Tunisie : Le street-art transforme un village

Les habitants d'Erriadh se sont  mués en un été en aficionados de "street-art" à mesure que les rues de cette  bourgade tunisienne obscure et poussiéreuse ont été ornées de peintures et graffitis, donnant un coup de pouce au commerce local.

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En quelques semaines, une centaine d’artistes venus d’une trentaine de pays  se sont succédés dans la médina et ses environs pour donner naissance à quelque  250 fresques, collages et autres ouvrages. De rues en allées, de maisons chics  en bâtisses en ruine, ces oeuvres forment désormais « Djerbahood », le premier  musée des arts de la rue en plein air.

Située sur l’île de Djerba mais loin des vastes complexes hôteliers de la  côte, Erriadh n’était qu’un point de passage sans grand intérêt sur la route de  la Ghriba, la plus vieille synagogue d’Afrique. Mais depuis qu’elle se recouvre de fenêtres en trompe-l’oeil, de rosaces de  lettres assorties aux couleurs des bougainvilliers, d’animaux réels ou  mythiques et de peintures monumentales, des vacanciers tunisiens et étrangers  défilent par dizaines chaque jour.

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« Les peintures ont embelli la médina d’Erriadh, avant les murs n’étaient  pas comme ça, ça les as rendu plus beaux, et ça a aussi amené du tourisme« ,  constate du haut de ses 15 ans, Wael Aroua, observant avec deux amis un  « graffeur » palestinien peignant en bleu et rouge les mots « Djerba est Libre ». L’adolescent raconte avoir pu en tirer profit: « Un jour, deux femmes et un  homme passaient devant la mosquée et ils m’ont demandé de leur faire visiter.  Avec mon cousin, je les ai amenés voir les peintures et ils nous ont donné 20  dinars!« . L’épicier du quartier, Mohamed Ben Moussa est tout aussi laudateur: « la  saison cette année est vraiment bonne. Les peintures ça a ramené du commerce,  des touristes et des visages nouveaux, des gens qu’on ne voyaient pas avant« .

Des artistes qui comprennent la culture locale

Si le vernissage est prévu le 20 septembre, le projet est déjà porté par un  important buzz sur les réseaux sociaux, ayant amené des gens comme Yacine  Hannachi et son amie Nada Osman, deux Tunisois « fans de street-art », à prendre  « le premier bus pour venir voir ça!« . « On ne serait jamais venus ici s’il n’y avait pas eu Djerbahood, parce que  finalement c’est un quartier délaissé« , souligne la jeune femme. Logan Hicks, artiste new-yorkais, se dit abasourdi par l’ampleur de  Djerbahood, une initiative du galeriste parisien Mehdi Ben Cheikh, déjà  organisateur de l’exposition à succès dans « la Tour Paris 13 », un immeuble  recouvert d’oeuvres de street-art, devenu exposition éphémère et ouverte  gratuitement au public avant d’être démoli. « J’ai travaillé sur plusieurs projets de ce type, mais c’est la première  fois que je vois cela fonctionner immédiatement« , raconte ce grand gaillard de  43 ans au visage encadré d’une longue barbe hirsute. Pour lui, une raison du succès est la présence « d’artistes qui comprennent  la culture (locale), ou du moins qui apprécient ses principes esthétiques ». »On a des gens qui bâtissent un dialogue (…) au lieu de simplement  apposer leur marque sans qu’elle n’ait de rapport avec la communauté » locale,  s’enthousiasme-t-il.

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Hicks, armé de pochoirs, a ainsi recouvert d’ornements orientaux la  devanture d’une école abandonnée « pour l’immortaliser et lui rendre une façade  noble même si elle s’écroule ». Pour certains habitants d’Erriadh, le principal défi est dès lors  d’inscrire cette exposition collective dans la durée. « Ils peignent directement sur les murs défraîchis. La peinture va  s’effriter, ça ne va pas durer« , regrette Laroussi Marhag, un vendeur de  volailles dont l’échoppe a été décorée d’un « cartoon » représentant une poule  étonnée dressée sur un coucou. Mehdi Ben Cheikh se veut rassurant, décrivant un musée à ciel ouvert qui  sera en perpétuelle évolution. « On essaye de trouver ou d’expérimenter comment devrait être le musée idéal  du street-art (…) sans dénaturer le mouvement. C’est-à-dire qu’il faut que ça  reste dans la rue, que ça reste gratuit et vu que ce mouvement bouillonne, il  ne faut pas que ce soit un musée statique« , explique-t-il.

« Certaines choses vont automatiquement s’effacer, d’autres se dégrader  (…) un autre artiste reviendra repeindre par-dessus et d’autres fresques vont  apparaître« , poursuit le galeriste.

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