Faillite de l’école: la faute du ministère ?

Les comparatifs internationaux montrent que les élèves marocains sont à la peine. Une association bien introduite appelle à retirer au ministère de l’Éducation nationale son rôle décisionnaire.

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Selon la DEPF, les causes des failles du système scolaire seraient à chercher dans l'environnement socio-économique./Crédit : Yassine Toumi

Que donnent les résultats scolaires des élèves marocains en comparaison avec ceux des autres pays ? Pour le savoir, l’un des moyens privilégiés consiste à se pencher sur les études internationales d’évaluation des acquis scolaires auxquelles le Maroc a participé, notamment les programmes PIRLS et TIMSS. Ces études comparatives de niveau en mathématiques et sciences (pour le TIMSS) et en lecture (pour le PIRLS) sont réalisées par l’International Association for the Evaluation of Educational Achievement (Association internationale pour l’évaluation de la réussite pédagogique) dans une cinquantaine de pays. Dans cette comparaison internationale, les élèves marocains récoltent régulièrement parmi les plus mauvais résultats.

La moyenne internationale y est systématiquement établie à 500. Les pays aux bons résultats dépassent donc le score de 500, et les autres obtiennent un score inférieur. Le Maroc est systématiquement parmi les trois plus mauvais pays, qu’il s’agisse des tests réalisés en sciences, en mathématiques, ou en lecture.

Le Maroc toujours dans le tiercé perdant

Dans le détail, les chiffres du TIMSS 2003, menés en 8e année, indiquent que le Maroc n’a aucun élève très performant (moins de 1%), là où les pays participant à l’étude en comptent en moyenne 7% (et même 34 % dans le cas des 5 pays les mieux classés), et seulement 1 % d’élèves d’un niveau supérieur (contre respectivement 16 et 22 %). Les élèves marocains sont massés dans les catégories niveau moyen (32%) mais surtout niveau très faible (58%).

Des chiffres brandis en avant par l’association Citoyens du Maroc, think tank qui a lancé le 3 avril une opération de communication à destination des médias. Bien introduite, l’association ponctue là un cycle de plaidoirie sur la gouvernance de l’éducation, qui lui a permis de rencontrer notamment le chef du gouvernement Abdelilah Benkirane, Rachid Talbi El-Alami, le président de la chambre des représentants, Omar Azziman, le président délégué du Conseil supérieur de l’enseignement, Rachid Belmokhtar, le ministre de l’Éducation nationale, Nizar Baraka, le président du CESE…

L’enseignement, une affaire trop sérieuse pour le ministère de l’Éducation nationale ?

Son président, Younes El Himdy, dresse un diagnostic cinglant de la manière dont est pilotée la politique éducative au Maroc :

L’État est un bon régulateur, mais pas un bon gestionnaire.

L’association Citoyens du Maroc, qui se présente comme indépendante de tout parti ou organisation, est composée de nombreux chefs d’entreprises et de quelques hauts fonctionnaires, et vise à « concevoir et promouvoir des idées d’amélioration et de réforme des chantiers majeurs de notre développement, notamment la gouvernance, la valorisation du capital humain, la prospérité de notre culture, la justice ».

S’appuyant notamment sur le rapport de la Banque mondiale Les jeunes de 15 à 29 ans et l’emploi, de la réforme du Système d’éducation et de formation (1999-2004) et la Charte nationale d’éducation et de formation de 1999, l’association Citoyens du Maroc dénonce notamment la manie des ministres de l’Éducation nationale successifs de défaire l’œuvre de leur prédécesseur, citant notamment le Plan d’urgence Najah, lancé en 2009-2012 par Ahmed Akhchichine, proche du conseiller royal Fouad Ali El Himma, qui a défini des établissements d’excellence et de référence, avant que Rachid Belmokhtar, actuel ministre de l’Éducation nationale, « par souci d’égalitarisme », ne décide de l’arrêt de ce plan, « pourtant destiné à être mis en œuvre pendant des années », déplore El Himdy.

Derrière les moyennes, des résultats très inégaux

Un positionnement qui n’a rien d’apolitique pour Sylvain Aubry, expert en éducation pour l’ONG Global initiative for economic, social and cultural rights, qui souligne que « Citoyens du Maroc s’appuie énormément sur la vision de la Banque mondiale… qui est connue pour avoir une vision ultralibérale en matière d’éducation, et de services publics en général et leur soutien au privé dans de nombreux pays ». D’autant qu’à mettre en avant les résultats moyens de ces enquêtes, on en perd les énormes disparités de niveaux, pourtant instructives, poursuit-il :

Le système est organisé de manière extrêmement inégalitaire et discriminatoire, en séparant très tôt les plus avantagés des moins avantagés, ce qui amène les plus désavantagés à avoir des résultats encore moins bons, tandis que les avantagés peuvent eux avoir de très bon résultats.

Citoyens du Maroc s’en prend par ailleurs au corporatisme des syndicats enseignants, ou encore à l’inertie d’autres institutions : « Les budgets arrivent au ministère des Finances à une date qui n’est pas synchronisée avec la vie de l’établissement, ce qui bloque des projets », dénonce-t-il encore.

