Télévision. Les milliards de la pub

L’interdiction de la publicité pour les jeux de hasard a été au centre de la polémique autour des nouveaux cahiers des charges des télés publiques. Et ce n’est pas le seul paramètre qui aura un impact sur le chiffre d’affaires des chaînes. Explications.

La télévision est le média qui offre la meilleure visibilité. Normal donc qu’elle soit le support de communication préféré des annonceurs. En effet, les chaînes publiques ont raflé le tiers des 6 milliards de dirhams de recettes publicitaires, tous supports confondus, réalisées l’année dernière. Et encore, selon les statistiques du Groupement des annonceurs du Maroc (GAM), 2011 a été plutôt une année de vaches maigres. D’ailleurs, c’est la plus mauvaise récolte publicitaire des fréquences hertziennes depuis 2007, où 2,3 milliards de dirhams ont été investis dans les passages télé. Et par rapport à l’année 2010, c’est une baisse de 800 millions de dirhams qui a été enregistrée.

La deuxième chaîne, 2M, reste de loin la première télé au Maroc, tant au niveau de l’audience que de la publicité. Ses recettes publicitaires, toujours selon les dernières statistiques du GAM, ont bondi de 1,4 milliard de dirhams en 2007 à 2 milliards en 2010. Son aînée de la rue El Brihi, Al Aoula, est à la traîne : son chiffre d’affaires publicitaire est passé, durant la même période, de 517 à 641 millions de dirhams. Les nouveaux arrivants ne sont pas en reste. Medi1 TV a ainsi plus que quadruplé ses rentrées pub, qui  s’établissent à 84 millions de dirhams en 2010. Et Nessma, la télé privée tunisienne à vocation maghrébine, commence également à s’imposer sur le marché marocain avec des recettes de 95 millions de dirhams en 2010.

Les largesses des télécoms

Néanmoins, la pub télé reste dominée par une poignée d’acteurs : les télécommunications, les services et l’industrie agroalimentaire sont les plus grands annonceurs. A eux seuls, ils ont engagé pour 1,8 milliard de spots télé, soit près des deux-tiers des dépenses publicitaires. Avec ses 821 millions de dirhams, les entreprises télécoms sont en haut du podium. Mais entre les trois principaux concurrents de ce secteur, le classement a changé. C’est désormais Wana qui est le plus grand annonceur avec quelque 311 millions de dirhams de budget télé. La filiale du groupe SNI a quasiment doublé ses dépenses d’une année à l’autre puisqu’en 2009, elle s’était contentée d’un investissement de 155 millions de dirhams. Wana a pu ainsi détrôner l’opérateur historique, Maroc Telecom, qui n’a dépensé que 233 millions de dirhams en publicité sur les télés publiques en 2010. Cela reste malgré tout un record, sachant qu’en 2007, Maroc Telecom n’a dépensé que 215 millions de dirhams. Méditel, le deuxième opérateur du pays, a commencé par être “généreux” avant de procéder à des coupes dans son budget de pub télé. S’il a déboursé 248 millions de dirhams en 2007, cette rubrique est passée à 176 millions en 2009. Mais la concurrence s’étant intensifiée avec la montée en puissance de Wana, le deuxième opérateur télécoms a revu à la hausse son budget en 2010, le portant à 220 millions de dirhams.

Le prix de la “renommée”

Le tarif d’une publicité sur les télés publiques varie évidemment selon les plages horaires et l’audience de chaque programme. Sur 2M, dont les responsables sont restés injoignables, prétextant la préparation du conseil d’administration, une publicité de 30 secondes en prime-time varie entre 19 000 et 61 000 dirhams. Mais, en moyenne, la chaîne facture 39 000 dirhams un spot de 30 secondes aux heures de grande écoute. Et dans le modèle économique de la chaîne de Aïn Sebaâ, c’est la pub qui sert à financer le fonctionnement. Les derniers chiffres, révélés par Mustapha El Khalfi, ministre de la Communication (et, de facto, président du conseil d’administration de 2M), évoquent une baisse de 70 millions de dirhams du chiffre d’affaires en 2011. De son côté, Al Oula, chaîne phare de la Société nationale de radiotélévision (SNRT), est moins dépendante du volume de pub. “Nous n’encaissons pas la totalité de nos recettes publicitaires, nous explique un responsable de la SNRT. En moyenne, nous ne gardons que 250 millions de dirhams par an, soit moins de 20 % de notre budget global, qui atteint 1,2 milliard  de dirhams”. Quant aux tarifs, ils varient beaucoup selon les jours et les tranches horaires. Exemple : pour un spot de 30 secondes diffusé entre 7h et 9h30 du matin, le prix est de 450 dirhams seulement, alors qu’à 12h30, il peut vous coûter jusqu’à 15 000 dirhams. Le prime-time est évidemment beaucoup plus cher, avec des spots facturés entre 27  et 37 000 dirhams. “Ces tarifs sont en vigueur depuis le 1er janvier 2011, précise le responsable de la SNRT. Ils pourraient être revus prochainement en vertu des nouveautés que vont apporter les cahiers des charges”.

