Augmenter le SMIG, et après ?

Perspectives. Abdelilah Benkirane a consenti une hausse du SMIG de 10% en deux temps, faisant de ce 1er mai une véritable fête pour les salariés. Pour les syndicats et le patronat, beaucoup reste encore à faire.

La décision du gouvernement d’augmenter le SMIG de 10% a remis au-devant de la scène le débat sur le dialogue social. Le patronat, représenté par Jamal Belahrach, président de la commission emploi à la CGEM, regrette que l’équipe Benkirane ait agi de manière isolée au lieu d’adopter une démarche globale. Un avis partagé par les syndicats à travers Larbi Habchi, membre du bureau central de la Fédération démocratique du travail (FDT), pour qui cette hausse est néanmoins un premier acquis. Le débat est ouvert. 

Jamal BELAHRACH

Ce franco-marocain s’est réinstallé au pays en 1997 pour lancer Manpower. Depuis 2009, il est président de la Commission emploi et relations sociales à la CGEM.

Larbi Habchi

Membre actif de la Fédération démocratique du travail, il fait partie du bureau exécutif. Ce diplômé de l’université Hassan II de Casablanca est connu pour son franc-parler et ses positions sans demi-mesure.

Est-ce raisonnable d’augmenter le SMIG dans une conjoncture marquée par un déficit budgétaire important et un tissu économique fragilisé ?

Jamal Belahrach : Si vous me demandez si les revenus des Marocains doivent s’améliorer, la réponse est oui. Mais poser la question du SMIG, c’est se tromper de stratégie. Le Maroc est aujourd’hui un pays dont l’économie repose sur la main d’œuvre. Donc une augmentation mécanique du SMIG impactera la compétitivité de toute entreprise qui consomme de la main d’œuvre. Partant, le problème n’est pas réglé. Si l’on n’accompagne pas cette hausse par la baisse du coût du travail, on risque de déréguler la machine économique, ce qui va poser des problèmes à terme et même tuer des emplois. La position du patronat à ce sujet est très claire. Nous ne sommes pas contre une hausse du SMIG, mais nous sommes d’abord pour une baisse du coût du travail qui nous permettrait de gagner en compétitivité.

Larbi Habchi : Dans le contexte actuel, je suis pour l’augmentation du SMIG. On ne peut pas refuser une revalorisation du salaire minimum parce qu’il s’agit d’une nécessité sociale au vu des augmentations continuelles des prix des principaux produits alimentaires et des services. Il s’agit aussi d’une nécessité économique. En augmentant les salaires, c’est le pouvoir d’achat et la consommation qui s’améliorent, par conséquent l’entreprise y gagne. Par ailleurs, il est évident que la question du SMIG devrait s’insérer dans le cadre d’une stratégie globale, intégrée et efficiente qui ne se limite pas uniquement à la hausse du salaire minimum. Il faut mettre en place une politique salariale bien définie pour généraliser la protection sociale et les déclarations des salariés tout en respectant les dispositions du Code du travail.

Cette hausse porte-t-elle vraiment préjudice à la compétitivité de l’entreprise marocaine ou est-ce plutôt une problématique sectorielle ?

J.B. : Un calcul mathématique montre que toute augmentation de charge impacte le prix de revient du produit et donne un coup à la compétitivité. Il est évident que la réalité du terrain démontre que la hausse touchera plus certains secteurs, comme le textile, l’agriculture, le BTP, que d’autres qui ne sont pas concernés. Encore une fois, nous voulons une réflexion globale et cohérente. On ne peut pas nous présenter un plan de développement de l’industrie avec des objectifs ambitieux et venir un mois plus tard grever la compétitivité des entreprises. Il y a une incohérence à cause du gouvernement, qui a circonscrit le débat au salaire minimum sans que personne ne le lui demande. N’oubliez pas non plus que le patronat vient de concéder un point supplémentaire aux charges de l’employeur en acceptant de payer l’Indemnité pour perte d’emploi (IPE) et d’étendre l’Assurance maladie obligatoire (AMO) aux soins dentaires. Le patronat est aujourd’hui plus social que jamais.

L’amélioration du niveau de vie des salariés peut-elle passer par d’autres mécanismes que la hausse pure et simple du salaire ?

