Ta vie en l'air. Bonne année, mais pas trop

Par Fatym Layachi

Il est 23h30. Tu te trouves dans ce qui est censé être la soirée du siècle. Tu parles ! Tu te souviendras surtout de l’embouteillage du millénaire que tu as dû traverser pour y arriver. Curieusement, tu n’es pas la seule de sortie un 31 décembre !

Et en plus, ton super-pote, celui qui t’a invitée à cette super-fête, et qui tenait absolument à ta présence, ne devait pas y tenir tant que ça vu qu’il n’a pas été foutu de t’envoyer une géolocalisation digne de ce nom sur Whatsapp. Alors fatalement, à un moment tu t’es perdue et tu as erré au milieu des palmiers telle une héroïne de Paulo Coelho.

En même temps, comment tu  pouvais deviner que c’est sur la « nouvelle » route de la palmeraie qu’est la « nouvelle » maison de Nab. D’ailleurs Nab tu ne le connais pas vraiment, tu l’as rencontré brièvement à un opening d’hôtel. C’est l’un de ces nouveaux mondains qui ont débarqué dans la ville ocre en achetant une maison dont l’indécence du prix ferait croire qu’on vit dans un endroit encore plus hype que Miami. Alors il se doit d’y faire des fêtes fastueuses en invitant les gens qu’il faut. Tu fais partie de ces gens. Donc tu es là, logique. Superbement apprêtée et souriante au milieu de gens dont le slogan du jour semble être « oh oui vivement une nouvelle année, de nouvelles énergies, ça a quand même été dur 2013 ». C’est donc devenu tendance de se plaindre avec délicatesse, une coupe à la main.

A minuit, tu tiens les cheveux de Zee qui vomit dans la cuvette. Elle aussi est bien élevée. Bonne année ! Et elle tente de s’inventer une dignité en t’expliquant que non ce n’est pas l’alcool. C’est les crevettes qui n’étaient pas fraîches. Mais bien sûr. Ton téléphone commence à s’exciter dans ce sac aussi cher qu’il est peu pratique. Ça appelle, ça texte, ça whatsapp. Entre les messages groupés et les blagues débiles ton cœur ne chavire pas du tout. Ça y est on est en 2014. Demain, c’est maintenant. Mais le changement tu as un peu de mal à l’imaginer, enfermée dans les toilettes de Nab.

Tu te regardes dans la glace. Ton visage n’a pas l’air si frais. Zee fume une clope assise par terre en buvant de l’eau dans un verre à dents. Tu t’approches du miroir pour regarder ces petites rides qui commencent à apparaître autour de tes yeux. Tu les redoutes ces rides, et ces petites taches et ces bleus sur tes lèvres. Même si ta grand-mère dit que les rides sont l’écriture de la vie, toi tu aimerais rester une page blanche. Tu aimerais tout effacer. Ce qui fait mal au cœur et ce qui ternit la peau. Alors, à défaut de trouver l’harmonie, cette année tu achèteras en ligne une crème aux actifs super-puissants. La voilà ton unique résolution.

Tu tends à Zee son poudrier, tu la recoiffes et vous retournez, souriantes, au milieu des autres. Et comme eux tu festoies, embrasses, fais des vœux, souhaite des choses merveilleuses à des inconnus. Et surtout la santé n’est-ce pas ? Tu portes dans ton sourire figé la désolation sordide des boîtes de nuit qu’on regarderait à la lumière du jour.

Il est l’heure de rentrer dormir. Le jour se lève. La prière est appelée. Tu as mal aux pieds. Tu es décoiffée depuis bien longtemps. Et puis surtout tu meurs de faim. T’as passé la moitié de ta soirée aux chiottes alors forcément le super-buffet du super-traiteur tu l’as entraperçu et tu l’as pas trouvé si super d’ailleurs. Tu rêves de coquillettes. Ou d’appeler ta mère, mais tu sais qu’elle dort. Elle s’est mise au lit à 22h. Elle se réveillera l’année d’après en n’ayant mal nulle part. Elle a eu bien raison.