Diplomatie Rapprochement avec l'Iran

Les relations entre le Maroc et l’Iran se réchauffent alors que Rabat a suspendu ses relations diplomatiques avec Téhéran depuis 2009. Le changement de cap de Washington et de l’Iran est pour beaucoup dans ce dégel.

Les ambassades marocaine et iranienne pourraient rouvrir sous peu. C’est en tout cas ce qu’a annoncé, le 5 février, Hossein Ami-Abdollahian, ministre adjoint des Affaires étrangères de Téhéran, à l’agence officielle iranienne Irna. Et de confier que Javad Zarif, ministre des Affaires étrangères, avait joint par téléphone son homologue marocain, Salaheddine Mezouar.

Rencontres et conditions

Le ministère des Affaires étrangères marocain ne s’exprime pas encore à ce sujet. Mais une source anonyme au sein du ministère nous confirme : « Il y a bien eu un appel des autorités iraniennes et un retour du Maroc qui ont laissé entrevoir un accord de principe sur la reprise des relations diplomatiques ». Le 8 février, la même agence iranienne va plus loin et assure  que « Larjani (président du parlement iranien, ndlr) a discuté avec le prince du Maroc (Moulay Rachid, ndlr) en marge de la cérémonie » à propos du voyage de Ali Larjani en Tunisie, à l’occasion de l’adoption de la nouvelle Constitution, à laquelle était aussi convié le prince Moulay Rachid. Au ministère, si on ne commente pas officiellement, on accepte de livrer des informations au compte-gouttes, « des éléments de langage, qui seront ceux d’une reprise diplomatique ». Point important, nous glisse un autre chargé d’affaires du ministère des Affaires étrangères : « Le respect des pratiques religieuses du royaume », condition sine qua none mise en avant par Rabat en préalable à toute réouverture des ambassades, allusion faite au prosélytisme chiite iranien, plusieurs fois dénoncé par des officiels.

Si l’étonnement a été de mise, quelques indices d’un possible réchauffement pointaient à l’horizon depuis 2013. En mars, Abdelilah Benkirane confirmait au journal libanais Al Akhbar avoir rencontré le ministre iranien des Affaires étrangères, en marge d’un congrès, et rappelait les « bonnes relations historiques » qui unissaient l’Iran et le Maroc. Plus récemment, la presse remarquait que Téhéran avait été convié à prendre part à la réunion du Comité Al Qods, présidé par Mohammed VI, à Marrakech. Hossein Ami-Abdollahian en profitait pour glisser aux médias iraniens que le nouveau président, Hassan Rouhani, tenait à une consolidation des liens avec les pays arabes, y compris le Maroc, « pays ami et frère ». Même si l’Iran n’a jamais été un partenaire économique majeur pour le Maroc.

En 2008, les échanges étaient d’environ 9 milliards de dirhams et la balance commerciale était largement déficitaire pour le Maroc, qui exportait surtout du phosphate et importait du pétrole. Malgré tout, l’Iran a longtemps été le plus gros fournisseur du Maroc en pétrole après l’Arabie Saoudite. En 2004, un accord de libre échange a même été à l’étude. Preuve de l’intérêt porté à la question, le ministre iranien du Commerce de l’époque est reçu cette année-là par Mohammed VI. 

La rupture de 2009

Flash-back. En 2009, les relations diplomatiques entre les deux pays sont brusquement interrompues. A la mi-février, l’ancien président du parlement iranien parle du royaume de Bahreïn (dirigé par un monarque sunnite et peuplé d’une majorité de chiites) comme d’une « province iranienne ». Le Maroc, comme d’autres pays, réagit et affirme son soutien au monarque bahreïni, un proche de la monarchie marocaine. 
A Téhéran, l’ambassadeur par intérim du Maroc est convoqué au ministère des Affaires étrangères. De convocations en rappels de diplomates, la situation se détériore jusqu’à ce que, le 6 mars, le Maroc annonce la rupture de ses relations diplomatiques avec l’Iran. Le communiqué émis à l’époque par les Affaires étrangères accusait même, loin de la question bahreïnie, un « activisme avéré des autorités de ce pays (l’Iran), (…) visant à altérer les fondamentaux religieux du royaume… »Taïeb Fassi Fihri, alors ministre des Affaires étrangères, dénonce, dans des déclarations à l’agence française AFP, le prosélytisme chiite sévissant au Maroc et dont l’Iran se serait rendu complice. Les médias avaient suivi en s’inquiétant de l’importante littérature chiite circulant au Salon du livre de Casablanca de février 2009. Un diplomate égyptien avait commenté à l’époque cette rupture, assurant qu’elle était le fait de l’Arabie Saoudite, proche du Maroc et rivale de l’Iran sur plusieurs points, tant religieux que diplomatique et économique. « La rupture s’inscrivait dans un contexte international où l’administration américaine définissait l’Iran comme membre de  l’axe du mal » , rappelle Youssef Belal, chercheur marocain persanophone.

