Les carrés de la dignité, une initiative qui a transformé l'une des régions les plus pauvres

Situé à une soixantaine de kilomètres de Marrakech, dans une région subissant un fort stress hydrique, le douar Issgoufa ressemble à s’y méprendre à une oasis en plein désert. Sous l’impulsion de l’association Darngh, les agriculteurs du douar sont désormais totalement autonomes dans leur gestion de l’eau. Reportage.

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Mohamed Ait Yahya, un agriculteur devenu auto-suffisant - Crédit : Tarek Bouraque

À l’origine de cette révolution, Ali Ouaziz, président de l’association Darngh pour le développement rural et ingénieur agronome. C’est au moment de l’arrivée des techniciens du Ministère de l’Agriculture dans le cadre du PDD, Plan de Développement des Douars, qu’Aziz prend conscience des difficultés de communication entre les habitants du douar et les techniciens. Pour y faire face, cet enfant de la région monte une association pour leur venir en aide et ainsi faciliter les échanges entre la population locale et les ingénieurs. C’est le début d’une grande aventure pour Ali qui décide par la suite de s’attaquer à l’un des problèmes majeurs du douar, à savoir la distribution de l’eau. Avec le financement de grandes sociétés internationales, cet ancien ingénieur met en place un projet novateur: les Carrés de la dignité. Un concept simple qui fait ses preuves. « Pour commencer il y a le chantier école, c’est une unité de 2 à 3 hectares équipée en goutte à goutte dans laquelle on fait la formation de l’association du douar. On les initie aux techniques modernes de l’agriculture raisonnée, de l’agriculture écologique qui respecte l’environnement, l’économie de l’eau… », explique-t-il.

Vers une meilleure gestion de l’eau

Après une année de formation en conditions réelles, l’agriculteur se voit alors confier pour lui et sa famille « un carré de la dignité », soit une unité comprise entre un quart d’hectare jusqu’à deux hectare, totalement équipée par l’association. « Dans ce carré, la personne travaille son champ et nous l’encadrons pour installer le goutte et goutte et pour assurer la distribution de l’eau ». Avec beaucoup de persévérance, Ali s’est battu pour obtenir la permission de creuser deux forages dans le douar. « L’eau est commune pour toutes les familles, chacune a une vanne pour payer ce qu’il a consommé en eau. On a installé les compteurs pour économiser l’eau mais surtout pour apprendre aux gens à économiser l’eau », ajoute-t-il. L’Association touche ainsi 2 dirhams par tonne qu’elle réinvestit dans l’extension de projets, l’entretien des matériaux et la facture d’électricité.

Ali Ouaziz, ingénier agronome et président de l'association Darngh - Crédit : Tarek Bouraque
Ali Ouaziz, ingénier agronome et président de l’association Darngh – Crédit : Tarek Bouraque

Un projet de développement durable qui avait pour but premier de « libérer les jeunes filles et les jeunes garçons », précise Aziz interrogée sur la genèse de cette initiative. Jusqu’en 2007, le taux de scolarisation des enfants du douar était au plus bas, à cause notamment de la corvée d’eau qui leur était attribuée. « Avant, les jeunes enfants de 7 ou 8 ans parcouraient quotidiennement 7 kilomètres à dos d’âne pour aller chercher de l’eau ». Désormais, le taux de scolarisation a grimpé à 60%, une fierté pour Aziz qui a également entrepris avec son association une rénovation complète des écoles qui n’avaient alors ni eau potable, ni toilettes, ni électricité.

Classée par le Fonds International pour le Développement Agricole comme la commune la plus pauvre de la région du Haouz, la commune rurale de Dar El Jamaa composée de plus de 45 douars appartient à l’une des régions les plus démunies du Maroc. A Issgoufa, la pénurie d’eau potable se fait toujours sentir puisque les habitants de sept douars se partagent un seul et même puits, aujourd’hui quasiment à sec. « Nous n’avons que 15 minutes d’eau potable toutes les deux ou trois heures, ce n’est pas suffisant, en revanche pour l’eau d’irrigation du douar tout va bien. Les gens sont autonomes dans leur production et ils commencent même à aller au souk pour vendre le surplus », se félicite Aziz.

Un modèle d’autosuffisance alimentaire

Les agriculteurs bénéficient en effet d’une gamme variée d’agrumes, de maraîchers, de plantes médicinales aromatiques et d’arbres fruitiers. Les femmes ont également la possibilité de faire de l’élevage de poules et de lapins et ainsi bénéficier d’une rentrée d’argent.

Mohamed Ait Yahya est agriculteur, cet habitant d’Issgoufa désormais secrétaire de l’Association Darngh se rappelle encore des débuts difficiles du projet. « Quand le projet est arrivé, il y avait ceux qui y croyaient et d’autres pas du tout. Nous avons commencé par planter des oliviers et appris à maîtriser sa consommation en eau, la situation a changé petit à petit, d’autres personnes sont venues pour demander de l’aide », précise l’agriculteur.

Mohamed Ait Yahya, un agriculteur devenu auto-suffisant - Crédit : Tarek Bouraque
Mohamed Ait Yahya, un agriculteur devenu auto-suffisant – Crédit : Tarek Bouraque

Pas à pas, les carrés de la dignité ont profité à toute une population vivant désormais quasiment en autosuffisance. « Avant nous achetions tout du Souk, désormais Il y a assez de variantes de légumes pour ceux qui veulent travailler la terre, ils font les légumes, la menthe, tout ce dont le foyer a besoin, on le plante. On n’achète plus grand chose du Souk, à part les choses dont on ne dispose pas comme le thé ou le sucre », ajoute Mohamed qui nous guide dans ses plantations d’amandiers, de pêchers, de poiriers, de grenadiers ou encore de cerisiers.

Durement frappée par l’exode rural, le douar assiste depuis peu au phénomène inverse. Une réussite pour Ali qui se félicite d’assister au retour de certains migrants qui avaient quitté la campagne à la recherche de sources de revenus en ville. Leur retour définitif au douar est devenu une réalité concrète grâce à l’amélioration des conditions de vie dans la région. Une initiative qui a révolutionner les modes de production agricoles du douar, participer à de nouvelles formes de consommation tout en reconfigurant l’économie locale. Une formule à succès qui a fait du douar « un modèle dans toute la commune », conclut Mohamed.

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