Voter, dites-vous ?

Par Karim Boukhari

Si les élections avaient lieu demain, le résultat serait un fiasco total. Il n’y a aucun doute là-dessus : tous les partis sans exception vivent une sorte de marasme interne et tous les Marocains ne se sentent pas concernés par les enjeux autour de ces élections. Ce n’est pas nouveau mais “juste” dramatique. Heureusement, donc, que les législatives n’ont lieu qu’en novembre, me dira-t-on, et que d’ici là… Heureusement ? C’est à voir. Dans deux mois, les partis politiques n’auront pas eu le temps de renouveler leurs élites, ni d’affûter leurs armes. Ils se présenteront avec le même visage qu’on leur connaît, et qui n’a pas eu le don d’attirer les foules en septembre 2007, date des dernières législatives (un bide, déjà). Il y a plus grave encore, dans deux mois, ces partis seront appelés à remplir les rangs du parlement et les sièges du gouvernement avec une Loi de Finances qu’ils n’auront pas votée. Car la Loi de Finances, qui trace la politique générale du pays, aura été validée avant, par le gouvernement et le parlement actuels(*). Le futur gouvernement aura, donc, à appliquer un programme qui n’est pas le sien et duquel il pourra plus tard se laver les mains avec l’argument facile de “c’est pas moi, c’est lui”.
Maintenant, je vous invite à vous accrocher parce que la suite ressemble à une farce dont seul un pays totalement arriéré est capable. Alors voilà : le parti du RNI, qui appartient à la majorité, a décidé de s’allier stratégiquement avec plusieurs partis de l’opposition actuelle, dont le fameux PAM de Fouad Ali El Himma. Sur le papier, cette alliance entre un parti au gouvernement et plusieurs partis en dehors du gouvernement est bizarre. C’est théoriquement une alliance entre une chose et son contraire. Une pure aberration. Dans les faits, la pilule peut être digérée étant donné que la “philosophie” du RNI est plus proche de celle du PAM & Co que de ses alliés au gouvernement. Sauf que le RNI a pour président Salaheddine Mezouar et que celui-ci est le “père” de la future Loi de Finances. Des partis de la majorité comme l’USFP et l’Istiqlal sont pratiquement en guerre contre le PAM et leurs députés menacent, virtuellement, de voter contre la Loi de Finances d’un Mezouar apparenté au PAM. Pour résumer, nous sommes donc devant la situation suivante : deux partis gouvernementaux risquent de voter contre un projet (Loi de Finances) du gouvernement ! Ils ont validé le projet au gouvernement et ils s’apprêtent à l’invalider au parlement. Qui dit mieux ?
Cette situation porte un nom : du n’importe quoi. Mais il est inutile d’incriminer le pauvre Mezouar, le RNI, le PAM et tutti quanti. Le discours qui consiste à dire “ils (les politiques) sont nuls” et à s’en tenir uniquement à cela est dépassé. Il faut voir ailleurs, plus loin et plus haut. C’est tout un système qui est pourri de l’intérieur et ce système s’appelle le jeu démocratique. Ce jeu est ruineux pour le pays et c’est essentiellement pour cela que les Marocains sont de moins en moins nombreux à le cautionner via les opérations de vote.
Il est peut-être utile de rappeler que le jeu démocratique est avant tout le produit de l’interaction entre deux corps : la classe politique et la monarchie. On ne peut pas, on ne peut plus, incriminer l’un et épargner l’autre. Pourquoi ? Parce que cela ne permet à personne d’avancer. La monarchie a imposé un “jeu” et les partis ont eu le tort de l’accepter : le n’importe quoi auquel nous assistons est la résultante de cette équation. Et il est de notre devoir de dire : Assez, Non !
La monarchie a promis du mieux pour répondre à l’appel de la jeunesse en cette année 2011. Mais il y a loin de la coupe aux lèvres. De la Constitution de juillet – qui a été adoptée à l’issue d’une campagne catastrophique pour la démocratie – aux législatives de novembre, je ne vois pas très bien ce qui pourrait subitement nous rendre plus optimistes pour l’avenir proche de ce pays. Le jeu démocratique ressemble à un “jeu” tout court. Et cela, beaucoup de Marocains, y compris à l’intérieur de la classe politique (des partis comme La Voie démocratique, le PADS et surtout le PSU appellent au boycott des législatives), le refusent et l’expriment clairement.

(*) Au moment où ces lignes sont écrites, jeudi, les élus attendaient de recevoir le projet de Loi de Finances…