Voyance. Ma vie dans une boule de cristal

A quoi va ressembler mon futur mari ? Pour répondre à cette question, notre journaliste a décidé de consulter plusieurs voyantes 
et fquihs de Rabat et Casablanca. Une expérience surréaliste.

Hamdoullah, tu commences enfin à prendre ce sujet au sérieux ! Il était temps vu que tu as presque 30 ans », s’écrie avec enthousiasme ma femme de ménage lorsque je lui parle de mon projet. Nada est une habituée des chouafate. « J’en connais une très efficace, mais elle n’a pas de téléphone. Elle va chaque dimanche au marabout de Sidi Larbi Benssayeh, on peut aller la voir là-bas », conseille-t-elle. Dimanche après-midi, Nada me fixe donc rendez-vous au quartier des Oudayas de Rabat, devant le marabout. Pour mettre la main sur notre fameuse voyante, il faut entrer à l’intérieur. Tous les gens autour de nous portent jellaba et babouches. Je propose alors à ma « complice » d’y aller seule, vu que je suis habillée en jean et Converse déchirées. Niet. Khadija, la chouafa, doit absolument voir à quoi je ressemble. Elle doit s’assurer que je ne dégage pas de « mauvaises ondes » avant d’accepter de lire mon avenir. Et pas question de se présenter les mains vides. « On doit acheter des bougies, les poser devant la dépouille du saint homme, et là on pourra parler à Khadija ». Je prends mon courage à deux mains et entre dans ce lieu minuscule où les gens font la queue pour poser leurs bougies et se recueillir devant le tombeau de Sidi Larbi. Quand mon tour arrive, je m’exécute en vingt secondes, puis me tourne vers Nada. Je la vois discuter avec une femme ronde, dans la cinquantaine. La voyante me scrute du regard pendant quelques minutes, puis me fait un grand sourire. Ouf, c’est bon, j’ai passé le test !

Ambiance de plomb

Nous devons prendre un taxi pour aller chez elle dans le quartier populaire de Yacoub Al Mansour à Rabat. Quand nous arrivons dans sa petite maison, elle me demande de m’installer dans un salon marocain très bien entretenu, où traînent quelques peluches d’enfant. Trois autres femmes sont déjà là. Quelques minutes plus tard, elle revient avec des plaques de plomb (« l’doune ») qu’elle fait fondre et jette dans une bassine d’eau sous mes jambes. Un rituel incongru, mais que les femmes autour de moi prennent au sérieux. Khadija récupère les restes des plaques, qui forment de jolies figurines gris métallisé, et commence à me dire ce qui m’attend. « Tu vas te marier et tu auras une vie très heureuse. Tu vas même avoir le choix entre trois prétendants tous fous de toi. Deux plutôt bruns et un grand blond », m’affirme la dame avec assurance. « Et avec lequel vais-je convoler ? ». Sa réponse me laisse sans voix : « Je ne sais pas, mais je te déconseille le deuxième brun. Même s’il est beau gosse, il a plein de crédits. Tu devrais opter pour le grand blond, il a de l’argent. Bref, Djaja b’Kamounha ! ». Elle vient de qualifier l’éventuel homme de ma vie de « poulet au cumin ». Avant de partir, je lui demande si elle sait où je vais le rencontrer. « Lors d’un voyage dans un pays lointain que tu feras très bientôt ». S’agirait-il de mes prochaines vacances d’été en Finlande ? Le grand blond serait-il un beau Scandinave ? Nada me sort brutalement de mes pensées : « Tu veux aller voir un fquih ? Une des femmes dans le salon m’en a conseillé un pas loin ». Pourquoi pas ?

« Tu es possédée par le démon »

Après avoir frappé plus de cinq fois à sa porte, le fquih nous ouvre enfin. A voir son grand âge et sa longue barbe blanche, je comprends pourquoi il a mis autant de temps. L’homme n’a pas l’air surpris de nous voir et nous demande de monter à l’étage. Dix minutes plus tard, il nous rejoint visiblement essoufflé, dans une pièce quasiment vide, à l’exception d’un matelas et de quelques poufs. Il s’installe derrière une petite table, sort une fiole de goudron, un petit bâton qui ressemble à un épais cure-dent et un cahier. Sa technique s’appelle « l’khit » (« le fil »). Il commence par me demander mon prénom, celui de ma mère, de ma grand-mère maternelle, et ma date de naissance. Le vieillard fait dans la « numérologie islamique ». Après plusieurs gribouillages, il se lance dans un monologue durant lequel il m’explique, avec le plus grand sérieux du monde, que je suis possédée et que je ne me marierai que si je le laisse m’exorciser. « Un jour, il y a très longtemps, tu es allée à une lila de gnaoua et tu as mangé un couscous sans sel. C’est là qu’un démon t’a possédée », m’affirme l’homme, un brin théâtral. Au bord du fou rire, je lui précise que je ne suis jamais allée à une lila. « C’est arrivé, tu as juste oublié ». Le fquih propose une solution « très simple » : revenir le voir le 15e jour du prochain mois musulman, et lui apporter 21 bougies ainsi qu’un kilo de l’doune. De son côté, il fera un sacrifice en mon nom. Sans prendre le temps de lui demander quel pauvre animal il compte tuer pour sauver ma vie sentimentale, je file en prenant mes jambes à mon cou.

