Mhammed Fakher nous raconte les bonnes surprises du Mondial

Il a le plus beau palmarès du foot marocain. Ce passionné est un homme qui regarde tous les matchs qu’il peut, et les décortique avec enthousiasme. M’hammed Fakher est le technicien idéal pour faire un petit bilan du Mondial. Rendez-vous est pris après le ftour, la veille des demi-finales.

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Photo : DR

Qu’avez-vous retenu du premier tour ?

Tout d’abord l’élimination de plusieurs gros calibres, parfois des favoris : l’Espagne, l’Italie, l’Angleterre, le Portugal. Toutes ces équipes sont bâties sur des joueurs qui ont disputé des championnats très durs avec, dans la plupart des cas, la Ligue des Champions en plus. Ils sont arrivés lessivés, esquintés. Regardez les Espagnols, ils étaient moralement absents, KO debout… Les Allemands ont une ossature de joueurs du Bayern, qui ont gagné la Bundesliga très tôt, à la 23e journée, ils ont pu faire tourner leur équipe et sont très frais.

De bonnes surprises ?

Oh oui ! Le Costa Rica, le Chili, la Colombie. Ils ont offert un très beau spectacle. Quand on les regarde, on a l’impression qu’ils ont tout à gagner, cette compétition est un tremplin pour eux. Ils ne respectent pas l’adversaire, ils pressent haut, mettent un gros impact physique, en gardant une très bonne organisation défensive. Et puis il y a cette grinta, ils ont ça en Amérique du Sud. Alors quand ils jouent à la maison en plus…  Avec eux, si tu t’amuses à construire depuis la défense, ils te cassent ton offensive dès le départ avec leur pressing haut.

Il y a eu des nouveautés techniques dans ce tournoi ?

Oui, beaucoup d’équipes avec trois défenseurs dans l’axe. Le Costa Rica, le Chili, les Pays-Bas ou l’Argentine ont utilisé cette organisation. On trouve en général cette mise en place de deux attaquants de pointe, en 3/5/2. Ces deux attaquants déclenchent le pressing et te compliquent la relance. Les Néerlandais ont joué comme ça par moments, mais ils sont capables de passer en 4/4/2 ou en 3/4/3 dans le même match, en quelques secondes. Ce que fait cette équipe en termes tactiques est exceptionnel. Et puis ils ont Robben.

Impressionnant, Robben ?

Ce qu’il fait est énorme. Mais on revient au côté physique, regardez la forme qu’il affiche, il galope même en prolongations, il est toujours à fond. Les gens ne se rendent pas toujours compte de l’importance du physique, c’est lui qui impacte le mental. Il faudrait faire jouer la Coupe du Monde en hiver, en janvier. Tout le monde y gagnerait, les grands joueurs seraient en meilleur état. On va y arriver un jour.

Revenons au jeu. On a l’impression que la possession de balle n’est plus vraiment un enjeu.

Oui, beaucoup d’équipes préfèrent s’en passer, alors elles te laissent le ballon. Elles vont chercher l’interception, puis la verticalité, l’explosivité. Il y a l’Allemagne qui a encore un vrai jeu de possession, mais c’est à cause de la fraîcheur de ses joueurs.

Quel joueur t’a-t-il impressionné ?

Le Colombien James Rodriguez. Il a une technique hors pair, et surtout la qualité reine dans le sport : la vitesse. En plus, il est clairvoyant. Quand on lui donne la balle, c’est comme si on la mettait dans un coffre, il ne va jamais la perdre. Il est très fort, c’est un énorme calibre, il n’a rien à faire à Monaco. D’ailleurs, toute cette équipe de Colombie est magnifique, elle aurait vraiment mérité d’être dans le dernier carré.

Une autre équipe qui t’a impressionné ?

Le Costa Rica, leur organisation défensive est exceptionnelle. Regardez la qualité de leur alignement par exemple, ou alors comment ils arrivent à réduire les espaces, ça se joue à 20 centimètres près. Ils ont vraiment fait souffrir les Hollandais. Ils ont fait une Coupe du Monde de très haut niveau. Je pense que Mourinho aimerait bien récupérer Pinto, leur coach, dans son staff.

Le Brésil ?