Redorer le blason du professeur

En revanche, Citoyens du Maroc considère que le budget général de l’Éducation nationale comme les rémunérations des enseignants ont dignement progressé au cours des dernières années et qu’il n’y a pas matière à réformer prioritairement. Nayla Choueiter, membre de l’association, invite à « imaginer une société, comme aujourd’hui en Finlande, où les enseignants sont aussi reconnus voire plus que les médecins. Parce que c’est un parcours du combattant pour devenir enseignant, ils sont donc considérés comme des experts, qui jouissent d’une vraie autonomie dans l’exercice de leur métier ». Une rétribution avant symbolique qui manque cruellement au Maroc, souligne-t-elle.

Ce serait l’institution éducative elle-même qui reste, selon Citoyens du Maroc, ralentie par ses propres lourdeurs, et les idées, même bonnes, émanant du ministère y sont simplement « parachutées » sans suivi, poursuit El Himdy, qui cite à nouveau le Plan d’urgence, dont l’une des composantes était l’approche-projet (la mise en place de projets par une équipe transversale, souvent constituée spécialement pour le projet, dirigée par un chef de projet) :

Ce concept était incompris au sein de l’Éducation nationale, où il faisait office de notion étrangère. Résultat, cette approche a été mise en place sans l’accompagnement nécessaire, et faute de suivi, malgré le recrutement de chefs de projets compétents, les budgets n’ont quasiment pas été dépensés.

Même chose avec la tentative d’introduire la « culture du résultat » en interne au ministère de l’Éducation nationale : « On a voulu développer la culture du résultat, mais sans mettre en place des indicateurs pour faire le suivi des actions sur le terrain… ».

Ce constat, Khadija Boujadi, professeur d’anglais membre du bureau national SNE/FDT, n’a pas de mal à le partager :

Sur cela, on est d’accord. Dans le cas de la pédagogie d’intégration, on a vu l’idée être jetée comme ça, sans véritable mise en place… Les formateurs eux-même n’étaient pas au courant. C’est malheureux de voir tout cet argent être gaspillé comme ça.

Le ministère de l’Éducation nationale, contacté par Telquel.ma le 7 avril, n’a pas donné suite à nos questions.

L’enseignement délégué par un ministère simple régulateur ?

Forte de ce diagnostic, l’association Citoyens du Maroc propose une réforme de la gouvernance des politiques éducatives, qui consiste notamment à retirer une large part de ses pouvoirs au ministère de l’Éducation nationale, qui n’aurait plus qu’un rôle de régulateur, quasiment privé de l’impulsion politique. « Sur le modèle de la gestion des ports, dont la gestion a été retirée à l’Office d’exploitation des ports, et confiée à la société Marsa », explique El Himdy.

Le ministère, placé en rôle de simple « régulateur de l’offre éducative », publique comme privée, ne serait plus un opérateur direct de l’éducation publique. Celle-ci serait confiée aux académies (sous le contrôle des régions), le tout sous l’impulsion du Conseil supérieur de l’éducation, de la formation et de la recherche scientifique (présidé par un conseiller du roi), chargé de définir la politique éducative et de l’évaluer. Le ministère, lui, n’aurait dès lors qu’un rôle de « programmation, coordination, évaluation des acquis, suivi-audit », détaille El Himdy.

L’ombre de la privatisation

Cette proposition n’est pas sans rappeler l’expérience menée au Chili, selon Sylvain Aubry : « L’État régulateur, ça n’a pas du tout marché, comme nos rapports l’ont montré, ça a amené à une ségrégation extrême du système éducatif, un niveau bas, et une forte contestation sociale. Le Chili est complètement en train de revenir sur son système ».

De fait, le changement proposé par Citoyens du Maroc serait majeur : « les élus locaux doivent s’approprier le système éducatif par l’intermédiaire de sa gestion, avec un budget pour l’éducation qui serait partiellement régional », plaide ainsi Souad Terrab, secrétaire générale de Citoyens du Maroc (et précédemment conseillère du ministre de l’Industrie, du commerce et des nouvelles technologies Ahmed Réda Chami [USFP], de 2007 à 2012), qui imagine même l’État perdre le monopole de la formation professionnelle des enseignants : « Le système privé peut les former », soutient-elle.

Cette perspective-là préoccupe Khadija Boujadi, qui redoute « une grande discrimination entre ceux qui ont de l’argent, dont les parents paieront des études très cher, et les autres. S’ils forment eux-même les enseignants, ce seront des entreprises, plus des écoles. ».

Citoyens du Maroc se garde bien de plaider ouvertement pour la privatisation du système éducatif. Toutefois, « la privatisation est un élément de sa diversification » pour Younes El Himdy, qui voit l’Etat en régulateur des offres publiques comme privées, gratuites comme payantes, et qui est favorable à la concurrence entre ces offres, mais en appelant parallèlement à une meilleure régulation de l’offre privée.

Une diversification qui signifie aussi une mise en concurrence : or, pour Khadija Boujadi, « initialement l’enseignement privé n’était pensé que comme un supplétif au public, qu’il fallait aider, pour lui alléger sa tâche », et désormais, selon elle, « l’école est devenue un commerce, on a un produit, l’enseignement, qu’on commercialise… »

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