Jeunesse. Moi, 19 ans, étudiant et ministre

Créé en 2012, le gouvernement parallèle des jeunes tente 
de faire entendre sa voix dans le paysage politique. Rencontre.

Il aura fallu attendre les manifestations du Mouvement du 20 février pour que la classe politique commence à s’intéresser à la jeunesse. Depuis 2011, les jeunes font l’objet de grandes opérations séduction des partis politiques et de l’Etat. Mais certains ont pris l’initiative de faire de la politique autrement. C’est le cas de l’association Forum des jeunes marocains, qui a lancé un gouvernement parallèle des jeunes regroupant 26 ministres âgés de 19 à 35 ans. La plupart sont étudiants, ingénieurs ou avocats. Leur objectif : suivre les affaires publiques au jour le jour et essayer de peser sur les différents départements de l’Etat pour faire entendre leur voix.  

Roulez jeunesse !

« La Constitution de 2011 donne le droit aux composantes de la société civile d’être partie prenante du débat public », nous lance d’emblée le jeune ministre de l’Enseignement supérieur, Salaheddine Abkari. Loin d’être le sosie de son aîné Lahcen Daoudi, Abkari est à peine âgé de 19 ans, étudiant à l’Ecole nationale de commerce et de gestion de Kénitra (ENCG) et vit encore au crochet de ses parents. La première mouture de ce gouvernement a vu le jour en 2012. « Comme au début de chaque projet, l’inexpérience et les batailles d’ego ont eu raison du premier gouvernement, qui a connu plusieurs démissions. Certains membres ont même été démis de leurs fonctions », évoque Salaheddine Abkari.

En novembre 2013, un second gouvernement voit le jour en présence du ministre de la Jeunesse et des Sports, Mohamed Ouzzine, qui promet un bureau à ces jeunes, sans tenir parole. Pour repérer des profils « ministrables », le Forum des jeunes marocains lance un concours sur les réseaux sociaux. Pas moins de 500 candidats répondent au questionnaire portant sur la politique marocaine nationale et internationale et sur la culture générale. Au sein du comité de sélection, on trouve des professeurs universitaires, des journalistes, l’artiste Latifa Ahrarre et même  le président de l’Organisation marocaine des droits humains (OMDH), Mohamed Nachnach. Ils auront le dernier mot pour sélectionner les 26 jeunes qui constitueront le gouvernement parallèle des jeunes pour un mandat d’un an. Le poste de Chef de gouvernement échoit à Ismaïl Al Hamraoui, un jeune homme de 29 ans membre du bureau politique du PPS et cadre de la délégation provinciale du ministère de la Jeunesse et des Sports à Tiznit.

La parité pour de vrai

Pied de nez au gouvernement ou acte militant, la moitié des jeunes ministres sont des femmes. « Pour nous  la parité n’est pas un slogan. Le peu de femmes qui existent dans le gouvernement Benkirane sont des ministres déléguées. Comme s’il n’existait pas de femmes dans ce pays capables d’assumer des fonctions publiques ».

C’est Ibtissame Azzaoui, 27 ans, secrétaire générale du gouvernement parallèle, qui le dit. Lauréate de l’Ecole hassania des travaux publics et de l’Ecole Centrale Paris, elle travaille dans une société privée dans la capitale française, mais ne rate sous aucun prétexte les réunions mensuelles du gouvernement. « Mon rôle consiste à coordonner le travail des différents départements, évaluer l’avancement de nos projets », précise-t-elle. Mais en quoi consiste ce travail ? « Chaque ministre jeune est assisté par au moins cinq collaborateurs qui font la veille d’un secteur et formulent des propositions pour l’améliorer », explique Salaheddine Abkari. Pour aiguiser leurs connaissances dans leurs secteurs respectifs, ils n’hésitent pas à se rendre au parlement pour suivre les débats publics.

En ce qui concerne le mode de fonctionnement, il relève du bénévolat. « Lors de la création du premier gouvernement, nous avons reçu un financement venant d’un organisme anglais. Mais devant l’ambiguïté de ses objectifs, nous avons stoppé notre collaboration et rendu l’argent », nous révèle Salaheddine Abkari. Plusieurs de ces jeunes avouent appartenir ou avoir des affinités avec les partis politiques, mais ils laissent leurs différences idéologiques de côté avant de rentrer en conseil des ministres. Ibtissame Azzaoui est membre du PAM et l’assume complètement : « J’ai été séduite par le dynamisme et l’ouverture en interne et à l’international du PAM. Mais mes opinions politiques n’ont aucune influence au sein du gouvernement parallèle ».

Cause toujours…

Sur les réseaux sociaux, ce gouvernement attire les quolibets quand il ne fait pas l’objet de paternalisme de la part de la classe politique. A ceux qui taxent cette initiative de « folklorique », la secrétaire générale, Ibtissame Azzaoui, réserve une réponse tranchante : « J’aimerais que tous les jeunes de ce pays se mettent à ce genre de folklore qui permet de mieux connaître son pays. Les jeunes sont un simple slogan politique brandi par les partis politiques. Il est temps pour nous de nous prendre en charge ». Loin de se décourager, les jeunes ministres jouent la carte de la communication sur les réseaux sociaux et organisent des colloques avec les jeunes dans différentes villes du royaume, en s’appuyant sur un réseau d’associations sympathisantes.

Mais qu’en est-il de leurs rapports avec le vrai gouvernement de Benkirane ? « Seuls quelques ministres acceptent de nous écouter ou de nous rencontrer. Les autres doivent nous voir comme une bande de brahech rêveurs », affirme Salaheddine Abkari. En tant que jeune ministre de l’Enseignement supérieur, ce dernier a joué le médiateur lors de la grève des étudiants de l’École nationale de commerce et de gestion de Tanger ou de l’Ecole hassania des travaux publics. Il n’hésite pas à tacler son « homologue », Lahcen Daoudi : « Le plus grand absent  de la prétendue réforme de l’enseignement supérieur est l’étudiant. Personne ne demande son avis. Par ailleurs, il n’existe aucune évaluation pédagogique des professeurs universitaires ». Si jeunesse savait, si vieillesse pouvait, dit le dicton. A moins que ce ne soit l’inverse ?

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