Le Maroc a-t-il réalisé les Objectifs du millénaire en 2012?

Telquel.ma vérifie l’affirmation du Haut-commissaire au Plan, Ahmed Lahlimi, selon laquelle les Objectifs du millénaire pour le développement ont été atteints en 2012 par le Maroc.

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Ahmed Lahlimi Alami
Ahmed Lahlimi Alami, le haut-commissaire au Plan. Crédit : Rachid Tniouni

Cet article rentre dans le cadre d’un projet de fact-checking (vérification des faits) propulsé par l’association Cap Démocratie Maroc et mené par l’équipe de Telquel.ma. Un site exclusivement dédié au projet verra bientôt le jour. Le projet s’appelle L’Arbitre.

En l’an 2000, 193 États membres des Nations unies et 23 organisations internationales adoptent les Objectifs du millénaire pour le développement (OMD). Ces objectifs, qui sont au nombre de huit, ont notamment pour but la réduction de la faim et de la pauvreté, la généralisation de l’éducation primaire ou encore la lutte contre le sida et le paludisme dans le monde.

La date butoir pour atteindre ces objectifs est fixée à 2015, afin de lancer cette même année une nouvelle phase d’OMD qui devront être réalisés d’ici 2030. L’heure est donc au bilan, notamment au Maroc, où le Haut-commissariat au plan (HCP) a rendu public son Rapport national sur les OMD, le 27 janvier à Rabat. A cette occasion, le Haut-commissaire au Plan, Ahmed Lahlimi, a déclaré que « les Objectifs du millénaire ont, en 2012, été atteints par le Maroc ».  Le patron du HCP est-il dans le vrai ? Le Maroc a-t-il atteint les OMD ? Telquel.ma fait le point.

Objectif 1 : Réduire l’extrême pauvreté et la faim 

En 2011 deux millions de Marocains étaient en situation de pauvreté absolue . Crédit: Yassine Toumi
En 2011 deux millions de Marocains étaient en situation de pauvreté absolue . Crédit: Yassine Toumi

1e CIBLE : d’ici 2015, réduire la proportion de la population touchée par l’extrême pauvreté de moitié. Le seuil d’extrême pauvreté est situé à un dollar PPA (parité de pouvoir d’achat), soit 4,48 dirhams, par habitant et par jour. 

En 1985, 3,5% de la population marocaine était touchée par l’extrême pauvreté. Le but était donc de ramener ce chiffre à 1,8% à la fin de l’année 2015. Mais en 2011 (le HCP se basant sur les statistiques publiées en 2011), la part de la population touchée par l’extrême pauvreté est descendue à 0,28%.

Il faut néanmoins noter qu’en 2011, deux millions de Marocains étaient en situation de pauvreté absolue (2,15$ PPA par habitant par jour, représentant le seuil de pauvreté marocain) tandis que 4,3 millions de citoyens du royaume étaient en situation de vulnérabilité. Soit un total de 6,3 millions de personnes sur une population totale estimée à 32 millions d’habitants en 2011. La réduction des inégalités de richesse n’a quant à elle connu aucune avancée, selon les statistiques du HCP. Entre 1985 et 2011, la part dans les dépenses totales des 50% les moins aisés s’est réduite de 24,2 à 23,7%. Celle des 10% les plus riches a augmenté durant la même période passant de 31,7% à 33,8%.

Lire aussi : La pauvreté au Maroc en chiffres et en images

2e CIBLE: réduire de moitié la proportion de la population n’atteignant pas le niveau minimum d’apport calorique. 

En 1985, 4,6% de la population marocaine souffrait de ce manque. L’objectif était donc de porter ce chiffre à 2,3%. Et en 2011, la proportion a été ramenée à 0,52%. On notera également que le Maroc est parvenu à réduire la proportion des enfants marocains de moins de cinq ans souffrant d’insuffisance pondérale. Celle-ci était de 9% en 1985 contre 3,1% actuellement.

VERDICT : Le royaume est parvenu à combattre la pauvreté et la faim si l’on se fie aux Objectifs du millénaire. Objectif accompli.

