Document. Ce que le PJD doit faire…

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Le gouvernement de Abelilah Benkirane a pris ses fonctions. Bien évidemment, il lui manque encore le vote de confiance de la Chambre des députés pour asseoir toute sa légitimité. En attendant – et c’est tout à fait normal-, les ministres nommés ont pris possession de leurs départements respectifs. Ils font le tour du propriétaire, rencontrent leurs nouveaux collaborateurs, parcourent leurs premiers dossiers… Bref, ils tâtent le terrain. Mais, très vite, ils devront passer à l’action : jouer justement ce rôle “exécutif” d’une politique générale que l’on espère novatrice et courageuse. Dans tous les domaines, les attentes sont énormes, les défis nombreux.

Certes, il est impossible de les lister en intégralité, mais on peut tout de même en dresser un large éventail. On y trouve de tout : des positions politiques à adopter, des réformes économiques à mettre en place et des chantiers sociaux à mener à bien. Certaines de ces mesures sont symboliques, d’autres plus directes, cruciales. Les unes peuvent être mises en place rapidement, les autres passent par un processus long, lourd et semé d’embûches. Enfin, si certaines de ces mesures peuvent être perçues comme populistes, d’autres seront de facto impopulaires et impliquent un effort d’explication, un sens de la négociation et une résistance à toute épreuve. 

Ces actions ne doivent pas rester que des verbes, mais se traduire sur le terrain. Le PJD, aujourd’hui aux manettes, a cette obligation de résultat. C’est à lui de transformer l’essai. De prouver que le fait d’arriver aux affaires n’est pas une finalité en soi, mais que le plus important est de se servir de ce “pouvoir” pour changer le quotidien du peuple. Le parti islamiste est attendu au tournant et devra très vite donner le ton. Avant même l’expiration du traditionnel délai de grâce de 100 jours, il est tenu de convaincre, de rassurer. Nous sommes déjà à J-89 et le chrono tourne…

Tenir tête au Shadow Cabinet
Hier adversaires, aujourd’hui collaborateurs. C’est, pour simplifier, la configuration dans laquelle se retrouve le parti islamiste et le cabinet royal. De fait, l’inimitié entre Abdelilah Benkirane et Fouad Ali El Himma, fraîchement nommé conseiller royal de Mohammed VI, est de notoriété publique. Aujourd’hui, les relations semblent s’être apaisées entre le Chef du gouvernement et l’ami du roi. “En tant que conseiller du souverain, nous n’avons plus aucune raison de critiquer El Himma”, a récemment déclaré Benkirane, promettant d’ouvrir une nouvelle page avec son ancien “meilleur ennemi”. Soit. Mais les nominations carabinées qui ont eu lieu ces dernières semaines (Yassir Znagui, Taïeb Fassi Fihri, etc.) sonnent comme un avertissement royal au futur Exécutif. En gros, avec son gouvernement parallèle, Mohammed VI n’est pas près de lâcher ses prérogatives et les “auditeurs de Sa Majesté” sont là pour veiller au grain.

Négocier au mieux les lois organiques
La nouvelle Constitution prévoit une vingtaine de lois organiques qui vont devoir transiter par le parlement durant cette législature. Elles devraient encadrer le fonctionnement de plusieurs nouveaux conseils instaurés par la Constitution de 2011 : Conseil national de la langue et de la culture, Conseil de la jeunesse et de l’action associative… Mais il y a aussi des lois cadres encore plus sensibles. Exemple, la loi fixant la liste des établissements et entreprises publics stratégiques (autrement dit les Offices, dont les patrons sont nommés par le Conseil des ministre et donc par le roi), ou encore la loi organique traitant des régions et des collectivités locales (censée donner aux élus plus de pouvoirs que les walis ou gouverneurs). Il y a aussi le règlement intérieur du Conseil supérieur de sécurité (instance assurant la gouvernance sécuritaire). C’est via ces lois que devra se concrétiser le partage de pouvoirs entre le gouvernement et la monarchie.