J.B. : Nous avons clairement dit au gouvernement qu’il est temps d’organiser un sommet social pour poser toutes les questions et hausser le débat d’un cran. Il est primordial de fabriquer ce modèle social ou ce contrat social dont le Maroc a besoin. Un contrat social est la conjonction entre plusieurs politiques allant de l’éducation à la santé en passant par la formation, la protection sociale, l’aide au logement ou encore l’amélioration des revenus. Le problème actuel est de vouloir s’attaquer à cette question uniquement par le petit bout de la lorgnette. Je rappelle quand même que l’informel représente aujourd’hui plus de 35 % du PIB, qu’il y a à peine un million de salariés déclarés à la CNSS sur 12 mois consécutifs. Donc, ce seront toujours les mêmes entreprises qui vont payer, et celles qui ne le voudront pas iront se cacher dans l’informel. Au lieu de se précipiter parce que c’est le 1er mai, il faut être responsable et poser les bonnes questions. Aujourd’hui, nous sommes face à une approche d’urgence sociale. Or, ce qui est nécessaire c’est de mettre en place une vision globale.

L.H. : Je partage la réflexion de Jamal Belahrach. Nous sommes pour la tenue d’un sommet social où toutes les questions relatives aux problèmes des salariés seront discutées en profondeur.

Pourquoi alors ne parle-t-on actuellement que de la hausse du SMIG et non de sommet social ou de politique globale ?

L.H. : C’est le gouvernement qui a limité ses propositions au salaire minimum. De notre côté, notre revendication était claire. Nous demandions l’amélioration des revenus par différents mécanismes, notamment à travers la réforme fiscale. Il est possible de revoir l’assiette de l’IR. Ce qui sera bénéfique à la fois pour le salarié et l’employeur, mais pas pour l’État bien sûr. Beaucoup de débats peuvent s’ouvrir, notamment sur l’amélioration de la compétitivité de l’entreprise par d’autres moyens que les bas salaires.

Cette approche d’urgence pose le problème de la discontinuité du dialogue social. Comment y remédier ?

J.B. : Si ce dialogue était permanent, comme nous avons tenté de le faire entre nous (ndlr : patronat et syndicat), il y a longtemps que ces questions auraient été débattues. Après ce 1er mai, il faudra rapidement discuter des véritables problèmes et enjeux, car on ne peut pas continuer à grossir le millefeuille des coûts.

L.H. : Malheureusement, avec ce gouvernement, il n’y a pas de dialogue social organisé et institutionnalisé. C’est pour cela que nous demandons l’institutionnalisation du dialogue social à travers la création d’un organisme chargé du suivi du dialogue social pour ne plus laisser l’initiative entre les mains du seul gouvernement. Il faut aussi activer les négociations collectives sectorielles pour discuter des spécificités de chaque secteur. Si ce débat était ouvert, le problème de la hausse du SMIG ne se serait pas posé.

J.B. : Au-delà de l’institutionnalisation du dialogue social, je propose sa constitutionnalisation. Une fois cela fait, le dialogue ne dépendra plus des uns ou des autres ni de la couleur politique d’un parti ou d’un autre.

Ces discussions et ce sommet social auxquels vous appelez ne pouvaient-ils pas se tenir sans le gouvernement ? Qu’est-ce qui vous a empêché de le faire?

J.B. : Pour ma part, je pense que l’organisation d’un sommet social nécessite la participation du gouvernement pour une raison toute simple, c’est qu’à l’issue de ce type de sommet il y a des décisions à prendre. En revanche, il y a un certain nombre de travaux préparatoires pour lesquels les syndicats et le patronat doivent être porteurs de recommandations. Nous aurions dû le faire au moment où nous avons signé le pacte social en 2011.

L.H. : Il y a eu certaines séances de travail qui se sont interrompues pour des raisons diverses, notamment de calendrier. Toutefois, il est désormais primordial que ces séances reprennent pour plusieurs raisons. Premièrement, nous devons préparer dès maintenant les grandes lignes du projet de Loi de Finances 2015. Deuxièmement, nous devons concrétiser les recommandations des diverses assises (investissements, fiscalité, PME, industrie…). Enfin, le dialogue social n’est pas un moyen de régler les contentieux sociaux, mais un espace de débat indispensable pour le développement économique et social. 

 

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