Immersion dans un convoi humanitaire dans le sud sinistré

Consultations médicales, dons, et simple présence : des associations se déplacent régulièrement dans des zones très reculées. Telquel.ma a accompagné les volontaires le temps d’un week-end dans une région victime des inondations.

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Certains n’ont jamais vu de médecin de leur vie. Crédit : PC

Sur les tables d’écoliers, les ordonnances ont remplacé les cahiers et les stéthoscopes, les crayons. Derrière les bureaux, bien qu’en blouse, pas un seul enfant. Non, ici, ce sont les médecins qui squattent les lieux. Et s’ils attendent assis sagement, ce n’est pas pour que la recrée soit sonnée, mais que le marathon des consultations commence.  Nous voilà dans le village de Timguissin, à 200 kilomètres de Tata. Une quarantaine de jeunes bénévoles de la Banque alimentaire et de deux autres associations partenaires ont roulé pendant seize heures depuis Casablanca pour apporter soins médicaux, dons et présence aux habitants de ce village et de trois autres aux alentours.

Hasard du calendrier, même si cette caravane était programmée depuis plusieurs mois, la région a été victime des inondations. Parmi la soixantaine de maisons du village, six ont vu leur toit s’effondrer sous le poids de la pluie. La solidarité qui a découlé de ces événements a été telle que la Banque alimentaire a pu préparer des dotations plus importantes pour les familles. Une mobilisation qui touche les habitants qui apprécient qu’on s’intéresse aux dégâts causés et n’hésitent pas à nous faire visiter les restes de leur maison. Ahmed nous avoue « avoir la phobie de la pluie » et « s’inquiéter dès qu’une goutte tombe ». Il n’avait jamais vu l’oued monter si haut. La Banque alimentaire a déjà envoyé un convoi à Tiznit et Sidi Ifni. Un autre est prévu pour Guelmim.

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Les toits de plusieurs maisons se sont effondrés sous la pression de la pluie. Crédit : PC.
Les toits de plusieurs maisons se sont effondrés sous la pression de la pluie. Crédit : PC.

Une communication difficile

« Les hommes vont consulter les hommes et les femmes les femmes », « on a vérifié le stock de médicaments, on a de tout et en grande quantité », crie Katia Joulane, 24 ans, responsable de l’équipe médicale, qui donne les dernières instructions quelques minutes avant l’ouverture des classes. De l’autre côté de la porte, une file d’attente de plusieurs dizaines de personnes attend au soleil.

Quelques minutes plus tard, Abir Al Afifi accueille sa première patiente pour sa première caravane. « Bonjour madame, où est-ce que vous avez mal ? », demande cette jeune médecin de 27 ans. « Partout », lui répond Fatima, 71 ans, en lui montrant la tête, la gorge, les genoux, telle une danse de la Macarena, avant d’éclater de rire en regardant sa voisine, aussi en train de consulter. La veille dame, qui semble très heureuse de voir du monde, la taquine. Ironie, on reconnaît finalement bien l’ambiance d’une salle de classe : « Moi je parle arabe euh, je sais bien parler avec les médecins, pas toi ! ». Il est vrai que lors de cette caravane, les médecins ont particulièrement du mal à communiquer avec les patients, qui ne parlent parfois qu’amazigh. Heureusement, Farida, bénévole, vole de table en table pour faire l’interprète.

Certains n’ont jamais vu de médecin de leur vie

Les maladies graves nécessitent souvent des examens complémentaires mais les médecins sont là pour faire des tests de dépistage, pour l’hypertension artérielle et le diabète notamment. Si Asmaâ nous avoue avoir détecté une grosseur au sein inquiétante sur une patiente, elle a surtout repéré des grippes et des angines. « Contrairement à l’hôpital de Casablanca, je n’ai pas vu un seul patient asthmatique ou allergique », nous explique Abdessamad, « par contre, il y a beaucoup de pathologies rhumatologiques, à cause du dur travail physique, et ophtalmologiques, parce qu’ils ne consultent jamais de spécialiste ». Certains n’ont même jamais vu de médecin de leur vie.

La médecin est étonnée de l'âge du bébé tellement il est petit, faute d'une alimentation adaptée. Crédit : PC.
Le bébé est si petit que la médecin est étonnée de l’âge que lui donne sa mère. Crédit : PC.

C’est sans doute pour cette raison que tout le monde veut profiter de la venue des blouses blanches dans le village : « Lui ça se voit qu’il n’a rien », nous commente Mehdi, en consultation avec un petit garçon de 11 ans qui se plaint de douleurs au ventre tout en souriant. « En général, ils consultent que quand ils ont de gros problèmes parce qu’ils doivent faire beaucoup de kilomètres mais là, ils en profitent vu que ce sont les médecins qui viennent à eux », interprète Rachid, un autre jeune médecin volontaire.

