Ta vie en l'air. Bouillon de culture

Par Fatym Layachi

La culture, tu trouves ça important. C’est tellement génial quand tu lis qu’une association de petits jeunes a organisé un festival de poésie. Quel dommage qu’on n’encourage pas plus ce genre de choses ici. Tu es scandalisée par le manque de moyens. Alors les concerts, les pièces, les salons du livre, les spectacles de mimes ou autre récital andalou, tu trouves tout ça génial. De là à aller applaudir un groupe de rock ou un auteur qui signe son dernier opus, il n’y a qu’un trajet en voiture que tu ne fais quasiment jamais. C’est tellement loin. Et puis, il n’y a sûrement pas où se garer. En plus c’est super mal indiqué. Si au moins il y avait une appli pour connaître les horaires. Et même si tu voulais y aller, tu ne sais jamais où et comment réserver.

Mais  cet après-midi, c’est différent. Le spectacle est au profit d’une association caritative qui fait un travail absolument formidable sur le terrain. Ou du moins dont la présidente fait un travail formidable de communication. Magazine féminin, vente aux enchères, émission radio… elle est partout. Peu de gens savent auprès de quels exclus de la société son assoc’ est active, mais beaucoup sont prêts à donner.

 

Le hall du théâtre est donc archiplein, les billets ont tous été vendus. Très cher, c’est pour la bonne cause après tout ! Avoir énormément de temps combiné à un très fort pouvoir d’achat est un privilège exclusivement féminin. Alors ce hall est plein de tout ce que ce microcosme compte d’épouses ou de filles. Tout ce beau monde se connaît, forcément. La théorie selon laquelle toute personne sur le globe peut être reliée à n’importe quelle autre, au travers d’une chaîne de relations comprenant au plus cinq autres maillons, est absolument rétrécie. Et aujourd’hui, tout ce beau monde est ravi de pouvoir faire une bonne action et voir une pièce qui arrive ici auréolée d’un succès à l’étranger. Tu as pris le temps de googliser le titre, et tu as en effet trouvé quelques dates de représentation, mais dans des villes aux noms pas glorieux et dans des contrées que tu ne saurais pas situer sur une carte de France. Pas de quoi attribuer une auréole ! Enfin bon, l’heure n’est pas au cynisme. Avant la représentation, il y a cocktail. Il faut bien sociabiliser. L’art pour l’art, faut pas déconner non plus ! La culture c’est important, certes, mais tout de même… Un macaron à la rose, un jus gingembre-citron et trois tberguiguate plus tard, il faut rentrer dans la salle, en papotant bien entendu.

 

La lumière s’éteint. Les bonnes femmes ne se taisent pas pour autant, elles chuchotent. Et elles réussissent l’exploit prodigieux d’être plus bruyantes à voix basse. Le spectacle commence. Un téléphone sonne. Quelques « chuuuuut » se font entendre. Il faut être concentré.

La pièce est mauvaise. C’est un fait. Mais le manque de culture et une bonne gestion de l’image peuvent fabriquer assez facilement l’engouement collectif. Alors quand la lumière se fait, la salle comble applaudit. Et toi aussi. Un spectacle jugé médiocre ailleurs mais devant lequel ce petit monde, qui a autant d’esprit critique qu’un poisson rouge, s’extasie. Parce que dans cet aquarium, le « made in ailleurs » veut forcément dire brillant.

Et puis non Madame l’organisatrice, ça n’a pas fait un carton ailleurs. Ça s’appelle une tournée et c’est juste normal dans un pays où il y a des circuits de diffusion. Toi tu vis en circuit  fermé dans une société du spectacle aussi triste que pailletée. La culture oui, c’est important. Enfin tant que c’est celle des autres.