Objectif 2 : assurer l’éducation primaire pour tous

En 2012, le taux net de scolarisation des enfants âgés entre 6  et 11 ans était de 96,6%.  Crédit:  Yassine Toumi
En 2012, le taux net de scolarisation des enfants âgés entre 6 et 11 ans était de 96,6%. Crédit : Yassine ToumiCrédit: Yassine Toumi / TelQuel

CIBLE : d’ici 2015, donner à tous les enfants, garçons et filles, partout dans le monde, les moyens d’achever un cycle complet d’études primaires.

En 2012, le taux net de scolarisation des enfants âgés entre 6 et 11 ans était de 96,6%. Cela signifie donc que le Maroc, malgré une progression de 34,4 points entre 1994 et 2012, n’a pu atteindre cet objectif. Cette même année, la proportion d’écoliers ayant complété le cycle primaire était de 86,2%.

On notera que le taux de scolarisation en préscolaire est de 53,9% seulement. Un taux similaire est constaté dans l’enseignement secondaire.

VERDICT : Objectif non accompli, car le Maroc n’a pas scolarisé l’ensemble des enfants en âge d’être intégré au cycle primaire.

Objectif 3 : promouvoir l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes

Le gouvernement Benkirane I, une certaine idée de la parité.  Crédit: MAP
Le gouvernement Benkirane I, une certaine idée de la parité. Crédit : MAP

CIBLE : Éliminer les disparités entre les sexes dans les enseignements primaire et secondaire d’ici à 2005 si possible et à tous les niveaux de l’enseignement en 2015 au plus tard

Le Maroc devait atteindre une parité complète dans l’enseignement primaire et secondaire, mais celle-ci n’a pas été entièrement assurée bien que les taux de parité soient élevés au niveau du primaire (91/100) et du secondaire qualifiant (92/100). Dans le domaine professionnel, on remarque que la féminisation s’est essentiellement accentuée dans les secteurs des services (avec une augmentation de 1%), et ceux relatifs à l’agriculture, la forêt, la pêche (hausse de 4,8%). Elle a régressé de 9% dans le secteur industriel et a stagné dans celui des BTP. Enfin, au niveau des postes de décision, la gent féminine est toujours sous-représentée au parlement (12,5% de femmes) et a du mal à se faire une place au sein du gouvernement (un portefeuille ministériel dans le premier gouvernement Benkirane) à l’issue de l’année 2012.

VERDICT : Objectif non accompli

Objectif 4 : réduire la mortalité des enfants de moins de cinq ans

Crédit: Yassine Toumi
Crédit : Yassine ToumiCrédit: Yassine Toumi/TelQuel

CIBLE : réduire de deux tiers le taux de mortalité des enfants de moins de cinq ans, le taux de mortalité infantile, le taux de mortalité néonatale, le taux de mortalité juvénile, la proportion des enfants ayant eu toutes les vaccinations et, enfin, la proportion des enfants vaccinés contre la rougeole.

Note : les statistiques de ce graphique ne sont pas exprimées en pourcentage mais sont basées sur un ratio de 1 000 enfants. La mortalité infantile correspond à la mort d’un enfant avant
qu’il ait atteint l’âge d’un an. La mortalité néonatale fait référence à la  mort d’un enfant dans les 28 jours qui suivent sa naissance.

On notera que le taux de vaccination des enfants était de 75,7% en 1982-1991 contre 87,7% dans la période s’étendant de 2002 à 2011.

VERDICT : Objectif non accompli

Objectif 5 : améliorer la santé maternelle

Crédit: Yassine Toumi
Crédit : Yassine Toumi

CIBLE : réduire des trois quarts le taux de mortalité maternelle

Entre 1987 et 1991, le taux de mortalité maternelle était de 332 morts pour 100 000 naissances. Un chiffre qui a été réduit à 112 morts pour 100 000 naissances en 2010, ce qui ne correspond pas au but fixé par les OMD: moins de 83 morts pour 100 000 naissances.