Sanctionner la brutalité policière
La police a toujours agi au Maroc en toute impunité et sans rendre de comptes. Pourtant, les dégâts des interventions musclées des forces de l’ordre sont considérables : en une année, plusieurs décès et blessés graves ont été enregistrés dans les rangs des chômeurs et du M20. Ces affaires n’ont jamais eu de suite : même si la Justice ou l’Intérieur annoncent généralement l’ouverture d’une enquête, celle-ci reste souvent au point mort. Aucun responsable n’a été sanctionné bien que cela arrive qu’il soit dénoncé dans des vidéos circulant sur le Net. Parfois, ce sont les victimes des violences policières qui se retrouvent derrière les barreaux. Exemple parmi tant d’autres, Abdeljalil Agadil, un militant de Safi, est poursuivi, mis en état d’arrestation et les marques visibles de la torture sur son corps ne semblent pas interpeller le juge qui traite son affaire.

Dialoguer avec le M20
Après sa nomination, le Chef du gouvernement s’est dit prêt à recevoir le Mouvement du 20 février. Mais, pour les jeunes du M20, s’asseoir à la table des négociations avec Abdelilah Benkirane est inenvisageable. “Notre dernier communiqué est très clair. Il n’est pas question pour nous de négocier avec un responsable porté au pouvoir dans le cadre d’une Constitution non démocratique”, assure ce membre du M20-Rabat. Le mouvement continuera donc d’investir la rue pour revendiquer une monarchie parlementaire, une constitution démocratique et la fin du despotisme et de la corruption. Abdelilah Benkirane, en plus, est devenu l’un des clients du M20 : des slogans qui lui sont hostiles ont déjà été scandés lors des dernières marches dominicales.

Libérer Niny
Cette affaire n’a que trop duré. Liée directement à la liberté d’expression et de la presse, la présence d’un journaliste en prison est une honte pour la nouvelle ère. De plus, le procès de l’ancien directeur d’Al Massae ne respectait pas le principe de présomption d’innocence. Si Niny est désormais le plus emblématique des détenus d’opinion, il n’est pas le seul. Exemple : Seddik Kabbouri, leader syndical de la ville de Bouarfa, a été expédié en prison pour son militantisme et a écopé d’une peine ferme de 2 ans à l’issue d’un procès qualifié d’inéquitable par les ONG nationales et internationales des droits de l’homme. Le PJD doit donc respecter sa promesse électorale : les délits d’opinion ne doivent plus exister au Maroc.

Garantir la liberté d’association
L’arsenal juridique sur les libertés publiques comporte plusieurs brèches, dont profite l’administration pour retarder, ou reporter -des fois, à jamais- la reconnaissance légale d’associations, d’organisations ou de partis politiques. La liste est longue de ces dépassements : de l’association des chômeurs qui n’est toujours pas reconnue par l’Etat depuis sa création à Al Adl Wal Ihsane, qui ne peut toujours pas se constituer en parti politique, en passant par l’interdiction de la cérémonie de Transparency Maroc par le Wali de Rabat… Ces blocages inadmissibles sont contraires à l’Etat de droit, censé garantir la diversité d’opinions dans l’espace public. Le gouvernement doit ainsi clarifier les textes de lois, revoir les décisions d’interdiction et faciliter l’accès à la légalité à toute entité.

Ne plus emprisonner les journalistes
Les journalistes attendent un geste fort de leur nouveau ministre de tutelle, Mustapha Khalfi, chargé du département de la Communication. La profession espère surtout qu’il élimine l’épée de Damoclès qui pèse sur le secteur, à savoir les peines privatives de liberté prévues, entre autres, par l’article 41 du Code de la presse qui peut envoyer derrière les barreaux un journaliste pour 3 à 5 ans en cas d’offense envers le roi, les princes et les princesses. Mustapha Khalfi, qui a l’oreille du chef du gouvernement Abdelilah Benkirane, pousse à la roue à en croire ses premières déclarations : “les orientations de la Constitution (…) invitent le gouvernement à élargir le champ des libertés de la presse”. Dont acte en attendant les actes.

Instruire les dossiers de la Cour des comptes
Chaque année, le rapport de la Cour des comptes dresse un bilan de la gestion des organismes publics avec, en prime, une dizaine de dysfonctionnements pointés. Mauvaise gestion, gabegie, détournements des deniers publics… plusieurs responsables ont été épinglés par la juridiction financière. Mais, jusque-là, rares sont ceux qui ont été traduits devant la justice. Le gouvernement passera-t-il à l’acte en décidant d’instruire systématiquement les dossiers de la Cour des comptes ? La balle est désormais dans le camp de Mustapha Ramid, ministre de la Justice et des libertés. Grand défenseur de la moralisation de la vie publique, le tonitruant avocat du barreau de Casablanca est connu pour ses positions courageuses.

