Parution. Quand l’historien raconte une histoire

Le dernier ouvrage de Fouad Laroui, La vieille dame du riad (éd. Julliard), est un roman plein d’humour avec, pour toile de fond, une esquisse de l’histoire du Maroc. Récit.

Cet été, pendant une semaine, Fouad Laroui a brillé sur la Toile où il a été salué et incompris, hué et défendu. Son coup d’éclat, avoir signé dans Libération un texte intitulé Cher ami, tu seras un démocrate, où il s’exprime sur les récents événements qui ont secoué le royaume, en mettant en avant la thèse : nous ne sommes pas prêts pour la démocratie. Sur Facebook et Twitter, les internautes se sont déchaînés : “Laroui vient de me briser le cœur”. “Je te lisais, je ne te lirais plus”. “Bravo M. Laroui, vous avez tout dit”. Les révoltés déçus, les fans partagés, les réactionnaires heureux. Mais on ne peut pas plaire à tout le monde, n’est-ce pas ? Et l’écrivain le sait bien. C’est pourquoi il jongle entre présent et passé avec témérité et nous revient pour la rentrée avec un roman tout aussi politique, mais moins polémique : La vieille dame du riad. Une plongée dans l’histoire marocaine avec un grand H, entre deux temps, deux illusions, deux Maroc.

Des personnages loufoques
Le pitch : François et Cécile, un couple de Français ordinaires aux blagues et au racisme ordinaires, décide de s’acheter un riad à Marrakech pour se changer les idées. Les voilà sous la chaleur ocre à la recherche d’exotisme et de folklore. A travers la quête de ces deux bobos naïfs bardés de préjugés, leurs dialogues mordants d’absurdité et quelques scènes délirantes, Fouad Laroui caricature le Maroc d’aujourd’hui avec l’humour et l’ironie qui le caractérisent et dresse le portrait tristement cocasse d’une ville vendue à des gens qui n’ont même pas le mérite d’être intelligents.
Une fois leur tâche accomplie, François et Cécile découvrent dans la maison qu’ils viennent d’acquérir une vieille squatteuse. Une espèce de fantôme rabougri et chenu qui refuse de s’en aller tant que “ces chrétiens ne lui ont pas ramené son fils Tayeb”. Voilà nos deux gagas perdus dans la médina en compagnie d’un voisin, Mansour, qui apparaît comme le Messie. Il est le seul à comprendre la vieille et leur offre de retranscrire ce qu’elle dit afin de les aider à la déloger. C’est ainsi que dans le roman s’insère un autre roman : l’histoire de Tayeb, soldat de Abdelkrim. Le ton change et nous voilà au début du siècle dernier : “Le Maroc est aux Français, les Français sont au Maroc”. Le jeune Tayeb s’engage dans l’armée du Rif pour défendre l’honneur de son père, humilié par les colons, et son destin est à l’image de son combat : noble, chaotique et tragique.*

Humaniser notre Histoire
La vieille dame du riad est avant tout un roman historique, minutieux et détaillé, sans être dense et insipide. On apprend pêle-mêle que la résistance à la colonisation a fait trente-huit mille morts français, plus que n’en fera la guerre d’Algérie (trente-trois mille), que Abdelkrim a remporté une victoire écrasante à Anoual sans même le vouloir, que les Britanniques ont soutenu le Rif en secret et bien d’autres infos croustillantes. En une centaine de pages, Fouad Laroui éclaire les zones d’ombre et raconte la guerre du Rif et ses héros avec finesse et simplicité. Au fil des anecdotes, il humanise notre histoire pour en faire un récit à portée individuelle, sensible, et donc touchant. Une revanche sur un passé qu’on ne maîtrise pas suffisamment, avec en parallèle un présent tout aussi violent, mais différemment.
Le dernier-né de Laroui est un bébé à tiroir, qu’il faut lire sur plusieurs degrés, comme il s’étale sur plusieurs années. Du colonialisme au néocolonialisme, des étincelles révolutionnaires de l’époque à celles d’aujourd’hui, du décalage culturel entre les deux rives aux liens économiques qui les unissent, ce roman est une série de clins d’œil pour raconter le Maroc autrement, questionner ses frontières et ses individus, révéler ses luttes et ses paradoxes. C’est du Fouad Laroui précis, perspicace et désinvolte, comme on l’aime, et même plus.

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