Profil. Les walis de Sa Majesté

Ces 17 hauts fonctionnaires font la pluie et le beau temps dans les régions qu’ils chapeautent. Qui sont-ils ? à quoi servent-ils ? Combien gagnent-ils ?

Le 11 mai, la nouvelle vague de nominations de walis et de gouverneurs a provoqué l’ire de plusieurs politiques à l’égard de Abdelilah Benkirane. Au sein même du PJD, des voix se sont élevées pour critiquer le chef de l’Exécutif, accusé de laxisme pour ne pas avoir émis un veto concernant la liste proposée par son ministre de l’Intérieur, Mohand Laenser, qui comprenait selon eux des fonctionnaires ayant “mauvaise presse”. “Nos bases dans les régions connaissent très bien ces responsables, Benkirane aurait dû les consulter avant le Conseil des ministres du 11 mai”, explique un cadre du PJD. Mais trop tard, le Premier ministre a validé les noms suggérés par Laenser, et le roi a d’ores et déjà procédé aux nominations. Et le moins qu’on puisse dire, c’est que le nouveau gouvernement islamiste n’a pas changé grand-chose, puisque les 12 nouveaux walis étaient déjà là avant et n’ont fait dans la plupart des cas que changer de région. A l’instar de Mohamed Boussaïd, qui quitte la région de Souss-Massa-Draâ pour le Grand Casablanca, Mohamed Faouzi, qui passe de Meknès-Tafilalet à Marrakech-Tensift-El Haouz, ou encore Mohamed Dardouri, qui troque Tadla-Azilal contre Fès-Boulemane. “Dans la conjoncture actuelle du pays, il est difficile de procéder à un changement radical de ces cadres de premier plan”, nous confie une source au ministère de l’Intérieur. Plus clairement, nouvelle Constitution ou pas, les walis restent une chasse gardée du Palais. 

De la tutelle au partenariat

C’est clair, le wali est l’homme fort d’une région. Il supervise l’action des élus, valide les budgets et intervient dans tous les aspects de la vie de la région et des collectivités locales qui en relèvent : conseils régionaux, provinciaux, préfectoraux et communaux. Représentant du pouvoir central, il coordonne aussi les actions des services décentralisés des ministères. Concrètement, rien ne peut se faire sans l’aval du wali : aucun investissement, ni même l’ouverture d’un café ne peuvent avoir lieu sans son accord. C’est d’ailleurs précisément pour cette raison que les présidents de communes se sont longtemps plaints du pouvoir de ces puissants représentants de l’Etat.

La situation a légèrement évolué depuis l’entrée en vigueur de la nouvelle Constitution, l’été dernier : de “tuteurs”, les walis sont devenus des partenaires. Du moins en théorie, puisque l’article 145 de la loi suprême fait d’eux des représentants du gouvernement et non plus de l’Etat. A ce titre, ils sont appelés à participer à la concrétisation des programmes de développement, et à assister les présidents de régions dans l’application des lois et dans le contrôle administratif. Cependant, ils gardent la main sur tout ce qui relève de la sécurité et du maintien de l’ordre. Sous contrôle du ministère de l’Intérieur, ils peuvent à n’importe quel moment faire appel aux Forces auxiliaires qui sont à leur disposition, mais aussi à la police et à la gendarmerie. D’ailleurs, les walis sont un maillon central du système de renseignement : ils transmettent des rapports régulièrement à la Direction des affaires générales (DAG) du ministère de l’Intérieur. A leur manière, ils ont indirectement contribué à façonner la carte politique du pays en (dé)favorisant tel parti aux dépens d’un autre.

