Spectacle. La mamie slameuse

À 61 ans, Tata Milouda a su forcer le destin et venir à bout de ses rêves en devenant une star du slam. De Settat à Paris, portrait d’une battante.

Difficile de ne pas avoir un coup de cœur lorsque l’on rencontre pour la première fois Milouda Chaqiq, alias Tata Milouda. Qui pourrait imaginer que cette mamie aux cheveux longs colorés au henné, au regard malicieux, au sourire toujours scotché aux lèvres, s’apprête à écumer les salles de spectacles parisiennes avec un joli accent arabe, une énergie débordante et un cœur gros comme ça ?
Depuis 2007, Tata slame et danse devant plusieurs centaines de personnes. “L’art est planté dans mes veines et a toujours fait partie de moi”. L’an passé, l’artiste s’est produite sur de nombreuses scènes parisiennes et dans le reste de la France, notamment au Comedy Club, café théâtre de Jamel Debbouze. Ce personnage atypique et attachant est rapidement devenu la coqueluche des médias français. Elle enchaîne les interviews sur RFI, France Culture, Le Parisien ou encore M6.

Partir en France
A 61 ans, cette native de Settat goûte enfin au bonheur de vivre de son art. Une réussite entièrement due à son courage et à sa persévérance. A travers ses spectacles, l’artiste transmet plusieurs messages dont un qu’elle applique au quotidien : “Il n’est jamais trop tard, n’ayez pas peur ! Faites ce que vous aimez !”.
Elle a déjà 40 ans lorsqu’elle décide de tout quitter, un mari violent et ses six enfants, pour se rendre en France, pays de tous ses espoirs. “A mon arrivée à Paris, je pensais être aux portes du paradis mais c’était l’enfer qui m’attendait”, nous raconte-t-elle. Avec l’équivalent de 100 dirhams en poche, elle doit immédiatement trouver un travail pour gagner sa vie. Ne parlant pas un mot de français, elle est embauchée comme femme de ménage. Dès son premier job, Tata Milouda réalise très rapidement que ses années de galère ne sont pas terminées. Durant 5 ans, elle vit dans la peur de l’arrestation et du renvoi au pays, avant d’obtenir son permis de séjour en 1994. La vie de Milouda Chaqiq paraît étrangement familière. Et pour cause, son histoire ressemble à celle de nombreux immigrés.

Lire et écrire
Petite fille, Milouda n’a pas eu la chance d’aller à l’école. “L’école, c’est pour les garçons”, lui répétait son père. “Il m’arrivait souvent de pleurer avant d’aller au lit parce que je voulais aller à l’école”. A presque 50 ans, elle prend sa revanche et s’inscrit à des cours d’alphabétisation même si, au départ, elle ne sait même pas ce que cela signifie.
Au bout de 3 mois, elle n’a rien appris. Découragée, elle décide de quitter la classe. “Mon corps était ici mais mon cœur était ailleurs”. En effet, son cœur et son esprit étaient restés au Maroc, près de ses enfants… Durant toutes ces années de séparation, le téléphone était le seul moyen d’entretenir une relation avec sa famille. Milouda a d’ailleurs conservé précieusement les centaines de cartes qu’elle a achetées pour les appeler.
Comme beaucoup d’émigrés marocains, Milouda a gardé un lien très fort avec son pays d’origine. “J’aime mon pays dans mon cœur comme la Tour Eiffel”, peut-on lire dans un poème qu’elle a écrit sur son village natal près de Settat.