Ce n’est pas convaincant. Ils sont très fragiles, même mentalement. Trop de pression, regardez-les pendant les hymnes, on sent la trouille. Leurs milieux de terrain ne sont pas créatifs, Neymar doit tout faire. Du coup, il se retrouve à devoir revenir à 60 m du but pour remonter les ballons au lieu de rester dans les 30 derniers mètres et de garder un peu de fraîcheur. Mais les ballons ne remontent pas… Cette attaque, avec Hulk et Fred, c’est quand même très faible pour une équipe du Brésil. Avec Fred, en fait, ils jouent à 10.

L’Argentine ?

C’est une équipe qui t’attend, qui ne cherche pas à contrôler le ballon. Ils sont très forts défensivement, et puis bien sûr il y a Messi.

Quel but t’a marqué jusque-là ?

Van Persie contre l’Espagne, cette tête plongeante extraordinaire. C’est un chef d’œuvre. Tout est dans ce but. Il y a la lecture de la trajectoire, la prise de décision, la coordination, la réalisation parfaite. Il voit Casillas avancé, il fait exactement ce qu’il veut faire. Il l’a imaginé et il l’a fait, c’est très créatif.

Comment as-tu trouvé le coaching de Van Gaal, qui fait rentrer un gardien juste pour les penalties ?

Il faut avoir une grande confiance en soi pour oser un tel coup de poker. Mais tout était calculé. Ce gardien était préparé à rentrer, il était briefé sur les tireurs costaricains, même si le titulaire n’était pas au courant pour ne pas le perturber pendant le match. Quand tu fais un truc pareil, tu joues sur le moral de l’adversaire. Imagine un peu, tu vois ce géant entrer juste pour les penalties, tu te dis qu’il doit être un jenn, tu forces ta frappe forcément, et tu perds une partie de tes moyens.

La FIFA parle d’autoriser un quatrième changement en cas de prolongations. Qu’est-ce que vous en pensez ?

C’est une très bonne idée, ça va favoriser le spectacle. On peut même aller plus loin, pourquoi pas un cinquième aussi ? Les prolongations sont un match à part, il faut prévoir une gestion à part. Pourquoi faire des listes de 23 joueurs, pourquoi asseoir tout ce monde sur le banc de touche si on ne peut pas les faire jouer ? Au lieu de grogner, un joueur peut se dire qu’il peut rentrer en cas de prolongations.

Comment avez vous trouvé les équipes africaines ?

On est un peu fatigués de les voir se faire bouffer par l’extra- sportif. Des problèmes de primes, des grèves, des responsables fédéraux qui prennent l’avion avec des millions en liquide, des joueurs qui se battent. Baraka…

Et sur le terrain ?

Le Ghana n’était pas mal, et l’Algérie a fait un bon tournoi. Ils ont très bien terminé les Algériens. Après le premier match loupé, Vahid savait qu’il allait partir après le Mondial, alors il a fait exactement ce qu’il a voulu, cette première défaite l’a libéré. Il est allé au clash avec le président de la fédération en changeant cinq joueurs, qui étaient présentés comme les stars. Et on a vu le résultat.

Le Nigéria ?

Contre la France, ils ont été massacrés par l’arbitrage, je n’ai aucune hésitation à le dire. Regardez l’action où Evra ceinture l’attaquant nigérian Odemwingie sur un corner. Ce qui est le plus choquant, ce n’est pas que l’arbitre ne siffle pas penalty, non. C’est que l’arbitre va voir Evra en lui disant de ne plus recommencer.  Ça veut dire qu’il l’a vu, il se comporte comme un entraîneur en fait. Et puis il y a la blessure d’Onazi, qui change complètement le match. Normalement, Matuidi méritait un rouge, et c’est la France qui se retrouve renforcée par la sortie d’Onazi, il y a de quoi avoir les nerfs…

Acte 2. Le lendemain du match Pays Bas-Argentine, on rappelle Fakher pour une petite analyse téléphonique des demi-finales. 
Ça tombe bien, il a encore envie de parler foot.

Avez-vous le souvenir d’un match qui ressemble à ce Brésil-Allemagne ?

