Ta vie en l'air. Retour à la case départ

Par Fatym Layachi

L’été est fini. Tes cheveux ont poussé en ondulant librement, et les pointes ont blondi. Tu es tellement bronzée que tu n’as pas utilisé de Terracotta depuis au moins trois semaines. Tu as des souvenirs plein la tête et des photos plein ton Instagram. Tu as passé deux semaines dans cette même maison où tu vas depuis plus de vingt ans avec ta famille et tous ces gens que tu côtoies depuis tellement longtemps qu’ils te saoulent autant que ta famille. Vous avez eu des déjeuners qui s’éternisent et des soirées pleines de tendresse. Et puis après, tu es partie avec des copines. Tu es partie ailleurs. Tu es partie sur une île en Méditerranée. Pas si loin finalement, mais c’était tellement différent.

Tu n’as sans doute rien fait de vraiment exceptionnel. Tu n’as pas visité l’une des sept merveilles du monde. Tu n’as accompli aucun exploit. Tu as juste vécu de jolis moments. Des moments d’une simplicité dont tu n’as pas l’habitude. Alors tu as trouvé ça extraordinaire. Pourtant, tu n’as rien fait de plus que vivre. Tu as bronzé allongée dans de petites criques désertes. Tu as mangé des glaces en flânant dans des rues pavées. Tu as fait du vélo. Tu as bu des cocktails en battant des cils pour te faire remarquer par une bande de garçons aussi bien bronzés qu’intellectuellement creux. Tu as embrassé l’un d’entre eux. Tu as envisagé de vendre des bracelets sur la plage et vivre d’amour et d’eau fraîche à ses côtés. Tu as oublié son prénom une demi-heure plus tard. Tu ne le reverras jamais. Ce n’est pas très grave. C’était joli. Tu as ri aux éclats sur des terrasses de café en inventant des vies aux passants avec tes copines. Tu as altéré ta conscience avec l’aide de produits locaux. Tu as fini quelques soirées sur des plages faussement romantiques. Tu as acheté des robes en maille et des sandales en couleur. Tu t’es fait raccompagner en scooter. Tu as adoré l’adrénaline, la vitesse et le vent qui faisait voler ta jupe. Tu as vu un feu d’artifice et tes yeux ont brillé. Tu as écouté un garçon te réciter des poèmes sur un banc. Tu as regardé le soleil se lever. Et tu as trouvé ça simplement sublime. Tu as acheté du pain frais. Tu n’as pas fait un seul brushing. Tu as été dîner au resto la peau encore pleine de sel et de sable. Tu as dansé pieds nus. Tu t’es sentie bien. Tu as cru que tout était possible. Même d’envisager de tout quitter pour vivre ailleurs. Tu as apprécié les joies de la démocratie en milieu insulaire. Tu as marché en short en t’extasiant du manque de réaction que ça pouvait provoquer. Tu as cru à la possibilité de cette île. Tu as cru qu’il était possible d’être libre. De ne connaître personne dans les rues. De ne pas craindre le qu’en-dira-t-on. De ne vivre que pour soi. De ne s’acheter un sac que parce qu’il est joli, et non parce qu’il faut l’avoir.

Tu as cru être un individu à part entière. Tu t’es sentie tellement bien. Puis tu as pris ce vol pour rentrer. Et à peine arrivée dans la salle d’embarquement, prête à te plonger dans Voici, que tu as dû dire bonjour à des visages familiers. Et raconter quelques bribes de tes vacances. Et demander des nouvelles des enfants. Et sourire. Et programmer un dîner pour la semaine prochaine. Il aura fallu moins de trois minutes pour que tu ne sois plus juste simplement toi. Tu étais redevenue la fille de tes parents, la nièce de tes tantes, la voisine de tes voisins, la patiente de ta nutritionniste, la cliente de ton coiffeur. Tu as retrouvé ta place dans cette société qui ne donne pas vraiment de valeur à la singularité de chacun. Dans cette société où tu n’existes que dans le regard des autres. Tu es de retour. Tu as déjà oublié ce garçon mal coiffé mais qui connaissait des vers entiers de Claudel par cœur. On dit que l’argent endort la tête, c’est sans doute vrai. Il t’a suffi du confort d’une manucure pour anesthésier tes envies de liberté. Il t’a suffi d’un brushing pour oublier la sensation du vent dans tes cheveux emmêlés.