Ta vie en l'air. Lendemains qui déchantent

Par Fatym Layachi

Les élections sont passées. Les tractations sont terminées. Tu as voté. Ta voix n’a pas été entendue. Ce n’est pas grave. Tu t’es exprimée. Et après les élections, il y a eu les petits arrangements entre amis de circonstance pour arriver au pouvoir. Des alliances contre nature, les plus saugrenues parfois, mais que tout le monde a l’air de trouver normales. La cohérence n’est pas forcément de rigueur dans ce bas monde. Et puis, bien sûr, chacun a un avis qu’il croit le bon sur la question. Et ce déjeuner en famille est une nouvelle occasion de commenter l’actualité.

Du coup, ta tante, avec son verre de Chablis à la main, te regarde avec condescendance et dépit pour te dire qu’elle a voté islamiste, qu’elle est ravie du résultat des élections, puis te lance : «Nous sommes un pays  musulman». Elle s’arrête, reprend une gorgée pour finir dans un soupir fataliste : «Après tout!». Tu as très envie de lui faire déglutir son Chablis, pas assez frais d’ailleurs, mais tu vas t’abstenir. Tu vas éviter les esclandres autour du méchoui dominical; tu es trop bien élevée pour ça et pas assez indépendante pour en assumer les conséquences. Mais se rend-elle compte de ce qu’elle dit? Du peu de cohérence de ses propos dans sa bouche sublimement botoxée? La cohérence serait donc un accessoire futile. Ce serait ça l’exception marocaine? Ailleurs, il existe une exception culturelle. Enfin bref, ici c’est différent. Ici tout est différent.

Ici, les communistes passent de la dictature du prolétariat à celle du clergé en retournant leur veste Smalto sans que cela ne choque qui que ce soit. Et ta tante multi-divorcée au passé d’étudiante militante gauchiste et féministe dont les enfants pratiquent le concubinage sans que cela ne la gène a donc voté pour un parti sans même se rendre compte qu’elle incarne sans doute tout ce que ce parti combat. Pourtant, ça ne lui a pas posé de problème. Elle a voté. Comme une conne aveuglée par une crise mystique aussi puissante qu’une crise de la quarantaine mal digérée. Et pourquoi? Parce que, selon elle, ce pays est un pays musulman. Elle a raison certes. Ce pays est musulman, oui, mais ça ne veut absolument pas dire islamiste. On est bien d’accord? Ce n’est pas le même mot. Ça ne veut pas dire la même chose. L’islam, c’est une religion. Une religion millénaire. Une religion dictée par un Livre. Un Livre sacré. Alors que l’islamisme s’écrit en minuscules. C’est une idéologie, une doctrine. Une doctrine souvent dictée par des humains dont le rapport à la morale n’est pas toujours sacré. C’est une idéologie moderne de surcroît, qui n’incarne en rien un retour aux traditions. Ce n’est pas parce que ce pays a un taux d’analphabétisme élevé qu’on peut nous raconter n’importe quoi sur notre passé, nos traditions. Un mec à la barbe bien lisse vient t’inventer ton Histoire, et toi, comme tu ne la connais pas vraiment ton Histoire, tu gobes ses sornettes. Mais il faudrait arrêter. Parce que, non, ce pays n’est pas fabriqué par des pingouins au milieu du désert. Ce pays a une histoire ancestrale, singulière, plurielle et sublime.

Et s’autoproclamer parti de Dieu ne devrait pas suffire à s’ériger en gardien de la morale de bas étage et des traditions réinventées. Ce Dieu, si on le respectait vraiment, on aurait la décence de le placer au-dessus des querelles partisanes, de la politique politicienne. On aurait le respect de le placer là où il devrait être, là où c’est vraiment sacré, au plus profond de notre intimité. Parce que quand tu écoutes ces diatribes de pupitre auréolées de morale, tu trouves ça triste. La religion, elle devrait être au-delà de ça. Or, ici, ce n’est pas de religion ou de morale qu’il s’agit, mais juste de référentiel. Un référentiel consensuel qu’il est bien difficile de contredire. Mais à bien y regarder, le référentiel religieux est juste un référentiel politique comme un autre. Le même blabla que chez les autres donc. Les mêmes promesses qui n’engagent que ceux qui y croient.