Autre indicateur pris en compte par le HCP, la proportion d’accouchements assistés par du personnel qualifié. Celle-ci était de 31% entre 1987-1991 et a atteint 73,6% en 2011. Cela ne correspond néanmoins pas à l’objectif du royaume, qui était de 90% en 2015. On notera que dans le milieu rural, seulement 55% des accouchements sont assistés.

VERDICT : Objectif non accompli

Objectif 6 : combattre le VIH/sida, le paludisme et d’autres maladies

En 2014, 32 000 Marocains étaient touchés par le virus du VIH/SIDA. Credit: Yassine Toumii
En 2014, 32 000 Marocains étaient touchés par le virus du VIH/sida. Crédit : Yassine ToumiCrédit: Yassine Toumi / TelQuel

CIBLE 1 : stopper la propagation du VIH/sida et commencer à inverser la tendance actuelle

Pour l’étude de cette cible, le HCP a choisi quatre indicateurs. La prévalence du VIH/sida chez les femmes enceintes, chez les professionnelles du sexe, le taux d’utilisation de moyens de contraception chez les femmes âgées de 15 à 49 ans ainsi que le pourcentage d’utilisation du préservatif dans la contraception. Ces chiffres tendaient à indiquer que le Maroc avait accompli cet objectif.

Cependant, en juillet 2014, l’Association de lutte contre le sida a annoncé que le virus progressait au Maroc. Selon l’association, en 2014, 32 000 Marocains étaient infectés par le virus du VIH/sida parmi lesquels 15 000 femmes (47% de la population infectée), alors qu’en 2012, la maladie ne touchait « que » 26 000 Marocains.

CIBLE 2 : maîtriser le paludisme et d’autres grandes maladies, et avoir commencé à inverser la tendance actuelle

Depuis 2006, selon les statistiques du HCP, le paludisme a été éradiqué auprès de la population marocaine. En 1990, le taux d’incidence de la maladie était de 6,2 pour 100 000 habitants. Autre maladie contre laquelle le royaume est parvenu à lutter : la tuberculose. En 1990, le taux d’incidence était du virus était de 113 pour 100 000 habitants et, malgré une augmentation de ce taux à 118 habitants en 1996, il a finalement chuté à 50 cas pour  100 000 habitants.

VERDICT : Objectif non accompli. Bien que le Maroc soit parvenu à lutter contre le paludisme et la tuberculose, le virus du VIH/sida se propage toujours dans le royaume.

Objectif 7 : assurer un environnement durable

Photo d'illustration. Crédit: Yassine Toumi
Photo d’illustration. Crédit : Yassine Toumi

CIBLE 1 : Intégrer les principes du développement durable dans les politiques nationales et inverser la tendance actuelle à la déperdition des ressources environnementales

Selon les statistiques du HCP, le royaume est parvenu à éviter la déperdition des ressources environnementales. En effet, bien que la proportion des zones forestières soit restée la même (12,7%), la superficie des zones reboisées et régénérées a augmenté, passant de 20 000 hectares en 1995 à 42 469 hectares en 2011. La superficie des parcs nationaux est, quant à elle, passée de 193 380 hectares en 1994 à 808 700 hectares.

A noter que dans le célèbre Environemental Performance Index établi par l’université américaine de Yale, le Maroc a pourtant régressé, en passant du 52e rang en 2011 au 81e rang en 2014. Au niveau des politiques, on constate que la priorité a été donnée aux énergies propres pour la production d’énergie. En effet, selon le ministre de l’Energie, Abdelkader Amara, le Maroc s’est fixé comme objectif d’atteindre 42% de la puissance installée à base d’énergie renouvelable en 2020. Mais on notera également que le gouvernement a pris la décision d’autoriser la construction d’une centrale thermique polluante à Safi.

CIBLE 2 : réduire de moitié le pourcentage de la population qui n’a pas accès de façon durable à un approvisionnement en eau potable salubre

Selon le HCP, le Maroc est parvenu, en 2012, à garantir l’eau salubre à 100% de ses habitants en zone urbaine contre 81% en 1994. Néanmoins en zone rurale, ce taux atteint les 93%, ce qui marque néanmoins une évolution certaine par rapport à 1994, quand seulement 14% de la population rurale avait accès a une source d’eau potable.

