Décalages. Guerre de tranchées

Par Souleïman Bencheikh

Erdogan est une marque de fabrique qu’on consomme immodérément ou qu’on rejette en bloc.

Traditionnellement, le printemps est une saison très riche politiquement. Le parlement fait sa rentrée après la trêve hivernale, les syndicats préparent le rendez-vous annuel du 1er mai et, les beaux jours revenus, les militants ressortent leurs banderoles. Eh oui, la saison des festivals, de la Coupe du Monde et des examens est aussi celle de la politique et des manifs. Mais le printemps 2014 a une saveur très particulière. Fini l’attentisme de 2012 et 2013. Abdelilah Benkirane est à mi-mandat et force est de constater que les  nuages s’amoncellent au-dessus de sa tête. En avril, un sondage révélait que sa cote de popularité avait chuté de plus de 20 points en un an : 45% d’opinions favorables au premier trimestre 2014. Les semaines suivantes nous ont montré un Chef de gouvernement offensif, renouant avec les discours virulents à l’encontre de ses opposants. Il faut dire qu’en la matière, Benkirane dispose d’un contradicteur de choc en la personne de Hamid Chabat. D’attaques verbales en diatribes assassines, le tout enrobé dans un parler pour le moins imagé, les deux leaders ont largement contribué à égayer la scène politique marocaine.

En fait, l’actualité nationale de ces derniers mois est le reflet de notre caractère brouillon. Nous avions les yeux rivés sur nos voisins et amis arabes indisposés par une immense gueule de bois postrévolutionnaire. Et nous en étions arrivés à nous satisfaire de notre sort, celui-là même qui n’a pas changé – ou si peu – depuis les manifestations massives de 2011. Alors que d’autres pays sombraient dans la révolution, le Maroc est parvenu à rendre crédible son option réformiste, malgré ses incohérences et imperfections. Si bien que, du référendum plébiscitaire de juillet 2011 à aujourd’hui, au regard de l’actualité internationale, il ne s’est quasiment rien passé de sensible chez nous, si ce n’est l’élection et l’épreuve du pouvoir pour un Chef de gouvernement islamiste. Que peut-il advenir de cette épreuve ?

A cet égard, un détour par la Turquie peut s’avérer intéressant. L’AKP turc n’a-t-il pas fait figure de modèle pour notre PJD national ? Le cas Recep Tayyip Erdogan est en tout cas symptomatique de ces leaders à la fois islamistes, populistes et autoritaires. Le Premier ministre turc, comme notre Benkirane, n’évolue pas en terrain conquis. Les crocodiles et autres mauvais génies d’Erdogan sont d’obscurs gradés de l’armée qu’il s’est efforcé de mettre au pas. Avec succès d’ailleurs. Tant et si bien qu’en Turquie, Erdogan est devenu une icône qu’on invoque avec ferveur ou qu’on voue aux gémonies, une marque de fabrique qu’on consomme immodérément ou qu’on rejette en bloc. Le Premier ministre turc a cela de particulier qu’il est à la fois très populaire au vu des sondages et des élections, et très contesté si l’on en croit l’ampleur et la violence des manifestations qui dénoncent sa politique.

Mais voilà, c’est ici que s’arrête la comparaison avec notre Benkirane national… Car cela fait onze ans qu’Erdogan est Premier ministre, qu’il a remporté trois élections  législatives et que tout laisse présager une possible victoire à la présidentielle d’août prochain qui, pour la première fois, se jouera au scrutin universel direct. Notre Chef de gouvernement peut-il espérer pareils succès ? Pourra-t-il rempiler ? Il est bien trop tôt pour le dire. Le premier test sera celui des communales, dans un an. Mais en attendant, soyez-en sûrs, progressistes contre traditionalistes, la guerre de tranchées a bel et bien repris.