Le sens de la marche

Par Karim Boukhari

La marche du 20 février est peut-être le premier épisode d’un cycle de perturbations que le royaume pourrait traverser. C’est de bonne guerre puisqu’il y aura toujours quelque chose à y gagner, mais à condition d’y aller avec les idées claires. L’idée fondamentale que nous défendons ici, qui est aussi celle de beaucoup de démocrates, est on ne peut plus claire : oui à la révolution, oui aux changements, mais avec le roi et non pas contre lui. C’est un choix et une conviction. Cela déplaira forcément à quelques-uns, ce ne sera pas compris de tous, mais ce n’est pas le plus important.

Pourquoi avec lui ? Cette idée nous ressemble et nous représente. Cette idée, c’est nous. Cette idée, nous la défendons au moins depuis que TelQuel a vu le jour. Cette idée, nous ne sommes pas les seuls à la porter et à la défendre. Cette idée n’est pas le produit du néant, mais d’une réflexion et d’une sensibilité qui traversent plusieurs couches de la nouvelle société marocaine.
Le Maroc, à nos yeux, est un pays qui a commencé clairement à bouger depuis l’avènement du nouveau règne. Il était à l’arrêt et puis il a bougé, mais insuffisamment, pas partout, pas assez vite. Il peut faire mieux et plus, il est tenu de le faire, il le mérite et il est prêt, il est mûr pour cela, contrairement à ce que prétendent les forces conservatrices et les faucons du régime. Mais ce que nous apprécions dans cette “bougeotte”, aussi relative soit-elle, c’est qu’elle s’est tout de même faite dans le bon sens. Il faudrait être aveugle ou alors de mauvaise foi pour dénigrer tout et nier qu’il y a eu des ouvertures, des signes, des gestes. Et ça, le mérite en revient à toutes les forces vives du pays, dont la société civile, une partie (malgré tout) de la classe politique, la presse indépendante, mais aussi le roi, ne l’oublions pas. Tout ce beau monde a poussé, chacun de son côté et à sa manière, tout ce beau monde a interagi et parfois violemment, il s’en est produit des chocs, des incompréhensions, et même un certain nombre d’injustices. Nous en avons d’ailleurs tous payé le prix et nous continuons, d’une manière ou d’une autre. Mais le résultat final, c’est que le Maroc a avancé…un peu.
C’est l’éternelle théorie du verre à moitié plein. Pour aller de l’avant, il est important de voir qu’il reste à moitié vide : c’est le moteur pour demander plus. Mais il ne faut pas oublier qu’il est déjà à moitié plein : c’est un garde-fou pour éviter les sorties de route et les guerres inutiles.
Pourquoi la révolution ? Nous avons aujourd’hui rendez-vous avec l’histoire. Cette histoire, c’est nous tous qui l’écrirons. Parce que le cycle de turbulences qui s’annonce est une épreuve pour trois entités au moins. C’est une épreuve pour le peuple : que va-t-il faire ? Comment ? De quelle manière et avec quels moyens ? C’est une épreuve pour la monarchie : va-t-elle saisir cette opportunité formidable pour s’ouvrir et régler un certain nombre de dysfonctionnements, lever un certain nombre d’interdits et de territoires gardés, ou choisira-t-elle de se recroqueviller sur elle-même ? C’est enfin une épreuve pour les véritables démocrates du pays : vont-ils se terrer et se contenter d’attendre que la tempête passe ? Vont-ils sortir de la forêt ? Pour demander quoi ? Vont-ils y aller en rangs groupés ou dispersés ?
Nous avons aussi rendez-vous avec l’histoire parce que le Maroc se retrouve, paradoxalement, avec deux grandes inconnues : ses islamistes et sa jeunesse. Il ne les connaît peut-être pas assez. Et il est temps qu’il fasse leur connaissance. Quel sera le comportement de ces deux groupes ? Quelles seront leurs revendications ? Peuvent-elles se rejoindre et, si oui, avec quelles conséquences ?
De la monarchie aux islamistes, en passant par les jeunes ou les démocrates, tout le monde a finalement besoin de mener sa révolution. Tous ont quelque chose à rattraper, à corriger, à prouver. Pour une fois que l’occasion se présente, il ne faut surtout pas la rater.