#Stopdjihadisme, la dérive autoritaire de l'Etat français ?

En réponse aux attaques terroristes qu'a connues Paris début janvier, le gouvernement français lance le portail Stop djihadisme. Une plateforme dont l'efficacité reste à prouver.

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En parallèle au renforcement de la sécurité, afin de prévenir d’éventuelles futures attaques terroristes, le gouvernement français a lancé le 28 janvier le portail Stop djihadisme, une plateforme vouée à sensibiliser contre la radicalisation et la montée de la mouvance jihadiste qui recrute ses partisans sur les réseaux sociaux. Avec une infographie synthétisant « les premiers signes qui peuvent alerter » face à la radicalisation de personnes de son entourage et avec quatre vidéos cherchant à rétablir la vérité sur le discours des recruteurs jihadistes (voir la vidéo ci-dessous), cette campagne suscite beaucoup de réactions, dans les médias mais aussi sur les réseaux sociaux. De sérieuses questions se posent quant à son réel impact, laissant la grande part aux détournements et à l’ironie.

« Méfiez-vous de ceux qui ne mangent pas de baguettes »

Sur les médias anglo-saxons, la campagne est accueillie comme une parodie. « Le gouvernement vous invite à vous méfier de ceux qui ne mangent pas de baguettes », titre la BBC. L’infographie listant les signes prémonitoires de la radicalisation montre en effet une baguette de pain barrée et légendée « ils changent brutalement leurs habitudes alimentaires ». Ce n’est pas tout, puisque l’affiche répertorie neuf « signes » parmi lesquels on peut lister « ils arrêtent d’écouter de la musique » ou encore « ils arrêtent les activités sportives » et « ne regardent plus la télévision ».

« L’intention est bonne mais les critères des supposés jihadistes sont plutôt comiques », ironise le portail d’information Foreign Policy, évoquant le cas d’Ahmed, enfant de 8 ans interpellé par la police pour « apologie du terrorisme ». Ce dernier avait refusé de respecter la minute de silence à la mémoire des victimes des attentats qui ont décimé la rédaction de Charlie Hebdo et de ceux tués dans une prise d’otage dans un hypermarché cacher à Paris, faisant 17 morts au total. Le portail du Daily Mail, lui, n’hésite pas à qualifier cette infographie de « bizarre » en titrant que « votre enfant pourrait être jihadiste s’il cesse de consommer des baguettes de pain ».

Même son de cloche sur les réseaux sociaux. Si certains internautes ont exprimé leur choc face à cette campagne, c’est le sarcasme qui prime. A tel point que le hastag #Stopdjihadisme, destiné à recueillir des discussions ce rapportant à ce sujet, est devenu un fil où blagues côtoient critiques virulentes. « En fait, la campagne #StopDjihadisme, c’est pas pour repérer un éventuel djihadiste. C’est pour repérer un chômeur », ironise un internaute sur Twitter. « Même Le Gorafi (site d’information parodique, ndlr) n’aurait pas eu cette créativité ! », note un étudiant marocain sur Facebook.

Post Facebook du ministère de la Culture et de la communication révélant l'infographie.
Statut Facebook du ministère de la Culture et de la communication révélant l’infographie.

Dans les commentaires du statut Facebook du ministère de la Culture et de la communication français, publiant cette infographie, c’est le concours à la meilleure blague : « J’ai vu quelqu’un préparer un couscous ce matin. Que dois-je faire ? », se demande Adil. « On est sur la page officielle ou sur une page parodique ? », peut-on lire plus loin.

Des détournements sont même apparus, à l’image de l’affiche titrée « Dérive autoritaire, les premiers signes qui doivent alerter », reprenant la même identité visuelle de l’affiche du gouvernement français. Cette dernière déplore « la restriction de la liberté d’expression », « la généralisation et extension de la surveillance des citoyens » ou encore « la banalisation des messages racistes ». Une autre, conçue avec plus d’humour, se contente de parodier les légendes des illustrations (voir ci-dessous).

Quel impact pour cette campagne ?

L’ensemble de ces réactions ainsi que l’accueil médiatique réservé à cette campagne dans les médias anglo-saxons poussent à se questionner sur la réelle efficacité de cette campagne. Il est difficile d’en mesurer l’efficacité « parce que ce n’est pas une campagne de publicité qui vous incite à acheter une lessive ou une crème glacée et sur laquelle on pourrait faire des sondages », explique à Europe 1 François-Bernard Huyghe, spécialiste de la communication terroriste. Selon ce chercheur à l’Institut de relations internationales et stratégiques, cette campagne s’adresse « à un public qui a un scepticisme terrible à l’égard de toute communication officielle », ce qui réduirait les chances que ce type de messages persuade des individus fragiles à renoncer à leur éventuel départ pour le jihad. François-Bernard Huyghe note aussi que les États-Unis avaient lancé une campagne similaire en 2013, qui reprenait également les codes des opérations de propagande terroriste. Résultat : « les échos montraient que l’efficacité était un peu douteuse ».

Enfin, si le Premier ministre français Manuel Valls donne la priorité à la surveillance du web, notamment avec un encadrement plus ferme de l’utilisation des réseaux sociaux, il est nécessaire de noter que les frères Kouachi, ainsi qu’Amedy Coulibaly, derrière la tuerie dans les locaux de Charlie Hebdo et de la prise d’otage dans l’hypermarché cacher, n’ont pas eu affaire à un endoctrinement sur le web. Selon Le Monde.fr« le profil des auteurs de ces tueries montre plutôt un double processus de radicalisation, en prison ou au contact de radicaux dans des mosquées proches des salafistes ».

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