Courage, on censure !

Par Karim Boukhari

Les islamistes n’ont pas inventé la censure, mais ils vont l’assumer et l’endosser comme les socialistes l’avaient fait avant eux.

L’arrivée du gouvernement Benkirane “coïncide” avec la multiplication des cas de censure. Je dis “coïncide” parce que je ne pense pas que ces censures portent tout à fait le tampon islamiste. Pas encore, et ce n’en est que plus inquiétant. Voyons, de quoi parle-t-on ? Cette semaine, la revue maghrébine Gazelle a été censurée pour une caricature du prophète, illustrant un dossier intitulé “Peut-on rire de l’islam ?” (du coup, on connaît la réponse à la question). Ce n’est ni une surprise, ni une première. Au Maroc, on interdit le plus petit écart avec la religion, et plus encore avec le prophète. Dessiner Mohammed, le représenter en bien ou en mal, rire de Dieu ou de l’islam, t’es fou ou quoi, oublie ! Voilà la devise nationale. Elle est aussi détestable qu’archaïque. A titre de comparaison, la même revue Gazelle a été autorisée en Algérie, qui n’est pas moins musulmane que le Maroc.
Il y a quelques semaines encore, des journaux comme L’Express, Le Nouvel Observateur ou Charlie Hebdo ont été interdits pour les mêmes raisons. Dans un autre genre, et en remontant un peu plus loin, Courrier International a été censuré pour une caricature représentant Mohammed VI. Un classique, une “spéciale” qui a déjà frappé, par le passé, de nombreuses publications caricaturant le roi. Le magazine Just men a subi le même sort, mais pour avoir publié, et là je reprends l’expression d’un officiel marocain, “plusieurs photos à connotation sexuelle”.
Voilà pour la presse. Côté édition, nous en sommes désormais à deux livres écrits par des Marocains et toujours inédits au Maroc, c’est-à-dire censurés. Le premier s’appelle Le dernier combat du capitaine Ni’mat (éd. La différence). Je suis en mesure de vous dire la raison de la censure, même si aucun responsable n’a pris sur lui de l’assumer publiquement. Le livre posthume de Mohamed Leftah raconte l’histoire d’un vieux militaire égyptien qui découvre son homosexualité sur le tard, et qui se lie d’amour (et de sexe) avec son serviteur noir…qui s’appelle Islam. Voilà, c’est dit. Le plus drôle, c’est que Leftah, que l’on est enfin en train de (re)découvrir, a gagné avec ce livre l’un des meilleurs prix littéraires au Maroc : celui de la Mamounia. Cela veut simplement dire que le livre a été importé clandestinement pour permettre aux jurés et à quelques élites bien ciblées de le lire. Quant au grand public, eh bien non, il ne pourra pas, il n’a pas le droit de le lire.
Deuxième cas de censure, celui qui frappe le tout récent Paris Marrakech : sexe, fric et réseaux du tandem Ali Amar – Jean-Pierre Tuquoi, publié aux éditions Calmann Lévy. Ce livre, dont TelQuel a publié de larges extraits la semaine dernière, ne risque pas d’être diffusé au Maroc. Je ne crois pas, ou alors pas de sitôt. Officiellement pourtant, il n’est pas interdit, et il ne le sera jamais. “Nous n’avons reçu aucune demande d’importation”, nous expliquent, comme il se doit, les responsables marocains. Mais bien sûr. La tactique est connue. La mentalité aussi. Dans le cercle des décideurs, Amar et Tuquoi ne sont pas spécialement en odeur de sainteté. Leurs livres les plus marquants, Le Grand malentendu pour le premier et Le Dernier roi pour le deuxième, n’ont jamais obtenu leur visa d’entrée. Ce n’est pas avec un livre sur la “scandaleuse” Marrakech, ses affaires de mœurs et son tropisme exceptionnellement français, que la tendance risque de s’inverser.
Je viens de vous relater les cas les plus flagrants, mais aussi les plus récents, de censure au Maroc. Comme vous avez pu le constater, la logique reste la même et il est facile de la répertorier de la manière suivante : Non à la représentation du prophète et du roi, Non au traitement léger de la religion, Non à la surexposition du sexe, Non à certaines plumes cataloguées peu amènes envers le régime marocain.
Cette logique d’interdiction, que le Maroc porte comme une croix sur les épaules, prévalait bien avant le gouvernement PJD. Elle est systémique, générale. Le gouvernement PJD ne l’a pas inventée mais il est en train de l’assumer et de l’endosser, comme l’USFP de Youssoufi l’avait fait avant lui. Qu’est-ce que ce serait si, demain, en plus du “système”, nos islamistes se mettent à leur tour à censurer ?