 

L’oracle des bourgeois

Après cette rencontre plutôt étrange, je décide de poursuivre l’expérience à Casablanca. Une amie me propose d’appeler Rachida, médium connue dans les cercles bourgeois de la métropole, qui fait des consultations à domicile. Etonnée, je lui demande comment elle la connaît. « Tu rigoles ou quoi, il y a plein de personnes dans notre entourage qui la voient régulièrement », me rétorque-t-elle. Au bout du fil, la voyante me fixe rendez-vous deux jours plus tard, chez mon amie. Rachida n’est pas très différente de Khadija, même style vestimentaire, même âge. Mais Rachida est moins joviale que la précédente, et surtout overbookée. « Dans une heure, j’ai un rendez-vous à l’autre bout de la ville, on doit faire vite », me dit-elle en guise de bonjour. Dès qu’elle s’installe, elle dégaine ses cartes, les étale sur la table et commence à me dire ce qu’elle y voit. « Tu es née sous une bonne étoile, tu n’as pas à t’inquiéter. Jusque-là, tu n’as pas vraiment eu de chance avec les hommes, mais ça va changer ». Le fquih aurait-il pratiqué son rituel de sacrifice sans me prévenir ? Elle m’affirme également que j’aurai deux grandes histoires d’amour dans ma vie, l’une avec un brun et l’autre avec un… blond. L’un d’entre eux deviendra mon époux. Elle va même plus loin en me disant que j’aurai deux fils. Mais où est passé le deuxième brun qu’avait vu la voyante rbatie ? Rachida revérifie, elle ne voit pas de troisième homme dans ses cartes.

Pour 200 dirhams de plus

Dernière étape de mon périple, le légendaire îlot de Sidi Abderrahmane, au bout de la corniche casablancaise, sur lequel je n’ai jamais mis les pieds. Je décide donc de m’y rendre par un beau samedi ensoleillé. Après avoir fait une petite balade bucolique sur le joli rocher, qui n’a en réalité rien de terrifiant, je demande à un groupe de femmes si elles peuvent m’indiquer une bonne chouafa. Elles sont unanimes, je dois absolument aller voir Fatima, qui fait au même moment une « consultation » sur la corniche en face de l’îlot. Sur la plage, je demande à un autre groupe de tatoueuses de henné si elles la connaissent. Elles acquiescent, et l’une d’entre elles se porte volontaire pour aller la chercher. Après vingt minutes, Fatima arrive enfin. Avec son regard vif et sa démarche assurée, cette sexagénaire en jellaba est clairement en terrain conquis. Elle me fait la bise et me demande de m’assoir sur un tabouret. Avant même que je commence à parler, elle s’agrippe à mon bras et me demande 100 dirhams. Devant ma surprise, elle m’explique : «  Je sais quel est ton problème, tu le veux hein ? Ne t’en fais pas, je vais t’aider, et il ne te quittera jamais ! ». J’essaie de lui faire comprendre que ce n’est pas pour envoûter un potentiel futur mari que je suis là, mais seulement pour qu’elle lise mon avenir sentimental. Fatima me foudroie du regard avec ses grands yeux noirs. « Fais-moi confiance ! Je le vois ton étranger avec qui tu parles sur Internet. Donne-moi 200 dirhams de plus, et demain je t’amènerai des petites choses et te montrerai quoi en faire. Tu l’auras dans le creux de ta main, pour toujours ! » Pour me dépêtrer de cette situation, je soutiens que je n’ai plus d’argent sur moi. « Pas de soucis, je peux venir avec toi au guichet du Morocco Mall », me répond-elle. Pour me débarrasser d’elle et de son gang de copines tatoueuses qui suivent la scène, je lui fais croire que je suis une étudiante sans carte de crédit, mais je promets de revenir le lendemain avec le reste de l’argent. La sorcière me fixe pendant plusieurs secondes, avant de prendre la parole d’un ton glacial : « Sois là avant le coucher du soleil, c’est primordial pour le rituel. Si tu ne viens pas, je te jetterai un mauvais sort, je le jure ! ». Sur ces mots, je lui tourne le dos et m’éloigne aussi vite que je peux, en me jurant de ne plus jamais consulter une voyante ou un fquih. L’horoscope me suffira largement.    

 

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