Télé. Sur les traces des criminels

Par Tarik Hari

2M et Medi1 TV ont investi le créneau des magazines judiciaires pour drainer plus de téléspectateurs. Zoom sur des émissions qui cartonnent.

Les criminels s’invitent chez vous ! 2M et Medi1 TV ont décidé de plonger leurs téléspectateurs dans le monde des bandits. A travers, respectivement, Akhtar Al Moujrimine (Les criminels les plus dangereux) et Scène de crime, les deux chaînes reviennent sur les affaires criminelles les plus saillantes qu’ait connues le royaume.

Homicide, cambriolage, viol… tout y passe. A quelques différences près, le concept est à peu près le même : dans le sillage de la célèbre émission française Faites entrer l’accusé, diffusée depuis 1999 sur France 2, les deux émissions zooment sur un crime ou un fait divers et tentent de le décortiquer. Récit des enquêteurs, travail de la police scientifique et témoignages des proches des victimes sont leurs outils pour reconstituer le déroulement des faits. Un terrain pour le moins glissant et qu’on croyait jusque-là inaccessible. “L’émission est intervenue dans un contexte où la police voulait communiquer et s’ouvrir sur la société. Nous avons donc monté notre projet et sollicité la DGSN, qui a répondu favorablement”, explique Hassan Ramid, rédacteur en chef de l’émission Akhtar Al Moujrimine diffusée sur 2M.

Crime et châtiment
Le feu vert de la Direction générale de la sûreté nationale (DGSN) est indispensable. Avant d’arriver à la phase de la mise en scène, un grand travail est fait en amont sur les archives et procès-verbaux de la police. “Ce sont les rapports de la police judiciaire qui nous fournissent toutes les informations pour reconstituer le crime. Après, on passe à la phase de l’écriture du scénario et du tournage”, indique Mohamed Saâdouni, présentateur et animateur de Scène de crime sur Medi1 TV. Petite précision : les affaires doivent être jugées et classées. “Il n’est pas question de traiter des affaires en cours, car cela peut influencer les magistrats”, explique Hassan Ramid.
En dehors de cette condition, le choix des cas est laissé aux préparateurs de l’émission. Ces derniers optent généralement pour des affaires qui ont fait beaucoup de bruit et marqué les esprits. “Ninja, Zouita… ce sont des tueurs en série dont tout le monde se souvient. De plus, il y a toujours un côté mystère lié à la personnalité de ces criminels qui fascine”, indique le rédacteur en chef d’Akhtar Al Moujrimine. Le choix des acteurs qui interprètent les rôles des criminels n’est pas anodin non plus. “À partir de la description des PV, on fait le casting et on sélectionne les profils qui ressemblent à nos criminels”, explique Ramid. Il s’agit plutôt de figurants qui n’ont pas un grand palmarès. “Il ne faut pas que la célébrité de l’acteur fasse de l’ombre à l’émission”, poursuit-il.

“Frères” d’armes !
La recette semble bien marcher. Diffusée en prime-time, Akhtar Al Moujrimine affiche des chiffres d’audience très respectables. Selon Marocmétrie, organisme de mesure d’audience, l’épisode du vendredi 7 octobre figure dans le top 5 des programmes les plus regardés. Pas moins de 5,42 millions de Marocains sont restés scotchés devant leurs petits écrans ce jour-là, ce qui équivaut à plus de 52% de parts d’audience. Auprès de la chaîne tangéroise, on assure que l’émission cartonne. “Il a fait la deuxième meilleure audience après le match Maroc/Algérie”, soutient Mohamed Saâdouni. Du coup, les deux chaînes se livrent une bataille acharnée pour attirer plus de téléspectateurs. “C’est normal qu’il y ait une concurrence. L’émission de 2M a certes été la première, mais le challenge pour nous était de faire mieux”, indique Mohamed Saâdouni. Pour les chiffres, il faudra repasser, car Medi1 TV n’est pas soumise à le mesure d’audience.
Quelques semaines après l’annonce d’Akhtar Al Moujrimine, Medi1 TV lui emboîte le pas avec Scène de crime. Et d’emblée, la chaîne tangéroise a annoncé la couleur en programmant la diffusion de sa nouvelle émission mardi à 21h15, au même moment qu’Akhtar Al Moujrimine. Mieux, la chaîne dirigée par Abbas Azouzi a déployé la grosse artillerie. Alors que Les Criminels les plus dangereux est un magazine mensuel, l’émission de Medi1 TV donne rendez-vous à ses téléspectateurs chaque semaine. Au final, la chaîne de Aïn Sebaâ a décidé de changer la date de programmation de son émission, désormais diffusée le premier vendredi de chaque mois. “C’est très difficile de tenir une cadence hebdomadaire pour ce genre d’émission. La préparation, le tournage… tout ça nécessite beaucoup de temps. Sinon, c’est la qualité qui trinque”, explique habilement Hassan Ramid. “Nous avons commencé le tournage plusieurs mois avant la diffusion. Nous avons donc un stock qui nous permet de travailler dans des conditions confortables”, avance quant à lui Mohamed Saâdouni.

Le travail des autres !
En tout cas, les deux chaînes ont opté pour l’externalisation de la production de leurs émissions. “C’est un nouveau genre qui nécessite une expertise particulière et une équipe de travail bien étoffée. On s’est très vie rendu compte que nous n’avons pas ces moyens et on a fait appel à une boîte de production”, reconnaît Hassan Ramid. Selon les termes d’un contrat annuel, les sous-traitants sont engagés à livrer aux chaînes des épisodes clé en main. Ils travaillent donc d’arrache-pied pour honorer leurs contrats. “Entre préparation, repérage et tournage, cela nous prend pratiquement deux semaines. Nous avons une équipe de 15 personnes qui travaille dessus afin d’être dans les temps”, indique le patron d’une des boîtes de prod’. Le montant du contrat demeure inconnu : “C’est du ressort de la chaîne. C’est à elle de communiquer sur ces informations”, indique notre interlocuteur. Une chose est sûre, les magazines judicaires ont fait leurs preuves.

Droits Humains. Le warning du CNDH !
Le Conseil national des droits de l’homme (CNDH) ne badine pas avec la dignité des personnes, condamnés compris. Suite à l’un des épisodes d’Akhtar Al Moujrimine, diffusé sur 2M, son secrétaire général, Mohamed Sebbar, est monté au créneau. Motif : le non-respect du droit des condamnés à l’anonymat et la violation de l’éthique journalistique. Le gardien du temple des droits et libertés est allé même jusqu’à interpeller le président de l’autorité de régulation (HACA) et le patron du pôle public (SNRT-Soread). à l’origine de cette escalade, une visite effectuée par le SG du CNDH aux détenus du couloir de la mort de la prison centrale de Kénitra. Ces derniers ont signifié à Sebbar leur désarroi vis-à-vis de l’émission, qui les présente à visage découvert en citant leurs noms complets. “Cette question fait l’objet d’un grand débat. Dans d’autres pays, les criminels sont considérés comme des personnes publiques. Mais nous avons accepté les remarques du Conseil et nous allons les prendre en considération”, indique Hassan Ramid.