Ta vie en l'air. Prendre de la hauteur

Par Fatym Layachi

Tu as pensé à tout. Les billets d’avion. Le transfert aéroport-station. Le spa. L’hôtel ? Pas besoin. La réservation est reconduite d’année en année dans le meilleur palace de la station, en fonction des dates des vacances des enfants de ta sœur. Et tu y croises les mêmes familles… On ne se fréquente pas forcément pendant l’année, mais on est très heureux de se croiser, emmitouflés dans les mêmes doudounes hors de prix. C’est aussi ça, avoir les mêmes valeurs. Zee est là, elle aussi, en famille. Sa mère et son chihuahua ont la même fourrure. Madame la mère de Zee adore les plaisirs montagnards. Enfin, par plaisirs montagnards, elle entend surtout faire tout comme en ville, mais à 1850 mètres d’altitude.

Cette semaine elle y tient. Elle la prépare tellement bien. Elle a scruté les tendances, acheté de superbes lunettes aux verres polarisants qui ne permettent pourtant pas de lire l’écran de son smartphone et, surtout, elle a payé une fortune en excédent de bagages. C’est qu’elle a tenu à embarquer dix kilos de charcuterie halal pour sa petite dernière. Parce que tu sais, elle adore la raclette, et la pauvre chérie, elle ne comprend pas encore… La pauvre petite est à plaindre, en effet, d’avoir une mère qui a la halalite aiguë. Quant à Zee, elle va encore s’amouracher d’un moniteur de ski en combi rouge et aux lèvres toutes blanches de labello. Elle sera prête à tout pour se perdre dans son regard, certes très bleu mais dans lequel ne brille pas la moindre lueur d’éveil intellectuel. Tu as beau lui expliquer qu’il ne faut jamais délocaliser le sportif de son milieu naturel, rien n’y fait. Elle te dira que les petites rides de soleil autour des yeux, c’est trop craquant. Et toi comme tous les ans tu la supplieras de l’imaginer ne serait-ce qu’une demi-heure dans un lounge en ville. Elle ne voudra rien entendre. Tant pis, elle occupera son petit cœur en mal d’adrénaline pendant quelques jours.

Le ski (enfin le sport appelé ski), tu as essayé. Mais faire la queue pour les remontées mécaniques pendant plus d’une demi-heure pour être mortifiée à l’idée de tomber de ce maudit tire-fesses, et de te taper la honte devant des gamins blonds pour finalement redescendre en trois minutes, tu n’en vois pas vraiment l’intérêt.

Et puis les chaussures font affreusement mal aux pieds. Le ski est une excuse, il y a tellement de choses à faire. Prendre le petit-déjeuner en faisant le plein de fruits secs, parce que le grand air ça creuse, et qu’il faut prendre des forces. Passer une heure à enfiler des couches de fringues parce qu’il fait froid en altitude, alors que les intérieurs sont surchauffés. Se tartiner d’écran total parce que les UV en altitude sont les pires et que le bronzage avec les marques de lunettes, ce n’est plus permis depuis 1997. Aller déjeuner dans un resto d’altitude parce que c’est là qu’il faut être. Flâner dans les boutiques parce qu’on y trouve des marques qu’il n’y a nulle part ailleurs. Aller prendre l’apéro dans un autre hôtel parce qu’il faut bien croiser d’autres compatriotes et se dire que leur hôtel est moins bien. Aller manger une fondue parce que c’est aussi pour ça qu’on est là. Aller boire un dernier genépi en écoutant un band de saisonniers chanter, parce que c’est le seul moment de l’année où tu vas dans un lieu hyper-branché avec de gros godillots aux pieds. Et recommencer tous les jours. Pendant sept jours. C’est le temps qu’il a fallu à Dieu pour créer le monde. C’est le temps qu’il t’a fallu pour dépenser le revenu annuel d’un smicard de pays émergent.