Des mesures qui font mal

Jusqu’à quel point les nouvelles mesures contenues dans les cahiers des charges affecteront-elles les recettes publicitaires des télés publiques ? Pour 2M, le manque à gagner sera de l’ordre de 25 millions de dirhams, par le seul effet de l’interdiction des publicités pour les jeux de hasard. C’est ce que le directeur général de la chaîne, Salim Cheikh, a annoncé lors de ses différentes sorties médiatiques. Et la facture devrait s’alourdir davantage. « Il faut attendre l’entrée en vigueur de ces cahiers des charges pour pouvoir suivre l’évolution de l’audience suite à la mise en place de la nouvelle grille et évaluer avec précision le manque à gagner », souligne une source interne à la deuxième chaîne. Une réponse quasi identique nous est fournie par un responsable de la SNRT. Mais il y a déjà un fait concret : la SNRT perdra forcément 10 millions de dirhams de recettes puisqu’Al Maghribiya, chaîne destinée aux MRE (reprenant les meilleures émissions des télés publiques), n’aura plus le droit de diffuser des spots. Pour Al Aoula, des sources internes estiment que les pertes atteindront jusqu’à 20 millions de dirhams, rien que pour le mois de ramadan. Explication : les nouveaux cahiers des charges imposent un écart de 20 minutes, au lieu de 16, entre deux spots publicitaires. “En plus, cet écart est en fonction de l’heure horloge, nous explique le responsable de la SNRT. Avec la méthode de l’heure glissante en vigueur actuellement, on pouvait se permettre de réserver quelques minutes de l’heure précédente, voire même de glaner d’autres minutes sur l’heure qui va suivre. Ce n’est plus le cas aujourd’hui”.

Cependant, les télés publiques auront un délai de grâce qui leur permettra de réfléchir à des stratégies pour contourner ces contraintes, puisque les dispositions concernant la publicité contenues dans ces nouveaux cahiers des charges ne devraient entrer en vigueur qu’en septembre prochain. Les chiffres d’affaires pub des chaînes publiques seront en principe préservés pour ce ramadan. Maigre consolation… 

 

Gros annonceurs. Merci Majesté…

Les caisses de nos télés publiques ne sont pas uniquement renflouées par les recettes publicitaires des opérateurs de télécoms et des fabricants de détergent. Dans la liste des annonceurs, on retrouve des organismes proches du Palais ou chapeautés  par l’entourage royal. La Fondation Mohammed V pour la solidarité en fait partie. Elle a déboursé, en 2010, pas moins de 48 millions de dirhams en pub télé. L’Association Lalla Salma contre le cancer (ALSC), elle, a littéralement explosé son budget pub ces dernières années : de 5,4 millions de dirhams dépensés en 2007, l’ALSC est passée à 27 millions de dirhams en 2010, avec même un pic à 31 millions en 2009. Mais il n’y a pas que l’humanitaire qui vole au secours de nos télés. Maroc Cultures, association “royale” qui organise le Festival Mawazine, a rapporté aux chaînes 55 millions de dirhams en 2010. Révolu le temps où l’événement ne pesait que 3 millions de dirhams en tant qu’annonceur télé.

 

Infographie :

Dépenses publicitaires en 2011 par médias (en milliards de dirhams)

  • TV   2,03
  • Affichage   1,51
  • Presse   1,32
  • Radio   1,03 
  • Cinéma   0,41  

Source : Groupement des Annonceurs du Maroc

 

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