Rendre public le patrimoine des hauts fonctionnaires
Abdessalam Aboudrar, président de l’Instance centrale de prévention de la corruption, est le premier à le regretter : le système de déclaration de patrimoine actuel est peu efficace. En cause, le grand nombre de déclarants. Tout le monde y passe : élus, hauts fonctionnaires, ministres, secrétaires généraux de ministères, etc. Au final, les documents reçus par la Cour des comptes sont tellement nombreux qu’ils ne peuvent faire l’objet de vérifications ou de recoupements. La solution ? Réduire le nombre de déclarants et, surtout, rendre publiques les déclarations de patrimoine de certains hauts fonctionnaires. Plusieurs associations réclament aujourd’hui la mise en ligne de ces déclarations, de manière à permettre au plus grand nombre de les consulter et, au besoin, de les contester.

Réduire le train de vie de l’Etat
Les chiffres du ministère des Finances sont assez éloquents. Les dépenses de personnel de la fonction publique absorbent quelque 126,5 milliards de dirhams du budget 2011. Si l’on rajoute le matériel et les dépenses diverses, les charges communes et les dépenses imprévues, on dépasse facilement la barre des 250 milliards de dirhams. Effarant ! Surtout qu’en face, les investissements publics comptabilisés dans le budget de l’Etat sont à peine de 61 milliards, soit un peu moins que les dépenses liées à la dette. Le constat est donc simple : les recettes de l’Etat servent à peine à payer les frais de fonctionnement, alors que pour l’investissement il faut emprunter de l’argent. La situation n’est pas tenable puisque viendra forcément le jour où l’Etat aura du mal à emprunter. La solution est dans la compression des charges : des milliards de dirhams d’économies sont à gratter des salaires et des dépenses dans l’administration.

En finir avec les agréments
Savez-vous qu’il existe un agrément pour l’importation de chameaux ? Ben oui. C’est ça toute la magie de ce système opaque qui incarne aux yeux de l’opinion publique l’économie de rente. Les fameuses grimate, il y en a effectivement de tout genre : taxis, carrières de sable, bateaux de pêche, etc. Hassan II usait et abusait du système pour récompenser les artistes, les sportifs ou même ses fidèles serviteurs. Sous Mohammed VI, le système a bel et bien continué au point qu’un réseau (démantelé par la justice), impliquant même des responsables de la sécurité royale, s’est organisé pour utiliser des personnes handicapées afin de décrocher des agréments de transport. S’il est compliqué de supprimer d’un coup ce système d’agréments, qui pose parfois des problèmes structurels (comme dans le secteur du transport), un premier pas serait de rendre public un fichier national regroupant toutes les personnes bénéficiant d’une grima. On saura au moins qui en profite vraiment.

Réduire les dérogations fiscales
Exonérations, abattements, réductions, taux préférentiels… notre système fiscal est truffé de dérogations en tout genre. Les documents du ministère des Finances recensent près de 400 mesures fiscales exceptionnelles : elles représentent un manque à gagner pour le budget de l’Etat dépassant les 30 milliards de dirhams, c’est quelque part la moitié des investissements publics. Un travail d’épuration de l’arsenal fiscal de ces dérogations a été entamé depuis quelques années. Le nouveau gouvernement a l’obligation de le poursuivre, voire même d’accélérer sa mise en œuvre. D’autant que le nouvel Exécutif, comme les précédents, est confronté au défi d’élargir l’assiette fiscale de manière à récolter plus de recettes. Par quels moyens ? Un début de réponse sera peut-être dans cette Loi de Finances 2012, toujours attendu au parlement.

Trouver une alternative à la Caisse de compensation
La Caisse de compensation a englouti plus de 52 milliards de dirhams en 2011, soit 4 fois le budget du ministère de la Santé ou, pour être plus terre à terre, 2 TGV et demi. Véritable gouffre budgétaire, ce mécanisme de compensation doit être rapidement réformé. Faute de pouvoir supprimer totalement cette Caisse, le gouvernement aura à trouver les moyens pour la financer et rationaliser son intervention. Taxer les riches semble la solution la plus indiquée, soit par le biais d’un impôt sur la fortune pur et dur, soit via la surtaxation des produits de luxe. Cela permettrait à l’Etat de récolter des ressources supplémentaires et de reprendre au passage d’une main, ce qu’il donne de l’autre : les riches ne devraient pas, en principe, profiter de la manne des subventions sur des produits comme la farine, le sucre, le gaz ou les hydrocarbures.

