TNT. De la friture sur la ligne

La télévision devrait passer de l’analogique au tout numérique avant le 17 juin 2015. Huit ans après le lancement du projet au Maroc, le chantier fait du surplace et prend du retard. Chronique d’un fiasco annoncé.

Le pays est-il en train de rater son rendez-vous avec la télévision numérique terrestre (TNT) ? Si le chantier a été lancé en 2006, suite à la signature d’une convention avec l’Union internationale des télécommunications, depuis, il avance à pas de tortue. Or, selon les termes de l’accord, le royaume s’est engagé à passer de la diffusion analogique au tout numérique avant le 17 juin 2015. Où en est-on à quelques mois de la date fatidique ? « Nous avons un réseau d’émetteurs TNT qui couvre actuellement près de 85% de la population. Pour y arriver, nous avons déployé de grands moyens et concédé des investissements importants », se félicite Fayçal Lâraïchi, président du pôle public SNRT-Soread 2M. « Afin de parachever la couverture de l’ensemble du territoire national, un effort est déployé actuellement en coordination avec les chaînes publiques pour une enveloppe d’environ 245 millions de dirhams », indique-t-on au ministère de la Communication. Seulement, émettre ne suffit pas pour être capté. Sur les 5,6 millions de foyers marocains, seuls 4,2% disposent de récepteurs numériques. Avec ce taux de pénétration, le royaume est loin, très loin du compte.

Compte à rebours

« Malheureusement, le déploiement de la TNT s’est effectué en l’absence de toute stratégie nationale. Il été appréhendé sous son seul angle technologique, en investissant tous les efforts sur l’installation du réseau de diffusion. La SNRT s’est ainsi retrouvée à la fois éditeur de services de télévision, opérateur de réseau et opérateur de multiplex, en l’absence d’un cadre juridique organisant clairement ces différents métiers et gérant les conflits d’intérêts qui peuvent en naître », estime Naoufel Reghay, ancien directeur général de la Haute autorité de la communication audiovisuelle (HACA). C’est que le Maroc n’a pas pris le défi et ses enjeux au sérieux. Si Mustapha El Khalfi assure que la fin de la diffusion analogique est bien prévue pour juin 2015, son ministère vient seulement de sortir de sa léthargie. « Au cours de l’année 2014, la Commission nationale chargée de la transition vers la transmission numérique terrestre (TNT) a été nommée et a commencé son travail. Une conception actualisée et intégrée du plan national de la transition vers la TNT a été élaborée prenant en compte tous les volets de cette question », explique un cadre du ministère. Et d’ajouter : « Les préparatifs ont également débuté en ce qui concerne le lancement de la campagne de communication au sujet de la transition. L’agence de communication qui va s’en occuper a été désignée ». Ce n’est pas trop tôt ! Surtout quand beaucoup de téléspectateurs ignorent toujours de quoi il s’agit exactement, à savoir comment fonctionne la diffusion numérique, quel équipement utiliser et à quel prix.

Pas de budget

Pourtant, en mars 2013, une lueur d’espoir se profilait, suite à une réunion entre le ministère de la Communication et le département de l’Industrie, du commerce et des nouvelles technologies, visant à remettre le projet sur les rails. Parmi les annonces en grande pompe, celle de la mise en place d’un fonds dédié au projet de la TNT. Une ressource qui devait être allouée au ministère de la Communication dans le cadre de la Loi de Finances 2014, en vue d’assurer le financement des projets de transition vers le numérique : soutien aux prestataires de services afin d’améliorer la qualité de la diffusion, lancement de campagnes de sensibilisation et de promotion, financement pour l’acquisition de récepteurs au profit des familles à revenus limités… Le spectre de son intervention devait s’étendre sur plusieurs volets. Sauf que le fonds en question n’a pas été inscrit dans la Loi de Finances 2014 et ne figure pas dans le projet de budget actuellement en discussion au parlement.  « Cet instrument de financement a finalement été bloqué au niveau du ministère des Finances », indique notre source. D’après les estimations préliminaires de ce département, le coût global du passage à l’ ère numérique devrait atteindre un milliard de dirhams, dont une bonne partie dédiée à l’équipement des foyers en récepteurs numériques. Il reste en effet près de 5 millions de familles à équiper en convertisseurs qui permettront de décrypter l’image numérique via les anciens modèles de téléviseurs analogiques. D’ailleurs, le ministre de tutelle avait évoqué en 2013 le lancement d’un appel d’offres international concernant ces convertisseurs. L’idée était de les produire localement pour assurer un prix de commercialisation accessible aux familles à revenu limité. Mais l’idée a fini aux oubliettes. « Le gouvernement va mettre du sien pour aider les familles à se procurer ces appareils, assure ce cadre du ministère de la Communication. Il faut savoir que sur la plupart des téléviseurs vendus depuis 2010, la TNT est déjà intégrée, ce qui réduit un peu le nombre de foyers à équiper ». Dans tous les cas, les téléspectateurs désireux de continuer à capter les chaînes nationales après la date butoir devront débourser entre 200 et 600 dirhams, selon la qualité du récepteur. Pas évident de les convaincre, vu la qualité des programmes des chaînes du pôle public et le taux d’audience qu’elles enregistrent.

Enjeux. Rompre avec le satellite

Le peu d’enthousiasme des pouvoirs publics pour la télévision numérique cache mal les enjeux réels de ce projet. Selon le ministère de la Communication, la transition vers la TNT aura un impact très positif, notamment en renforçant la souveraineté nationale en matière de diffusion télévisuelle. En clair, la TNT permettra de rompre avec la dépendance vis-à-vis des émetteurs par satellite et d’éviter les tracas qui en résultent. Les soubresauts des révolutions arabes ont montré comment le contrôle des satellites peut être une arme politique (avec la possibilité de parasiter ou interdire des chaînes). Le passage au numérique permettra également d’accompagner la politique nationale en matière de gestion du spectre des fréquences encadrée par l’Agence nationale de réglementation des télécommunications (ANRT). D’autant que les fréquences utilisées actuellement dans le cadre de la transmission analogique seront exploitées pour les services de la 4G. Autre enjeu, et non des moindres, la réduction des coûts de diffusion. Actuellement, avec l’émission terrestre, chaque chaîne doit disposer de sa propre fréquence. Une contrainte qui disparaîtra avec le passage au numérique, donnant la possibilité de regrouper plusieurs chaînes dans un même bouquet et sur une même fréquence. Enfin, « la transition appuiera le processus d’élargissement de la libéralisation du champ audiovisuel, notamment après la transformation de la chaîne Medi 1 TV en télévision privée. Car aujourd’hui c’est la diffusion numérique qui détermine le modèle économique des chaînes », explique un cadre au ministère de la Communication. Mais avant, il faudra relever le défi de mener la transition dans les temps.

Tarik Hary

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