Le Graal ? Les médicaments. Et d’ailleurs, en face de la classe transformée en pharmacie, la file est longue. « Ils ne comprennent pas pourquoi on ne leur donne rien alors qu’au voisin si, donc on leur prescrit quelque chose pour lesquels ils n’ont pas besoin d’ordonnance, comme du paracétamol par exemple, ça leur fait l’effet d’un placébo », nous explique Katia.

Après la consultation et la distribution… la danse des canards !

Malheureusement, ces médecins, généralistes, ne peuvent pas répondre à toutes les attentes, et passent aussi leur après-midi à rédiger des lettres de référence à des confrères spécialistes, en demandant à leurs patients de se rendre dans le centre le plus proche, à Ouarzazate ou à Tata. C’est le cas de cette femme de 40 ans, attristée de ne pas réussir à avoir d’enfant depuis plus de vingt ans mais qui n’a jamais fait d’examen pour en connaître la cause. Elle quitte un médecin l’air désespéré… on la retrouve vingt minutes plus tard devant un autre. « Bien sûr, je ne suis pas assurée qu’ils aillent faire leurs analyses, et si je pouvais faire plus je le ferais, mais au moins j’ai ma conscience tranquille », nous confie Abir. Au total, 450 consultations auront été réalisées sur les deux jours. Mais en dehors des classes aussi, les bénévoles courent partout.

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A côté des baffles, les premiers enfants commencent à suivre les pas du clown. Crédit : PC.

Pendant ce temps-là, dans la cour de l’école, Fatima Azzahra Ghoumari, salariée de la Banque alimentaire responsable de l’organisation de la caravane, assistée de quelques bénévoles, se charge de la distribution. Pendant deux jours, 200 familles passeront récupérer matelas, couvertures, vêtements, alimentation et produits ménagers. Cette distribution n’est pas improvisée. L’association locale du village, qui a sollicité la Banque alimentaire (qui est elle venue repérer les lieux et les conditions de vie il y a plusieurs semaines), a préalablement distribué des coupons pour chaque famille.

Les dons sont principalement issus des dons en nature des entreprises mécènes, et l’argent collecté a permis d’acheter des compléments (féculents, etc.). Pour les médicaments aussi, le réseau de laboratoires est essentiel : « Pour faire de l’associatif, il faut avoir le téléphone actif », nous raconte Katia, qui nous explique que chaque médecin volontaire fait pression sur son secteur pour obtenir des médicaments auprès des labos.

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Du côté des distributions : le travail à la chaîne prévaut. Crédit : PC.

Des veillées avec les habitants

La distribution touche à sa fin quand la musique qui rythmait le site depuis le matin se fait de plus en plus entendre. Les bénévoles chargés de l’animation, accompagnés des médecins, font monter l’ambiance. Face à eux : un parterre d’enfants. Pendant plus d’une heure, la danse des canards et autres comptines rythmeront le pas des écoliers qui se prêteront aux jeux des chaises musicales et autres animations. « C’est une super surprise pour eux, vous voyez bien la joie sur leurs visages », s’émeut l’instituteur du village.

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Mehdi vient de terminer ses consultations, mais trouve encore l’énergie de danser avec les habitants. Crédit : PC.

Mais l’ambiance de la cour de recré ne prend pas fin à la sortie de l’école. Après leur journée de travail, les bénévoles trouvent, contre toute attente, la force de veiller avant de se coucher chez l’habitant. Les deux soirées passées sur place ont des airs de colonies ou de vacances entre amis. Et cette joie est communicative. Les villageois aussi se prêtent au jeu : les hommes et les femmes font leurs démonstrations de chant, à la fois timides et excités d’utiliser, eux aussi, le micro.

Un signal d’alarme pour les autorités

Après deux jours passés sur place, la caravane s’en va au lever du soleil. Comme d’habitude, Fatima Azzahra a pris un peu plus de dons pour faire une surprise sur le chemin du retour. Cette fois-ci, la caravane tombe sur un internat géré par une association. Les dons offerts amélioreront un peu les conditions de vie de ces enfants qui dorment à plusieurs sur leurs matelas à même le sol.

Après une pause détente à Ouarzazate, les volontaires arriveront finalement à 2h00 du matin chez eux. La plupart devront reprendre le travail le lendemain, exténués. Mais Abir nous l’assure : « si c’était à refaire, je foncerais sans hésitation, j’ai adoré ».

« Faire de l’humanitaire développe notre aspect humain, c’est aussi bien pour le médecin », ajoute Katia. La médecin n’a pas seulement permis d’apporter une aide ponctuelle ; la semaine prochaine, elle reprendra toutes les ordonnances pour réaliser des statistiques. Elle communiquera ensuite ses résultats aux autorités, espérant que ce qu’elle appelle « un signal d’alarme » sera entendu.

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