Augmenter le Smig à 3000 DH
Relever le salaire minimum à 3000 dirhams à l’horizon 2016 était l’une des promesses électorales phares du parti de la lampe. Jugée “utopiste”ou “populiste” par les opposants du PJD, la mesure doit aujourd’hui être mise en application. Comment y arriver ? “C’est très simple, rassure Idriss Azami Al Idrissi, ministre pjdiste du budget, lors de son premier passage télé. Dans la fonction publique, il faut juste une augmentation de 200 DH pour arriver au seuil des 3000 DH”. Là où ça se corse, c’est dans le secteur privé, où le Smig dépasse à peine les 2100 dirhams. “Il faudra convaincre le patronat, avec lequel nous allons bientôt ouvrir des négociations, de la nécessité de relever le salaire minimum”, ajoute le ministre. Promettant une révision de la fiscalité des entreprises, le PJD va-t-il monnayer la hausse du Smig contre une éventuelle baisse de l’IS ? On verra.

Réformer le système des retraites
Lancée sous Jettou et mise en veilleuse sous El Fassi, la réforme du système de retraite n’est pas seulement une nécessité, mais une urgence. Car si rien n’est fait aujourd’hui, une caisse comme la CMR sera incapable, d’ici la fin d’année, d’assurer les allocations de ses adhérents. De même que les autres caisses publiques, qui connaîtront leurs premiers déficits à partir de 2016. Pour éviter le pire, une réforme radicale s’impose. Faute d’aller dans le sens de la fusion des caisses en une seule pour les viabiliser, le gouvernement doit agir sur les paramètres des régimes actuels, comme le relèvement de l’âge de retraite, l’augmentation des cotisations ou encore la baisse des allocations. Trois options rapides et faciles, qui devraient allonger mécaniquement la durée de vie des caisses de retraite, mais qui risquent de coûter cher à l’image des islamistes.

Prendre le contrôle des grands chantiers
Les dirigeants du PJD ont souvent donné de la voix pour critiquer le projet du TGV. Aujourd’hui, le train est déjà en marche et il serait compliqué de faire machine arrière. Annuler ce chantier suppose de dénoncer des contrats passés avec des firmes multinationales, ce qui pourrait avoir des conséquences désastreuses sur l’image du pays auprès des investisseurs internationaux. Mais rien n’empêche la nouvelle équipe gouvernementale de s’impliquer davantage dans le suivi de ce projet, comme d’ailleurs dans tous les autres grands chantiers du royaume. Cela passe par contrôler certaines agences chargées de piloter des projets titanesques, pour ne citer que l’Agence spéciale Tanger Med ou encore l’Agence chargée de l’aménagement du Bouregreg. En même temps, placer ces organismes sous la tutelle de l’Exécutif ne doit pas altérer non plus l’efficacité de leur fonctionnement qui, jusque-là, produit des résultats probants.

Gérer les tensions sociales
Non seulement le gouvernement de Benkirane a hérité d’une situation économique compliquée, mais aussi de promesses quasi irréalisables faites aux centrales syndicales. Les indicateurs économiques dessinent à l’horizon une politique d’austérité alors que les syndicats promettent de mener la vie dure au gouvernement, s’il ne met pas en exécution ses engagements. Les fonctionnaires des collectivités locales font grève au moins une fois par semaine, les médecins sont en colère, les enseignants fulminent… tout prête à croire que la saison aura un parfum de grève. Dans les couloirs de l’UMT et de la CDT, syndicats proches de l’opposition, la grève générale n’est pas exclue. Et il y a aussi l’hystérie des chômeurs qui posera un sérieux problème au Chef du gouvernement, qui leur a dit “ne comptez pas sur moi pour vous trouver du travail dans la fonction publique”. Apaiser cette tension sociale sans faire de nouvelles fausses promesses ne sera pas une tâche facile.

Améliorer la situation des imams
La reconduction d’Ahmed Toufik à la tête des Habous ne fait certainement pas plaisir aux imams. C’est un secret de polichinelle, les relations entre les préposés religieux et leur ministre de tutelle n’ont jamais été au beau fixe. Les causes sont aussi bien corporatistes que politiques. Les imams se plaignent d’abord des salaires dérisoires (entre 1100 et 1700 DH selon les fonctions). L’augmentation de 300 DH, décidée il y a quelques mois par le ministère des Habous, a été formellement rejetée. Le bras de fer a aussi des relents politiques : L’appartenance d’Ahmed Toufik à la confrérie des Boutchichis est un sérieux point de discorde. Le gouvernement réussira-t-il à enterrer la hache de guerre ? Les premiers signes ne sont pas positifs. Dès sa nomination, Abdelilah Benkirane a déclaré que le ministère des Affaires islamiques est du ressort du Commandeur des croyants.