Retour vers le Maroc
Malgré un premier échec, l’envie d’apprendre est toujours là et s’impose à elle comme une évidence. “Une fois dans le métro, je ne savais pas où je devais m’arrêter, alors j’ai demandé à un monsieur de l’aide. Il m’a répondu sèchement que tout était marqué sur le panneau et que je n’avais qu’à lire!” Ce jour-là, Tata Milouda reprend les cours d’alphabétisation et se promet qu’elle n’en sortirait que le jour où elle pourrait lire et écrire. Aujourd’hui, “armée de son stylo, de son cahier et de sa liberté”, extrait de son spectacle, elle navigue de planche en planche afin de témoigner.
Après avoir conquis le cœur des Français, elle compte bien s’imposer sur la scène marocaine. Sa première apparition au Maroc se fera à Casablanca, le 17 février prochain à la salle Moulay Rachid, en parallèle aux activités du Salon du livre à Casablanca.
Dans son spectacle intitulé Tata Milouda et vive la liberté, elle évoque avec ses mots certaines étapes de sa vie, de la condition de la femme aux cours d’alphabétisation, en passant par la vie dans une cité et la difficulté d’être sans papiers. Des messages universels qu’elle délivre à son public, à sa manière à la fois amusante et empreinte d’émotions.
Un public qui reste bouche bée à la vue de cette super-mamie, au français pas toujours parfait, qui danse, fait de l’humour et slame devant une salle bondée.
Forcément, on se pose la question de savoir comment elle en est arrivée là. Un concours de circonstances ? Pas du tout. Milouda va chercher la chance et les opportunités. “Je frappe aux bonnes portes et j’attends… On ne sait jamais”. En effet.

Demain, le film
Fonceuse, Tata se donne corps et âme dans tout ce qu’elle entreprend. C’est le cas pour la réalisation de son projet de film autobiographique. L’artiste a déjà frappé aux portes de plusieurs maisons de production, dont celle de Jamel Debbouze. Elle n’attend plus que la réponse avec, il faut l’avouer, beaucoup d’impatience. Dès leur première rencontre, Debbouze a été séduit par Milouda et l’a invitée à se produire sur les planches du Comedy Club aux côtés d’autres artistes.
Des stars, Tata Milouda en croise souvent entre les salles de spectacles et les cocktails. Exemple : sur sa page Facebook, elle a posté une photo de profil où elle tient le ministre français de la Culture, Frédéric Mitterrand, par l’épaule… Elle a donc plusieurs anecdotes sur les célébrités mais il y en a une qui la fait particulièrement rire : “Un jour, en sortant du théâtre de la Villette à Paris, après avoir déposé un dossier, j’ai croisé Jean Dujardin et sa femme Alexandra Lamy. J’ai tout de suite interpellé le comédien et il m’a répondu poliment, en me disant : ‘Je suis désolé mais je n’ai pas d’argent’ ”. Déstabilisée mais pas résignée, Tata riposte: “Mais je ne fais pas la manche, je suis artiste et mon rêve est de devenir une star dans le cœur de mon public comme vous avez réussi à le faire”. Et voilà comment elle est repartie avec la carte de Dujardin. Elle en a même profité pour lui envoyer, plus tard, une lettre pour lui expliquer son projet de film.
Lorsque l’on demande à Tata ce qui pourrait la faire rêver aujourd’hui, elle répond avec le sourire : “Pourquoi pas chanter une chanson, que j’ai écrite en arabe, avec Najat Atabou, Latifa Raafat ou encore Cheb Khaled”. Oui, pourquoi pas ?

 

Show. Slam en musique
Le 17 février, Milouda Chaqiq sera de retour sur sa terre natale mais, pour la première fois, elle y sera accueillie en tant qu’artiste. A cette occasion, la mamie slameuse a décidé de mettre le paquet et d’emmener dans ses bagages toute son équipe. A la guitare, le public pourra entendre Samia Diar, une chanteuse algérienne. Mokrane Adlani s’occupera quant à lui du violon. Donc de la musique car, sur scène, Tata Milouda ne fait pas que slamer. Elle offre à son public un vrai show en dansant aux rythmes des musiques de son village natal. Cette première au Maroc sera également l’occasion pour l’artiste de monter pour la première fois sur scène avec son fils, qui est aussi musicien.
Info spectacle : Institut Français de Casablanca

 

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