Reportage. Dans les coulisses des Etoiles de Sidi Moumen

Le prochain Nabil Ayouch est l’un des films les plus attendus, pour l’année prochaine, sur les grands écrans marocains. Petits secrets d’un grand tournage.

Aïn Harrouda, à 17 km de Casablanca. Nous quittons la route bitumée pour traverser un chemin cabossé qui donne accès au “kariane”. Nous sommes au bidonville Brahma. C’est ici que Nabil Ayouch met sur pellicule Les Etoiles de Sidi Moumen, son nouveau film, dont la sortie est prévue pour septembre 2012. Adaptation cinématographique du roman éponyme de Mahi Binebine, inspiré des attentats terroristes du 16 mai 2003, fomentés dans un bidonville de Casablanca. Pour accéder au plateau de tournage, il faut contourner les camions de la production stationnés à l’entrée, montrer patte blanche aux agents de sécurité attentifs au crépitement de leurs talkies-walkies et emprunter un labyrinthe interminable de baraques de fortune. Bienvenue dans l’univers du crime au nom d’Allah.

Un kariane pour décor
Dans ce décor chaotique, Nabil Ayouch, un des réalisateurs les plus en vue de la scène cinématographique marocaine, est un peu dans son élément. Tourner dans un bidonville n’est pas nouveau pour lui. Il a déjà filmé le célèbre Ali Zaoua dans cet univers et y a de nombreuses fois trimballé sa caméra pour réaliser des documentaires. Mais pour Les étoiles de Sidi Moumen, le défi a été d’une tout autre ampleur. Le sujet est sensible : difficile donc de convaincre les habitants d’un bidonville lambda de lier leur image à une histoire de terrorisme. “Je ne voulais pas tourner à Sidi Moumen, théâtre de la fiction du roman (mais aussi des événements réels dont il est inspiré, ndlr). Sur place, la mémoire des attentats du 16 mai est encore très vive, nous ne voulions pas retourner le couteau dans la plaie. Quant aux autres bidonvilles, ce sont de véritables coupe-gorge pour tout le staff”, nous explique Nabil Ayouch. Après plusieurs repérages, il opte finalement pour Kariane Brahma. Mais avant que l’équipe de production ne prenne possession des lieux, il a fallu gagner la confiance et les cœurs. Des liens ont été tissés avec les habitants en recrutant quelques personnes sur place. “Je suis né à Hay Moulay Rchid à Casablanca. Il y a quelques années, mon père s’est installé ici à cause de la cherté du loyer à Casablanca”, nous raconte Abdelfettah, qui a été embauché par la production comme agent de sécurité. “On vit de petits boulots comme ce tournage et on attend. Quand l’usine d’à côté a ouvert, nous avions l’espoir d’être embauchés, mais nous avons vite déchanté. Ils ne veulent pas de nous”, enchaîne Aziz, 27 ans, au chômage depuis qu’il a décroché de l’école. Même pour les figurants, le réalisateur n’hésite pas à recruter parmi les jeunes du kariane. “On essaye de créer une économie le temps du tournage et en même temps permettre à ces jeunes de se faire un peu d’argent”, déclare le réalisateur. Avec cette approche, la production des Etoiles de Sidi Moumen a mis toutes les chances de son côté pour disposer de conditions de tournage relativement tranquilles. “Hormis les quelques fois où nous avons été caillassés par des inconnus, on peut dire que le tournage se passe bien”, confie Nabil Ayouch.