Tirer profit de l’internationale islamiste
Les mouvements islamistes doivent beaucoup au Printemps arabe. Que ce soit au Maroc, en Tunisie, en Egypte ou en Libye, les formations islamistes ont dû attendre le soulèvement de la rue pour arriver, enfin, au pouvoir. Reste à savoir ce qu’ils en feront. Les islamistes maghrébins ressusciteront-ils l’Union du Maghreb arabe (UMA) par exemple ? Sauront-ils dépasser leurs différences pour édifier un espace économique commun et effacer les frontières entre les pays de la région ? Rien n’est moins sûr. Prendront-ils pour exemple les islamistes turcs ou tenteront-ils de se rapprocher davantage des wahhabites d’Arabie Saoudite et des autres monarchies du Golfe, particulièrement présentes dans la région maghrébine depuis la chute du régime tunisien ?

Intégrer Al Adl dans le jeu politique
Ce n’est un secret pour personne : le nouveau Chef de gouvernement voue un grand respect pour Abdeslam Yassine, guide spirituel d’Al Adl Wal Ihsane. “Je crois que c’est réciproque, affirme Abdelilah Benkirane. J’ai toujours été franc avec les frères de la Jamaâ. Je leur ai toujours dit que le changement ne peut pas se faire de l’extérieur et qu’il fallait donc intégrer les institutions”. Aujourd’hui, le patron du PJD dispose de deux arguments chocs. Si les élections étaient vraiment truquées, le PJD ne serait pas arrivé aux commandes. Puis il y a la problématique de la succession de Yassine. Si elle ne se mue pas en parti politique, la Jamaâ risque de s’affaiblir, voire de disparaître en l’absence de son guide fondateur. Reste à convaincre les sécuritaires et l’entourage royal de la nécessité de reconnaître Al Adl Wal Ihsane. Et là encore, c’est loin d’être gagné.

Dialoguer avec les salafistes
La nomination du gouvernement a été plutôt bien accueillie par les détenus salafistes dans les différentes prisons du pays. Normal, le ministre de la Justice, Mustapha Ramid, a longtemps plaidé leur cause. Il avait même fini par créer une association – Al Karama – pour la défense de leurs droits. Aujourd’hui, il affirme œuvrer pour “une réconciliation nationale”. Une commission, constituée de magistrats, de sécuritaires et de religieux, aurait même été formée pour reprendre les fameuses sessions de “révisions idéologiques”. L’objectif étant d’obtenir la libération des détenus qui, au terme de plusieurs rounds de négociations, donnent la preuve d’avoir abandonné toute pensée jihadiste ou takfiriste. A ce stade, personne ne parle encore de réparation ou de dédommagement des détenus jugés à la hâte et sur la base de preuves assez fragiles.

Amender la loi antiterroriste
Au lendemain des attentats du 16 mai 2003, le PJD est accusé par ses détracteurs d’avoir une responsabilité morale dans cet acte terroriste qui a fait 43 morts. Le parti se fait alors tout petit et accepte sans broncher de voter pour la loi antiterroriste. Raison (d’Etat) invoquée à l’époque : “Cette loi était une réaction immédiate au danger qui menaçait le pays tout entier”. Que dit exactement cette loi ? Elle prévoit une extension de la période de garde à vue ainsi que des perquisitions aux domiciles soupçonnés d’abriter des terroristes à n’importe quel moment de la journée… Deux ans après l’entrée en vigueur de la loi, les cadres du parti reviennent à la charge et demandent que ces articles, à l’origine, selon eux (et selon l’avis des association des droits de l’homme), de nombreuses dérives sécuritaires, soient amendés. En vain. Aujourd’hui, réformer cette loi pourrait devenir un des chevaux de bataille du gouvernement.