Non, mais en foot, ça arrive ce genre de déconfiture. Une équipe dans un jour sans et une autre à 300% de ses moyens, et l’écart devient énorme. Ce qui est bizarre c’est que ça arrive au Brésil, on touche au mythe là…Maintenant, si tu gardes la tête froide, ça devient plus logique. Imagine que tu sois entraîneur et que les 22 joueurs qui commencent le match sont ton effectif. Essaye de construire une équipe avec ces 22 joueurs, et tu vas te retrouver avec 8 ou 9 Allemands sur 11, au moins…

Cette Allemagne est impressionnante

Oui, et en plus j’ai vraiment apprécié leur attitude. J’ai une énorme admiration pour leur culture sportive. Ils ont respecté les Brésiliens. On n’a pas vu de petits ponts, pas de danse après les buts, pas de cinéma, pas de talonnades, pas de « yeeep »… Ils étaient plus forts sur tous les plans, mais ils n’ont jamais cherché à humilier leur adversaire. J’ai adoré ça.

C’est le Brésil le plus faible de tous les temps ?

Avec celui de 1966 sans doute. Je me souviens très bien de cette équipe-là. C’était les débuts de la télé au Maroc, on s’est mis devant l’écran en attendant quelque chose de magique des champions du monde 1958 et 1962, j’ai été horriblement déçu.

Comment une équipe de ce niveau peut-elle exploser en 10 minutes ?

Quand tu n’a pas de colonne vertébrale, tu rampes comme une limace. Regarde leur colonne vertébrale. Le gardien, l’axe central, les milieux, l’avant-centre, c’est faible. On s’est focalisé sur Neymar, mais un joueur seul ne peut pas te faire gagner un match, c’est tout. Pour gagner des titres, il faut une équipe.

Ils étaient très faibles psychologiquement. Ce ne sont pas de grands joueurs, parce qu’un grand joueur est fort psychologiquement, c’est systématique. Et puis, il y a la Coupe des confédérations qui leur a donné des illusions. Il y a des défaites qui peuvent te faire gagner plus tard. Cette victoire en Coupe des confédérations, c’est le contraire, c’est une victoire qui te fait perdre plus tard. Chez nous, on a connu ça, avec le 4-0 contre l’Algérie, c’est une victoire qui te fait perdre…

La seconde demi-finale a été très classique

Oui, j’étais plus pour la Hollande, je les trouvais très forts tactiquement, mais pour moi il y eu une erreur sur le positionnement de Robben. Il était en pointe, collé à la défense argentine, dos au but. Il n’a jamais pu arriver lancé, c’est pourtant là son point fort. En plus, en jouant aussi haut, il a attiré avec lui des défenseurs qui se sont retrouvés dans la zone de Van Persie. Van Gaal est un grand entraîneur, mais là, pour moi, il a fait une erreur. Il avait une cartouche, il l’a utilisée mouillée.

Qu’est-ce qui se passe avec Messi, on dirait qu’il ne veut plus courir ?

Il n’a jamais vraiment beaucoup couru, en fait. Même dans ses plus grands matchs, il marche beaucoup. C’est un joueur qui est déchargé des tâches défensives. Tout le travail des autres est de lui donner le ballon lancé vers le but, un peu comme Robben. Si tu arrives à trouver cette position, tu peux mettre en face de lui tous les joueurs de la Coupe du Monde, il va passer… Dans ce style, chez nous, on avait Fakhreddine ou Aboucharouane, il ne faut jamais les faire joueur dos au but.

Que vaut vraiment cette équipe Argentine ?

C’est comme un tajine consistant, il va te remplir le ventre, mais messouss… Ils ont une animation défensive extraordinaire, leur système est hermétique. Ils peuvent gagner la finale, bien sûr. Ils vont laisser le ballon aux Allemands. Higuain revient bien, et avec un Messi dans un bon jour, ils peuvent trouver des espaces dans leur dos.

C’est Mascherano le patron, non ?

Oui, il est phénoménal. Propre, toujours là où il faut, il joue dans le bon rythme. C’est vraiment dommage que le Barça ne le fasse pas jouer à ce poste, comme milieu de terrain. Ils ont déjà Busquets, et ils veulent absolument jouer avec un seul pivot. C’est un porteur d’eau, Mascherano, mais un porteur d’eau de dimension internationale, c’est le poumon de l’équipe.

Retrouvez le numéro 5 de Foot by TelQuel en kiosque, jusqu’au 24 juillet.

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  • L’assiduité … leur coiffure … leur retenue …. et leur maillot mouillé … pour la bonne cause ….
    vous ne l’avez pas remarqué …. ????????????????????????
    ils donnaient le bon modèle …. les allemands ….
    ….