Priorité aux oulad dar

Alors, qui sont ces hauts fonctionnaires de l’Etat et comment sont-ils choisis ? Grosso modo, il existe deux grandes catégories de walis : les oulad dar et les technocrates. Dans le jargon du ministère de l’Intérieur, les oulad dar désignent les walis qui ont fait la majorité de leur carrière au sein de ce département ou dans l’administration locale, passant de caïd à chef de cercle, avant de devenir pacha, puis gouverneur et enfin arriver au statut de wali. Soit un véritable parcours du combattant quand on sait que, pour être nommé gouverneur par exemple, il faut avoir servi 6 ans en tant que pacha. Cette catégorie représente l’essentiel des walis, une bonne soixantaine au total, aussi bien dans l’administration centrale que dans les régions. Cependant, on peut aussi devenir wali sans passer par ce chemin long et harassant. A condition de répondre au cahier des charges : justifier de dix années d’expérience dans le public ou le privé, avoir quarante ans ou plus…et être, bien entendu, dans les bonnes grâces du Palais.

Dans certains cas, les walis peuvent être des hommes politiques “repêchés” par le ministère de l’Intérieur. Cas de Mohamed Boussaïd, ancien ministre RNI de la Modernisation des secteurs publics, et d’Ahmed Moussaoui, ex-ministre MP de la Jeunesse et des Sports. Mais dans l’ensemble, cette catégorie reste minoritaire et, si ces deux hommes ont été reconduits lors des nominations du 11 mai dernier, le Palais a préféré faire la sourde oreille face aux pressions de certains partis. “Benkirane a été approché par des partis politiques qui voulaient placer quelques noms, mais cela n’a rien donné”, admet une source partisane.

D’une façon générale, la carrière des walis est gérée par une direction spéciale relevant de la Direction générale des affaires intérieures (DGAI). Cette structure évalue et note les agents d’autorité, fournissant ainsi un précieux coup de main au ministre lors des mouvements de nomination de hauts fonctionnaires. Depuis le 11 mai, cette direction est chapeautée par Mohamed Rherrabi, ancien wali de Fès-Boulemane, un ould dar entré au ministère de l’Intérieur en 1976. 

Mieux qu’un ministre

Sur le plan social, le wali jouit de nombreux avantages. L’Etat prend en charge l’ensemble des dépenses liées à la fonction : la somptueuse résidence meublée, le personnel de maison, un parc automobile conséquent et au moins un chauffeur. “Dans la réalité, un wali peut tout avoir et mobiliser tous les moyens mis à la disposition de la wilaya”, affirme le président d’une commune. En termes de rémunération, le traitement d’un wali n’a rien à envier à celui d’un ministre si on totalise toutes les indemnités auxquelles il a droit.

Mais les avantages inhérents à cette fonction sont sérieusement revus à la baisse quand on quitte le poste pour être attaché à l’administration centrale, c’est-à-dire lorsque les walis se retrouvent au “garage” dans le jargon de l’Intérieur. Cela dit, nombreux sont ceux qui, après un passage par ce fameux “garage”, sont revenus au-devant de la scène en étant placés à la tête de l’une des directions clés du ministère de l’Intérieur. Comme quoi, l’État n’oublie pas forcément ses fidèles hommes de main… 

 

Zoom. Les risques du métier

Le boulot de wali comporte certains risques. Comme celui de “sauter”, du jour au lendemain, pour avoir mal géré une émeute, un dossier crucial relatif à l’urbanisme ou une échéance électorale. La fulgurante carrière de Mohamed Jelmous, ancien wali de Laâyoune-Boujdour-Sakia Lhamra, a ainsi été stoppée net après les événements de Gdeim Izik, en novembre 2010. Mounir Chraïbi, lui, a été écarté après les élections communales (contestées) de 2009, à Marrakech. Plus récemment, Mohamed Hassad a quitté son poste de wali de Tanger-Tétouan, mais sans qu’aucune explication officielle n’ait été avancée.  On apprendra quelques jours plus tard qu’il était nommé à la tête du conseil de surveillance de l’Agence spéciale Tanger Med (TMSA), chargée de la gestion du port de Tanger.

 

Rémunérations des agents d’autorité. Revenu mensuel net (en dirhams)

  • Wali: 69 275
  • Gouverneur principal: 67 375
  • Gouverneur: 62 712
  • Pacha principal: 28 855
  • Pacha: 23 182
  • Caïd principal: 19 655
  • Caïd: 16 680

Sources : ministère de l’Intérieur & dahir du 31 juillet 2008

 

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