté de l’information dans 180 pays ».  Sur son site Internet, RSF détaille la méthodologie pour établir son classement. Depuis 2013, RSF envoie un questionnaire de 87 questions à son réseau de correspondants, journalistes, chercheurs, juristes ou militants des droits de l’Homme. Les questions sont réparties en 6 thématiques qui sont autant d’indices compris entre 0 et 100 :

1)    «Le pluralisme » mesure le degré de représentation des opinions dans l’espace médiatique;

2)    « Lindépendance des médias » mesure la capacité laissée aux médias de fonctionner en toute indépendance des pouvoirs politiques, gouvernementaux, économiques et religieux;

3)    « L’environnement et l’autocensure » analyse les conditions d’exercice des activités d’information;

4)    « lL cadre légal » mesure sa performance du cadre légal qui régit les activités d’information;

5)    « La transparence » mesure la transparence des institutions et les procédures impactant la production d’information;

6)    « Les infrastructures » mesure la qualité des infrastructures soutenant la production d’information.

RSF rajoute un septième indice qui compile les exactions et mesure l’intensité des violences selon la formule savante suivante :

rsf formule

La compilation des sept indices pondérés permet d’établir pour chaque pays une note comprise entre 0 et 100, 0 étant la meilleure note possible, et ainsi d’établir le classement.

Financements sans frontières

En dévoilant la méthodologie de son traditionnel rapport, RSF joue la carte de la transparence. Conformément à la réglementation française relative aux associations faisant appel à la générosité du public, RSF publie également ses comptes financiers. En 2014, les ressources de l’association s’élevaient à près de 4,9 millions d’euros. 33 % de cette somme proviennent de fonds privés et plus particulièrement de la vente de publications et de produits dérivés (le fameux album photos de RSF !). 44,7 % des ressources totales proviennent de subventions publiques notamment de l’État français, de l’Union européenne et du fond Sida (Swedish international development agency). Les dons de particuliers ne représentent plus que 5,2 % des ressources de 2014. Le mécénat d’entreprises, en revanche, s’élève à 14 %.

« Nous avons un système extrêmement sain », nous assure Christophe Deloire, secrétaire général de RSF, qui se dit prêt à ouvrir les portes à une investigation en profondeur. « Nous refusons l’argent des bailleurs qui ne sont pas neutres. Cette année, nous touchons un petit peu d’argent de la NED, uniquement car elle n’est plus financée par le département d’État, mais directement par le Congrès », poursuit celui qui a dirigé le Centre de formation des journalistes (CFJ). RSF n’accepterait donc que l’argent de donateurs ne pouvant pas influencer son action. Pourtant, « c’est arrivé récemment qu’un bailleur privé, une entreprise, tente de faire pression sur nous », concède Christophe Deloire. « On lui a fait un bras d’honneur et fait comprendre qu’on ne voulait plus de son argent. Mais le reste du temps, la seule exigence des bailleurs, c’est que l’on bosse. »

Indignations sélectives ?

Bosser. Mais dans quel sens ? En 2007, le journaliste d’investigation Maxime Vivas signait La face cachée de Reporters sans frontières aux éditions Aden. L’auteur y décrit les influences américaines de RSF jusqu’au cœur de l’administration Bush. Il s’interroge également sur l’« acharnement » de l’association contre le régime du président vénézuélien alors qu’elle passe sous silence les « bavures » de l’armée américaine en Iraq, notamment à la prison d’Abou Ghraïb.

Le porte-parole du gouvernement, Mustapha Khalfi jugeait le rapport RSF 2014 « injuste, étrange, imprécis et infondé ». Younès Moujahid, président du Syndicat national de la presse marocaine (SNPM) allait même jusqu’à le qualifier de « politisé, biaisé et simpliste », pour justifier que l’Algérie se place devant le Maroc au classement.

Le Maroc ferait-il partie d’une liste de pays sur lesquels RSF auraient tendance à s’acharner? Pourquoi, par exemple, à l’occasion de la visite de François Hollande, RSF publiait une tribune alarmiste sur l’état de la liberté de la presse au Maroc, intitulée « Au royaume des lignes rouges, la presse marocaine indépendante étouffe  » et qui conclut à une dégradation de la liberté d’expression. « Une visite présidentielle, c’est l’occasion de faire remonter beaucoup de sujets. On s’est dit que c’était le moment opportun », explique Christophe Deloire.

Les choix d’action et éditoriaux de RSF suivent un processus qui part des correspondants locaux pour arriver à la direction des programmes et de la rédaction en passant par des responsables dans chaque région du monde. « On évalue la gravité et l’urgence avant d’agir », assure pour sa part Christophe Deloire, qui défend la méthode RSF.

 

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