Le peuple, la monarchie, et nous

Par Karim Boukhari

Dans sa forme et dans son contenu, le dernier discours du Trône n’a rien apporté de nouveau. Il a sonné comme un rappel à l’ordre puisque le roi a expliqué à sa manière que c’est lui qui gouverne, et lui seulement. S’il y avait le moindre doute, le voilà levé. Ce n’est pas un hasard si le discours a d’ailleurs fait la part belle à la toute nouvelle Constitution puisque celle-ci consacre, comme nous le savons, le principe du roi qui gouverne. Et tout cela est très peu en rapport avec l’idéal de démocratie auquel nous aspirons… L’avenir ? Il porte un nom : les élections anticipées, qui devraient se tenir début octobre. Là-dessus, Mohammed VI a été clair : il veut, il lui faut de nouvelles élites politiques pour mettre en exécution…son programme à lui. Ce que le roi a dit, libre à nous de le traduire très simplement ainsi : “Peuple, choisissez bien vos candidats ; futurs élus, n’oubliez pas d’appliquer ce que je dis”. En gros, le discours qui clôture en quelque sorte la saison politique a été très conservateur. Il a mis un terme à sept mois, pourtant, durant lesquels nous avions cru entrevoir autre chose, un souffle nouveau, un vent de fraîcheur, la possibilité et surtout la volonté, je dirais même le besoin, de changer.
La montagne a accouché d’une souris, voilà c’est dit. La monarchie n’a pas joué franc jeu, elle a plus manœuvré et cherché à gagner du temps (ce qu’elle a bien réussi, du reste) qu’autre chose. Elle n’a fondamentalement pas changé et elle a prouvé, au passage, qu’elle n’est pas près de le faire. Qu’entend-on par “changer” ? Lâcher du lest et laisser les autres gouverner, déjà. Mais pas seulement. Changer, c’est aussi jouer sur l’immédiat, améliorer sans plus tarder ce qui peut l’être et ce qui ne coûte rien : c’est-à-dire le cérémonial, la forme, le détail, l’élément humain. Je vais vous dire une chose : le roi aurait pu, et dû, accorder un grand entretien à un ou plusieurs journaux marocains. J’insiste sur le vocable “marocains”. Parce qu’il a des choses à nous dire et parce qu’on a des choses à lui demander. S’il avait consenti à le faire, on aurait eu l’immense plaisir de découvrir (oui, découvrir) que le chef de l’Etat est avant tout un être humain comme les autres, un Marocain pas au-dessus des autres, quelqu’un d’accessible et qui nous ressemble, qui doute et qui n’a pas réponse à tout, quelqu’un qui peut se tromper et le dire, et tout cela aurait renforcé la crédibilité de l’institution monarchique et donné un formidable coup de fouet au très vague “projet démocratique marocain”. Dieu sait si nous en avions tous besoin… Dans le même ordre d’idées, le roi aurait pu, et dû, alléger le rituel de la Bey’a, dont le dernier épisode, qui nous a été donné à voir en fin de semaine, n’est pas très réjouissant. Tout de même : comment peut-on, au 21ème siècle, et au moment où le vent de la démocratie et de l’égalité entre les hommes souffle sur la planète entière, admettre – excusez-moi le terme – qu’une “armée d’esclaves” se plie en quatre et se roule par terre au passage du souverain ? Anachronique, archaïque et même, même, osons le terme parce qu’il est juste : dégradant, esclavagiste. Je sais bien ce que l’on va me répondre : ce cérémonial est une manière de garder l’équilibre entre tradition et modernité. Certes. Mais qu’attend-on pour l’alléger et le rendre plus humain ? Que perdra-t-on à faire cela ? N’est-il pas temps de faire en sorte que la tradition ne soit plus un frein au progrès ? Pourquoi enfermer le cérémonial dans ce schéma maître – serviteurs et dominant – dominés comme si le Maroc sortait à peine d’une bataille médiévale ?
Nous sommes donc déçus mais pas aigris, pas le moins du monde. Je ne crois pas. Le système, le Makhzen, l’archaïsme ont gagné…mais contre qui ? Je vais le dire autrement : “ils” ont gagné mais ceux d’en face, c’est-à-dire le peuple, n’ont pas perdu. Je ne suis personnellement pas aigri parce que j’ai vu des petites choses changer, des détails, des réflexes. Le peuple, et contrairement à des idées reçues, n’est pas seulement celui dont on achète la voix, qui dit oui ou non sans réfléchir, qui est corrompu jusqu’à l’os et qui ne pense qu’à brûler et à casser. Le peuple n’est pas bête. Il a peut-être mis du temps à se réveiller mais il n’est pas près de s’endormir. Nous avons pu le constater tout au long de ces premiers mois de l’année 2011…
C’est sur cette note malgré tout optimiste que je vous dis au revoir, au nom de toute l’équipe de TelQuel. Merci de nous lire et de nous soutenir. Et rendez-vous en septembre avec l’espoir que, d’ici là, le Maroc sera meilleur. On peut rêver, non ?