Changement de contexte

Ce contexte a changé. « D’une part, l’administration Obama est plus dans une stratégie de dialogue et d’ouverture. Et l’Iran, avec l’élection de Hassan Rouhani en 2013, est lui aussi dans une politique de dialogue avec de nombreux pays », éclaire Belal. « Le Maroc pourrait même tirer profit de ce rapprochement », confie une source aux Affaires étrangères, qui s’explique : « De prochaines rencontres informelles pourraient avoir lieu dans le pays musulman qui se montrerait proche à la fois de Washington et de Téhéran, les diplomates marocains pourraient s’illustrer dans le rôle de go-between ». Reste à ne pas fâcher les alliés du Golfe. « C’est là une des autres conditions d’une reprise des activités diplomatiques : ne pas interférer dans les relations que nous entretenons avec les pays de la Péninsule arabique », nous précise une de nos sources au sein du ministère. « Il existe beaucoup de tensions et une grande rivalité entre les pays du Golfe et l’Iran et le Maroc a des enjeux financiers beaucoup plus importants avec l’Arabie Saoudite et le Qatar qu’avec l’Iran. En cas de crise, le Maroc sera amené à monnayer et à prouver son alignement, et surtout se montrer reconnaissant vis-à-vis de ces pays. C’est pour cela qu’il pose des conditions à la République islamique » , décrypte Belal.

« En Iran, on m’a dit qu’on était très attristé de la rupture diplomatique », déclarait il y a peu à TelQuel Mohamed Khalidi, secrétaire général du parti islamiste Renaissance et Vertu, qui s’est rendu en Iran en 2011. Et qui ajoutait : « Contrairement à ce que l’on croit, notamment sur la question du Sahara, l’Iran est favorable au Maroc, alors même que les Algériens ne cessent de leur faire des appels du pied. Il faut reprendre langue avec les Iraniens, et vite ! » En effet, quelques semaines seulement avant la rupture des relations diplomatiques en 2009, l’ambassadeur iranien à Rabat déclarait que la décision iranienne de ne pas entretenir de relations avec le Polisario valait toujours.  

CHRONOLOGIE. En dents de scie

Les rapports entre le Maroc et l’Iran ont connu plus de bas que de hauts

En 1979. l’opposant l’Ayatollah Khomeiny devient le dirigeant de la nouvelle République islamique d’Iran. Hassan II n’a pas de mots assez durs contre cet homme qu’il excommunie même implicitement.

En 1995, les relations reprennent à la faveur d’un accord commercial. Au courant des années 2000, les relations se raffermissent, le point d’orgue étant atteint entre 2004 et 2006, avant la brusque rupture de 2009.

En 2006, Mohamed Benaïssa, alors ministre des Affaires étrangères, rencontre le président de la République d’Iran et lui transmet un message personnel de Mohammed VI. En 2007, le ministre iranien des Affaires étrangères, en visite au royaume, se félicite de la gestion de la question du Sahara par le Maroc. En 2008, la vice-présidente iranienne rencontre le Premier ministre Abbas El Fassi.

En 2009, l’ancien président du parlement iranien qualifie le royaume de Bahreïn de « province iranienne ». Le Maroc réagit et affirme son soutien au monarque bahreïni, un proche de la monarchie marocaine, et rompt ses relations diplomatiques avec l’Iran.

En 2014, cinq parlementaires marocains, de l’opposition et de la majorité, devraient se rendre à Téhéran pour rencontrer des cadres du gouvernement iranien, selon le journal saoudien Achark Al Awsat.

8000. Le nombre estimé de Marocains pratiquant l’islam selon  les règles chiites.

 

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