Aïcha Redouane: «La fusion musicale neutralise les spécificités culturelles»

Aïcha Redouane évoque la prédominance des dialectes orientaux sur la scène musicale et l'importance de connaître sa culture pour pouvoir la transmettre. Entretien.

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Aïcha Redouane
Aïcha Redouane se spécialise dans l'art du chant arabe, la poésie, la composition et l'improvisation. Crédit : Yassine Toumi

Nous avons rencontré Aïcha Redouane lors de la conférence Machrek – Maghreb : Je t’aime moi non plus, sur les rapports linguistiques entre le Maghreb et l’Orient organisée lors de Visa for Music à Rabat. Avec le musicologue libanais Habib Yamine, avec qui elle a fondé l’ensemble Al-Adwâr, Aïcha Redouane chante les textes de poètes soufis et classiques, tout en restant fidèles à leur culture d’origine, repoussant la fusion qui tendrait à « neutraliser les spécificités culturelles » selon la chanteuse.

Aïcha Redouane avait 25 ans quand elle a débuté dans la musique, en parallèle de ses études en architecture. Polyglotte, elle a choisi de chanter en arabe, langue qu’elle a découverte avec son compagnon de scène, Habib Yamine, à travers le « répertoire immense de la poésie classique et de l’art du maqam arabe », dont ils sont spécialistes, et dans sa langue maternelle, le tamazight, qu’elle défend sur les scènes du monde entier.

L’artiste évoque pour Telquel.ma l’impact du choix de la langue sur la musique et la prédominance des dialectes orientaux sur les maghrébins dans le paysage musical de la région.

Comment expliquez-vous la prédominance des dialectes orientaux sur les maghrébins ?

Cette prédominance est due à la popularité du cinéma égyptien, dont les productions ont été diffusées dans tout le monde arabe. Ces créations ont porté les artistes et musiciens égyptiens au-delà de leurs frontières. Le Maroc est bercé par la musique égyptienne − au même titre que sa musique nationale − depuis le début du XXe siècle, et les Marocains respectent et apprécient cette culture musicale.

En revanche, le Maghreb n’a pas exporté sa culture vers l’Orient, sa musique et ses films étaient destinés à sa consommation interne. Ce qui a, en quelque sorte, poussé l’Égypte à développer une forme d’égocentrisme, en exportant sa musique sans − pour autant − vouloir accueillir les autres cultures musicales, du Maghreb et des autres pays arabes. Idéalement, il faut une éducation dans les deux sens.

Justement, les dialectes du Maghreb commencent aujourd’hui à être en vogue dans la variété et la pop arabe.

En effet, et cela me fait plaisir de voir les artistes maghrébins écoutés et reçus en Orient. Les pays évoluent et les mentalités aussi. La culture est sans cesse en train de se renouveler, et plus nous nous ouvrons vers la connaissance de l’autre, plus nous évoluons et apprenons à reconnaître notre propre culture à travers les autres.

Dans ce contexte, l’amazigh reste quand même le grand perdant de ces échanges culturels.

L’amazigh reste encore méconnu, à cause de plusieurs paramètres historiques. Il y a encore beaucoup à faire pour les arts musicaux amazighes, notamment au niveau de la communication. Les traditions amazighes sont très denses et profondes. Quand je chante à l’étranger, je propose toujours des pièces en tamazight et je porte cette langue avec moi où que je sois. Certes, il y a un travail à faire sur la forme, mais le fond nous l’avons déjà. Les trésors sont présents, il faut mieux les communiquer sans les déformer. Pour présenter correctement une culture à l’étranger, on doit en parler avec rigueur et justesse. Il ne faut pas faire de l’adaptation, du mélange, mais présenter ce patrimoine tel qu’il a existé. C’est comme la chimie : certains éléments, une fois mélangés, se neutralisent.

Justement, comment éduquer les gens à connaître leur culture et à la transmettre ?

Ce travail d’éducation commence par une prise de conscience de nos racines et des valeurs de nos cultures. Habib et moi par exemple, nous ne chantons pas pour atteindre une quelconque célébrité, mais pour transmettre un héritage. Il y a une éducation à faire sur soi-même, celle de s’informer, d’apprendre sa culture pour la transmettre avec rigueur. Il faut étudier les choses pour les comprendre de l’intérieur. Mais aussi sensibiliser les jeunes à la connaissance de leur culture, qu’elle vienne de l’Orient ou de l’Occident, parce qu’ils ne se rendent pas toujours compte de sa richesse. C’est par l’instruction et la connaissance que nous avançons.

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