Ta vie en l'air. Mon mex à moi…

Par Fatym Layachi

Tu viens de faire une manucure au fini brillant et impeccable. Tes talons sont si hauts que t’es persuadée d’avoir réussi ta vie. Tu es très en retard. Tu as déjà sept notifications WhatsApp pour te rappeler que ta copine est déjà arrivée dans ce lounge où le malheur conjugal est soluble dans les bulles. Et tu te retrouves à ce dîner un peu scabreux avec cette ravissante idiote qui se croit lumineuse parce qu’elle a lu la quatrième de couverture des trois derniers livres de Marc Levy. Mais tu souris, parce qu’une jolie fille ça sourit comme ça respire, par réflexe.

A table, il y a aussi ce garçon bien-sous-tous-rapports au CV mondain impeccable. Celui qui a une superbe fiche de paie et un appart affreusement décoré avec ces canapés hideux que sa tante lui a refourgués en attendant qu’il se marie. Et le garçon parle et fait des gestes. ça fait sept minutes qu’il te connaît et déjà il a des projets : un week-end durant lequel il ne ressemblera à rien parce qu’il aura voulu imiter à George Clooney en vacances. Et après ce week-end, il imagine un dîner en ville. Celui où on s’affiche au monde. A l’instant où il commence à se demander par quoi tu remplaceras le canapé hideux. En effet, le garçon se projette. Il pense mariage. Non parce que c’est toi mais parce qu’il est temps. A cet instant-là, toi, tu bâilles. Parce que la plus polie des jolies filles s’ennuie à un moment. Le garçon trouve ça mystérieux. Et forcément, ça lui plaît.

Et enfin, la délivrance ! Tu sens ton téléphone vibrer. Tu t’excuses par un sourire. C’est fou comme cette science infuse qu’est la politesse silencieuse peut être salvatrice. Et tu regardes l’écran de ton smartphone. Ton mex, ne sachant plus comment faire pour te contacter sans montrer le moindre intérêt pour ta personne, te demande comme ami sur Facebook. Non, mex n’est pas une faute de frappe, c’est un concept. Le mex est ce garçon avec qui tu n’es plus vraiment mais à qui tu penses un peu du lundi au mercredi dans le froid de ton lit et avec qui tu dînes (et plus si affinités) certains jeudis. Donc le mex a fait signe. Panique à bord. Cellule de crise. Texter Zee pour savoir ce qu’elle en pense. Peser le pour et le contre. Le tout bien entendu sans montrer le moindre signe d’affolement : tu es à un dîner et face à un quasi inconnu qui t’envisage en mère de ses enfants.

Alors, on fait quoi du mex ? C’est peut-être le moment de lui en faire baver un peu en lui montrant à quel point tu es canon sur ces photos instagrammées, mais tu n’es pas sûre que ce soit une bonne idée qu’il voie à quel point tu as fait la fête sur cette île en Grèce. Bref, tu es troublée. Et ton cœur bat un peu plus vite. Le garçon bien-sous-tous-rapports émet des sons qui te parviennent avec autant de clarté que du coréen ancien. Et c’est là que tu comprimes ton petit cœur tout mouillé, que tu restes imperturbable (parce que polie donc souriante) et que tu invoques l’alibi infaillible : la cousine de passage qui a oublié les clés. Tu pars en souriant. Tu te diriges vers ta voiture. Un ivrogne passe. Il te regarde du coin de l’œil et t’assène un « wjeh anna7s » (si cette scène avait lieu à Marseille, tu aurais eu droit à un chantant « figure d’angoisse »). L’ivrogne a sans doute raison. Sous ton vernis, il n’y a pas grand-chose qui brille. Et tu n’as pas fait grand-chose de ta journée. Et demain rien n’ira mieux.