Qatar. The place to be

Business, défense, diplomatie, médias… en 2011, le Qatar était partout, absolument partout. De l’obtention de la Coupe du Monde de football de 2022 à la guerre en Libye en passant par le succès phénoménal d’Al Jazeera, petit tour d’une ascension royale.

Le dirigeant du Qatar, l’émir Hamad Bin Khalifa Al Thani, annonçait le 2 novembre la tenue en 2013 des premières élections législatives. Un (petit) pas vers la démocratie pour cet émirat, un des pays les plus riches au monde. Mais l’événement est passé presque inaperçu. Et pour cause, le Qatar a défrayé la chronique tout le long de l’année 2011 pour des sujets jugés autrement plus importants, le plaçant en tête des pays qui comptent. A tel point, se dit-il dans les couloirs des chancelleries, qu’il en énerve son voisin, le géant saoudien, mécontent de voir la petite bête monter, monter, monter… Le Qatar, on en voyait la main derrière le parti islamiste Ennahda. Preuve en était pour la presse tunisienne, les déplacements à Doha, dès l’annonce de la victoire aux élections d’octobre, des cadres du parti. Les révoltes arabes, disaient les analystes, n’auraient pas eu la même portée sans le traitement militant de la chaîne qatarie Al Jazeera, créée par l’émir. Derrière ces analyses, ces on-dit, de nombreux faits confirment la montée en puissance de l’émirat.

En Libye, la guerre est politique
Février 2011. L’OTAN décide de lancer des opérations militaires pour aider les insurgés libyens à “dégager” le tyran Mouammar Kadhafi. La chaîne qatarie Al Jazeera multiplie, depuis un moment, des reportages au vitriol sur les agissements du dictateur. Le Qatar est le seul pays arabe à suivre les Occidentaux dans les opérations militaires. Mais l’émirat ne s’en est pas tenu à une intervention armée. Un travail diplomatique de fond a été effectué. Et quand, en Libye, le Qatar décide de rasseoir la réputation d’un homme, il ne lésine pas sur les moyens. C’est à Doha qu’un commandant islamiste, Abdelhakim Belhadj, ancien prisonnier de la CIA jugé trop proche d’Al Qaïda, a pu se racheter aux yeux des Occidentaux, en rencontrant des émissaires de l’OTAN, grâce à l’entremise qatarie. Il prend la tête, avec la bénédiction des Français, de la Brigade du 17 février, armée par le Qatar et créée à Doha. Et lorsque l’homme décide de devenir l’une des figures de la nouvelle Libye, la télévision Al Jazeera est au rendez-vous pour le présenter comme le héros de la bataille de Misrata, le vainqueur de Kadhafi, quitte à prendre quelques libertés avec la notion de neutralité journalistique. La Libye à peine libérée de son tyran, le Qatar s’employait déjà à prendre sa place dans la résolution de la crise syrienne. Le 27 octobre, c’est encore à Doha que le président syrien Bachar Al Assad et une délégation de la Ligue Arabe se retrouvaient sous l’œil du Premier ministre qatari pour trouver une sortie de crise.

Du business, du vrai
Côté business, l’émirat avance aussi à grands pas. Fort de ses ressources en gaz mais conscient qu’elles ne sont pas éternelles, le pays a ouvert triomphalement, en mars, le programme National Vision 2030. Ce dernier ambitionne, entre autres, de faire du Qatar une place forte régionale de la finance – notamment en développant la finance islamique, un secteur dans lequel le pays est déjà leader – et surtout, une destination phare pour le tourisme d’affaires. Côté rachats, il n’y va pas avec le dos de la cuillère. La Qatar Investisment Authority fait figure de grand manitou. Cette année, elle mettait la main, un acte très médiatisé, sur 70% du capital du club de football de la capitale Paris Saint Germain (PSG.) Un rachat qui en cachait bien d’autres : les magasins anglais de luxe Harrod’s, le bâtiment de l’ambassade américaine en Grande-Bretagne… Pendant ce temps, le Qatar Holding acquérait 10% des parts de la marque automobile allemande Porsche et autant de celles de l’European Goldfields qui finance, en Grèce, l’exploration de gisements d’or. Les observateurs économiques voyaient là la marque de confiance de l’Europe envers l’émirat pour l’aider à surmonter la crise de la zone euro.

Le Qatar : une marque ?
Fin 2010, la Fédération Internationale de Football Association (FIFA) annonce que l’émirat accueillera en 2022 la Coupe du Monde de Football, malgré les cris de scandale de puristes. En septembre 2011, le Qatar s’invite sur le maillot bleu et grenat de la mythique équipe espagnole FC Barcelone. Un buzz : jamais, depuis sa création en 1899, le club n’a accepté de sponsor sur le maillot de ses joueurs. La Fondation du Qatar est la première de l’histoire à figurer sur le célèbre tee-shirt. Un privilège acheté 165 millions d’euros sur cinq ans. Tout un symbole. Les observateurs ne sont pas dupes : le sport, c’est de la diplomatie et la création d’une marque. C’est ainsi que l’accueil de la Coupe du Monde de ping-pong en novembre a été vue par les analystes comme un pas pour un réchauffement des relations du petit Qatar avec le géant chinois.

Revers de la médaille
Au Qatar, pays en pleine croissance, le PIB annuel par habitant est de 30 000 dollars. Pourtant, il est bien une classe qui ne profite pas tant de ces entrées d’argent incroyables, de tous les contrats et opérations. Il s’agit des travailleurs immigrés qui constitueraient, selon certains chercheurs, jusqu’à 80% de la population active (le gouvernement n’émet pas de chiffres à ce propos). Majoritairement asiatiques, ces hommes sont tenus par le fameux contrat qatari du parrainage, c’est-à-dire qu’ils sont placés sous la tutelle d’un qatari, souvent leur employeur. Et ils ne peuvent pas quitter le pays ou démissionner en toute liberté. Parqués dans des camps de travailleurs immigrés, souvent constitués de mobile homes, ils n’ont pas le droit non plus d’adhérer à un syndicat et ne peuvent rêver d’obtenir la nationalité même après des années passées sur le territoire.

 

Profils. Un émir et son épouse
Il a 59 printemps. Cheikh Hamad Bin Khalifa Al Thani a étudié à l’Académie royale militaire de Sandhurst, chez l’ancien colon britannique. En 1995, à la faveur d’un coup de force, il remplace son père à la tête du pays. Sur son CV, un haut fait d’armes : la création de la chaîne de télévision Al Jazeera, en 1996. On le dit plutôt ouvert, progressiste même, pour un dirigeant de la région, bien que ses sujets ne jouissent d’aucune liberté politique. Elle, Cheikha Moza Bint Nasser Al Misnad, deuxième épouse de l’émir, la plus connue des trois, descendante d’une famille d’opposants et mariée dans le cadre d’une réconciliation politique, est la VRP du royaume à l’étranger : moderne, belle, en bonne entente avec les Américains. En 1998, elle aidait à l’ouverture de l’Education City, une ville-campus accueillant plusieurs branches de célèbres universités américaines. Elle est aussi à la tête du groupe Qatar Luxury, qui rachetait en 2011 la marque de luxe hexagonale Le Tanneur. Elle dispose d’une fondation pour l’éducation dont on estime le budget à 15 milliards de dollars. Décrite tantôt comme une femme ouverte d’esprit, mais aussi, parfois, comme un simple faire-valoir, elle ferait grincer des dents les hommes les plus conservateurs du pays, comme les féministes les plus avant-gardistes.

 

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