Dévoiler le rapport complet de l’IER
Au terme de sa mission, l’Instance équité et réconciliation (IER) a pu élucider plus de six cents affaires d’enlèvements et de disparitions forcées. Problème : personne, pas même les familles concernées, n’a eu accès aux détails des dossiers. Comment ces personnes ont-elles été enlevées ? Quel est l’organe qui en est responsable ? Où ont-ils été détenus et dans quelles conditions ? Seules les archives de l’IER peuvent le dire. Seulement voilà, ces dernières restent inaccessibles au grand public et aux associations de droits de l’homme. Jalousement gardées par le CNDH, elles sont stockées dans des annexes administratives du Conseil. Comment peut-on prétendre tourner une page de notre histoire si on continue d’empêcher l’accès à ces archives aux familles et à l’opinion publique ?

Réussir les échéances électorales de 2012
Après le référendum et les législatives du 25 novembre, le gouvernement PJD devra gérer une année 2012 avec une longue série d’échéances électorales. Le Maroc connaîtra pas moins de 9 scrutins : des élections communales, professionnelles, régionales… Le processus se terminera avec l’élection des membres de la deuxième chambre. L’enjeu pour le PJD et la coalition qu’il dirige est de consacrer leur place sur l’échiquier politique. Mais surtout de veiller au bon déroulement de ces rendez-vous et donner un contenu aux dispositions de la nouvelle Constitution, notamment en matière de régionalisation. “L’essentiel de l’arsenal juridique nous a été légué par le gouvernement El Fassi et c’est à nous de réussir les prochaines étapes avec plus de transparence”, souligne un parlementaire de la majorité.

Légaliser l’avortement
Deux partis de la coalition gouvernementale se sont prononcés sur le sujet sensible de l’interruption de grossesse. Le PPS l’a fait par l’entremise de Nouzha Skalli, ministre sortante de la Famille, qui s’est déclarée favorable à la légalisation de l’avortement en cas de malformation du fœtus, d’inceste et de viol. Une prise de position qui ressemble au feu d’artifice d’une ex-ministre et relève de la déclaration d’intentions. Le PJD, quant à lui, a limité encore plus les cas autorisés d’avortement en affirmant y être favorable uniquement si la vie de la mère est en danger. Le parti demande, qui plus est, que l’avis des ouléma soit pris avant toute rédaction de loi légiférant sur cette question. Ce discours des dirigeants islamistes est venu comme réaction aux interrogations sur l’attitude à venir du PJD sur ce problème de société. Il ne faut donc pas attendre du parti de la lampe qu’il initie le débat sur l’avortement, il ne fera que répondre si la question est mise sur le tapis par d’autres.

Laisser en paix les festivals et les artistes
On se souvient des sorties tonitruantes du management du PJD sur la participation d’Elton John à Mawazine. “Nous refusons catégoriquement la participation de ce chanteur car cela risque d’encourager l’homosexualité au Maroc”, avait notamment déclaré Mustapha Ramid. On se rappelle également de Mustapha Khalfi, dénonçant le complot visant à “homosexualiser” (sic) le Maroc. Il y a eu aussi eu les charges de Bassima Hakkaoui, au parlement, s’insurgeant contre la dilapidation de “milliards” pour les “shows pornographiques” de Shakira. Plus généralement, c’est la politique culturelle du PJD qui suscite de nombreuses interrogations. Les islamistes chercheront-ils à imposer une “culture propre” ? Il y a fort à parier qu’aujourd’hui, les islamistes au pouvoir mettront de l’eau dans leur vin. Quand on représente le Maroc officiel, il est difficile de s’insurger contre un festival voulu par Mohammed VI lui-même, ou encore brider la création artistique.

Abolir la peine de mort
A la veille des législatives, la coalition pour l’abolition de la peine de mort a mis la pression sur les partis politiques pour qu’ils s’engagent dans leurs programmes à effacer cette sentence de la législation marocaine. Les ONG de la coalition avaient un nouvel atout dans la manche : l’article 22 de la Constitution. Il stipule qu’“il ne peut être porté atteinte à l’intégrité physique ou morale de quiconque (…) par quelque personne que ce soit, privée ou publique”. Peine perdue. Aucune des formations de la majorité (pas plus que les partis d’opposition) n’ont inscrit noir sur blanc l’abolition de la peine de mort dans leurs programmes. Seul le PJD a émis un avis officiel en défendant l’idée du moratoire. Le parti de la lampe refuse l’abolition car la peine de mort est conforme aux préceptes de l’islam. Le moratoire demandé par le PJD existe déjà dans les faits puisqu’il n’y a eu aucune exécution depuis 1993. Autant dire que tout le monde préfère le statu quo.

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