CIBLE 3 : lutter contre l’habitat insalubre

En 1994, selon les statistiques du HCP, la proportion de la population était de 9,2%. En l’espace de 18 ans, ce taux a été réduit de presque moitié: il est désormais de 5,9%. Dans ce domaine, l’approche du Maroc est même reconnue à l’international. En effet, en 2013, Jean-Yves Barcelo, conseiller inter-régional à l’ONU-Habitat, affirmait que le Maroc figurait au deuxième rang mondial en termes de lutte contre l’habitat insalubre avec un taux de réduction 45,8% pour la période 2000-2010.

VERDICT : Objectif atteint. Le Maroc est parvenu à sauvegarder ses ressources environnementales tout en mettant en place des politiques environnementales et en garantissant l’eau potable à ses habitants.

Objectif 8 : mettre en place un partenariat mondial pour le développement

Le roi Mohammed VI  et le président malien Ibrahim Boubacar Keita. Crédit: MAP
Le roi Mohammed VI et le président malien Ibrahim Boubacar Keita. Crédit: MAPCrédit: MAP

Depuis le début du règne de Mohammed VI, la diplomatie marocaine s’est tournée vers la partie Sud du continent africain où se trouvent de nombreux pays en développement. Le royaume s’est engagé dans la coopération Sud-Sud dans des domaines variés comme l’agriculture, l’artisanat, l’enseignement ou encore les télécommunications.

Lire aussi : Pourquoi la FAO vante-t-elle les mérites du Maroc ?

Créée en 1986, l’Agence marocaine de coopération internationale a octroyé des bourses à 16 000 étudiants étrangers depuis sa création qui ont bénéficié à 11 200 habitants d’Afrique subsaharienne, et 4 648 personnes venant du monde arabe. En 2000, le royaume a également annulé l’ensemble de la dette des pays africains les moins avancés. Dans le même temps, le Maroc a lancé l’initiative d’accès au marché marocain en franchise de droits de douanes pour ces mêmes pays. Enfin, en 2008 le Maroc a alloué une somme de 23 millions de dirhams à plusieurs pays d’Afrique, d’Amérique latine et d’Asie du Sud-Est touchés par des catastrophes naturelles.

Jugement de l’Arbitre 

Carton jaune. Contrairement à ce qu’affirmait Ahmed Lahlimi lors de la présentation du rapport sur les OMD, le Maroc n’a pas réalisé la moitié des objectifs qui lui étaient fixés. Le Haut-commissaire au Plan écope donc du carton jaune de l’Arbitre, même s’il est difficile d’évaluer le huitième objectif du millénaire.

En ce qui concerne les objectifs atteints par le Maroc, on constate que le royaume est parvenu à réduire sensiblement la pauvreté mais l’on constate qu’environ 1/5e de la population peut être, ou est, directement touché par le phénomène. Le Maroc est aussi parvenu à accomplir son objectif relatif à l’environnement grâce à la mise en place de politiques « vertes » et le développement de parc nationaux, mais dans les classements internationaux, la position du Maroc chute année après année.

Enfin, le royaume n’est toujours pas parvenu à instaurer l’égalité des sexes dans l’enseignement ; cela se traduit notamment au sein des administrations publiques, les femmes étant également très peu représentées au sein du gouvernement ou du parlement. Le Maroc n’est pas parvenu à accomplir son objectif de scolariser tous les enfants en âge d’être au primaire mais a pu assurer, en l’espace de 34 ans, une progression de 34,4 points du taux net de scolarisation entre 1994 et 2012. Dans le domaine de la santé, les objectifs en matière de réduction de la mortalité infantile n’ont pas été atteints, et on n’est pas parvenu à améliorer la santé maternelle malgré des progrès sensibles dans ce domaine. On notera également que malgré une faible présence du virus au Maroc, le royaume n’a pas réussi à lutter efficacement contre la progression du VIH/sida.

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