Silence on tourne !
Pour reproduire l’univers du roman, la production a construit une maisonnette et un petit café près de la mosquée du bidonville. “On nous a refusé de tourner dans la mosquée principale du bidonville, nous étions alors obligés de nous rabattre sur une petite mosquée isolée”, souligne le réalisateur. Pour le reste du décor, il y a tout ce qu’il faut : un marécage, des eaux usées, de la crasse… La misère est visible à 360°.
La scène du jour se joue en intérieur, dans un taudis. Tout le monde se réunit alors sur le plateau. Les acteurs sont les premiers sur les lieux : barbes bien garnies, mines sévères, ils se mettent en condition pour le coup de clap. C’est l’une des scènes clés du film : une réunion des apprentis terroristes avec leur recruteur en chef. Dans la barraque, il fait une chaleur étouffante à cause des spots installés dans ce lieu exigu. Les détails de la scène sont passés au peigne fin. Quand la chef accessoiriste fixe un poster de l’équipe de Barcelone, les footeux vérifient si les joueurs faisaient partie de l’équipe catalane en 2003, date des événements. Une table, une lampe de fortune, un vieux lecteur de cassettes… l’univers de l’embrigadement émerge du néant.
Dans un petit coin, Réda Benothman répète avec les acteurs les dialogues de la scène et met l’accent sur le jargon salafiste. Après le désistement de l’ancien détenu salafiste Mohamed El Fizazi, c’est lui qui conseille le réalisateur sur les milieux jihadistes. Benothman a également pris place devant la caméra de l’artiste plasticien Mohamed Morabiti, qui devait jouer le rôle du grand émir des kamikazes. “J’ai accepté de participer à ce film pour lui éviter de tomber dans la caricature et pour ramener une dose de réalisme en termes de langage, d’habillement et de raisonnement dans les milieux intégristes”, confie Réda Benothman, qui a purgé une peine de quatre ans suite au démantèlement d’un groupe salafiste en 2007. Pour le reste du casting, en bon dénicheur de talents, Nabil Ayouch a accordé sa confiance à des jeunes issus des quartiers populaires. Ce sont ces acteurs en herbe qui donnent la réplique aux professionnels comme Mohamed Taleb, qui a tenu les premiers rôles dans le feuilleton syrien Hassan wal Hussain, qui a cartonné pendant ramadan.
Et comme dans tout tournage, des embûches viennent parfois fausser les calculs de la production. Au fil des claps, un problème de taille est apparu et il a fallu faire avec. “Parfois les pelleteuses de l’usine d’à côté ou le bruit des habitants qui vivent ici viennent perturber les prises”, regrette le technicien du son, qui ne cache pas son agacement. Pire encore, à la quatrième semaine du tournage, il a fallu tout suspendre provisoirement : l’acteur principal s’est blessé. Mais rien ne semble sortir Nabil Ayouch de sa “zenattitude”. “Certes, c’est l’un des tournages les plus difficiles que j’ai dû affronter. Mais à chaque jour qui passe, je fais le plein d’émotions et j’en sors plus riche humainement”, conclut-il.

Exploitation. Un succès quasi assuré
Nabil Ayouch a lancé une véritable OPA sur le roman de Mahi Binebine. Avant même sa sortie en librairie en 2010, il en a acheté les droits. “Il s’agit d’un coup de poker très bien réussi”, explique Frantz Richard, producteur exécutif du film. Pour le financement, le film a bénéficié d’abord d’une avance sur recette de 4 MDH et s’associe avec une production belge pour les dépenses sur le plateau. Côté matériel, le cinéaste n’a pas lésiné sur les moyens. Pour garantir la qualité numérique du tournage, la production a utilisé pour la première fois la caméra Alexa, qui permet de restituer les images quelle que soit la lumière sur le plateau. Nabil Ayouch va encore plus loin. Il met toutes les chances de son côté pour en faire un véritable blockbuster. Il a déjà négocié avec la société Stone Angels, gérée par l’ex-associé du réalisateur Luc Besson, pour assurer la distribution du film en Europe. “Il s’agit de financer la distribution du film dans plusieurs salles de cinéma en France et en Belgique et en tirer plusieurs copies. Ce sont des frais exorbitants pour une production marocaine”, souligne Frantz Richard. Date de sortie prévue : septembre 2012.

 

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