Education : Que peut-on attendre du CSE ?

Le 17 juillet, Mohammed VI a ressuscité le Conseil supérieur de l’éducation en nommant officiellement 92 membres. Mission : sauver le système éducatif national qui boit la tasse depuis des décennies.

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Photo : MAP

Près d’un an après un discours très critique envers le système éducatif national et la désignation de son conseiller Omar Azzimane à la présidence du Conseil supérieur de l’éducation, de la formation et de la recherche scientifique (CSE), Mohammed VI a finalement nommé, le 17 juillet, les 92 membres de cette instance. De divers profils issus de secteurs variés, ils ont tous pour mission de sauver un système éducatif qui n’arrive pas à se relever malgré de longues années de diagnostic, d’analyse et d’expérience. D’ailleurs, même aujourd’hui, les professionnels et spécialistes du secteur restent dubitatifs quant à l’action du CSE. « Il ne s’agit pas d’un procès d’intention, mais il ne faut pas s’attendre à un miracle de la part du CSE », affirme Abdelaziz Ioui, secrétaire général du syndicat de l’enseignement affilié à la FDT. En attendant, le nouveau conseil installe ses structures administratives et techniques, ainsi que les groupes de travail. C’est à cette fin qu’il a dédié sa première session des 21 et 22 juillet.

Arrêter l’hémorragie

La tâche paraît immense, car le système éducatif marocain a accumulé mille et une tares. Pour autant, la mission du CSE relèverait-elle de l’impossible ? « Où est-ce que cela coince ?  C’est la question qu’on devrait se poser, dès maintenant, car dans dix ans, il sera trop tard », répond Allal Belarbi, secrétaire général du syndicat de l’enseignement (CDT). Pour ce vieux routier du syndicalisme, il faut d’abord parer au plus pressé. « Même si tout paraît urgent, il y a certains dysfonctionnements qui le sont plus et pour lesquels il faudra trouver une solution dans les plus brefs délais », poursuit Belarbi. Il cite l’exemple de l’abandon scolaire, soit plus de 350 000 élèves qui se retrouvent hors du système éducatif chaque année, ce qui représente un lourd coût financier et social. Mais ce n’est pas tout : les classes bondées, le manque de moyens, l’insuffisance d’infrastructures scolaires… Sans parler du manque en ressources humaines. « Si on veut commencer à redresser la barre, il faut que 15 000 nouveaux enseignants rejoignent les classes dès la rentrée prochaine », explique encore Allal Belarbi. « Comment parler de déscolarisation des fillettes quand elles sont obligées de parcourir plusieurs kilomètres, atterrir dans des classes surpeuplées et au sein d’un établissement scolaire qui n’est pas doté de toilettes? », demande un membre du CSE. Un exemple très terre-à-terre pour décrire l’un des maux de notre système éducatif. « Il faut recenser ce que j’appelle les points noirs. Cela peut prendre deux ans maximum, puis il faut passer à l’action en mobilisant tout le monde. Pour moi, ce chantier doit être similaire à la construction de la Route de l’Unité », renchérit Allal Belarbi. La Route de l’Unité, construite en 1957 par de jeunes volontaires dirigés par le futur Hassan II et Mehdi Ben Barka, a permis de désenclaver une bonne partie du nord du Maroc. C’est dire la tâche immense qui attend le CSE.

Le CSE, une baguette magique ?

« La mise en place du CSE est déjà une bonne chose en soi. Nous avons accusé beaucoup de retard et nous ne pourrons nous en permettre davantage. Il faut se mettre au travail, tout de suite », affirme Ismaïl Alaoui, ancien ministre de l’Education nationale et grand spécialiste du secteur. Mais d’autres acteurs attirent l’attention sur le risque que cela constituerait de porter tous les espoirs sur ce conseil. « Nous attendons du CSE d’être cette instance nationale capable d’accompagner et de cadrer la réforme. Mais il ne peut en aucun cas se substituer au gouvernement qui doit faire son travail et assumer ses responsabilités », déclare Abdelaziz Ioui. Pour ce syndicaliste, le CSE ferait bien, dans un premier temps, d’évaluer le Plan d’urgence initié en 2009 avec le ministre Ahmed Akhchichine et qui a pris fin en 2011, sans déboucher sur du concret. « Le CSE est une instance consultative qui fera le diagnostic de la situation de notre système éducatif et qui présentera des recommandations que l’Exécutif pourra adopter ou laisser de côté », poursuit Allal Belarbi. Mais, même avec les multiples rapports élaborés sur le sujet, le Maroc semble avoir des problèmes. Beaucoup d’énergie et d’argent ont été dépensés pour des rapports qui n’ont jamais quitté les tiroirs ou qui sont vite tombés dans l’oubli. C’est surtout le cas du rapport de la COSEF (Commission spéciale éducation et formation) pour 2008. « Ce rapport n’a jamais été exploité comme il le devrait et le CSE va en tenir compte dans ses travaux », affirme un membre du nouveau CSE.

Par la suite, à la mort de Meziane Belfqih, qui dirigeait l’ancien CSE, le rapport de 2010 n’a pas été publié. « C’est malheureux, car même le CSE est resté en veilleuse entre 2010 et 2013. Aujourd’hui, il faut relancer toute la machine », affirme un ancien membre du CSE. Pas tout à fait vrai, si l’on en croit une autre source. « Omar Azzimane, depuis sa nomination en 2013, n’est pas resté les bras croisés. Il a réactivé la plupart des commissions thématiques qui ont repris leur travail », explique l’un de ses proches.

Des débats de luxe

Mais l’installation du nouveau CSE n’a pas échappé à cette règle qui veut que chaque création, ou renouvellement d’une instance, s’accompagne d’une polémique, voire plus. Certains acteurs politiques ont fustigé le parachutage au CSE de personnalités qui n’avaient strictement rien à voir avec le secteur de l’éducation. D’autres ont vite montré du doigt le fameux « lobby francophone » qui y prend plus de poids. Pour ne rien arranger, au lendemain de l’installation du nouveau CSE, le débat sur la darija est revenu à la surface. Interrogé par la presse, Noureddine Ayouch, fervent défenseur du dialecte marocain et membre du CSE, a affirmé qu’il en serait question au sein du conseil. Une nouvelle prise de position qui n’a pas été du goût des islamistes, dont Mohamed Yatim, député et membre dirigeant du PJD qui siège au sein du même conseil. Ce genre de débats ne risque-t-il pas d’ajouter des tensions à l’action et aux résultats attendus du conseil de Omar Azzimane ? « Ce sont des débats de luxe qu’on pourrait aborder plus tard, quand on aura sondé les autres problématiques et qui sont plus urgentes », répond un membre du CSE. « Il faut se mettre au travail et éviter de tomber dans les pièges de la démagogie », affirme pour sa part Ismaïl Alaoui. Allal Belarbi se veut plus pragmatique. « La Constitution a tranché la question des langues et de l’identité des Marocains. Ce qu’il faut par la suite est d’opter pour une langue qui permettra aux Marocains de détenir le savoir et être au cœur des changements que connaît le monde. L’idéologie n’a jamais rien arrangé », explique le syndicaliste. « Au-delà de la langue, nous devons d’abord nous pencher sur la problématique des contenus et des programmes et dire clairement quels citoyens nous voulons pour le Maroc de demain », conclut Allal Belarbi. Vaste, très vaste chantier pour le conseil dirigé par Omar Azzimane, qui entame le sérieux de sa tâche dès l’automne prochain avec l’ouverture d’un large cycle de concertations.

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